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Pétion lut ensuite une adresse du conseil-général, qui récla'mait: 1 Une loi en vertu de laque le la sortie du royau ne fût interdite à tous les Français; 2o que le séquestre des biens de ceux qui contreviendraient à cette loi, assurât à la patrie un gage de leurs intentions; 5° que l'assemblée s'occupât de renforcer les ressorts de la police de sûreté générale; 4o et qu'elle autorisât l'é'tablissement d'un comité de surveillance dans le sein de la muní*cipalité. La première de ces propositions fut sur-le-clamp, et sauf rédaction, convertie en loi; les autres furent renvoyées à la commission extraordinairé.

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On passa ensuite à la discussion du projet de Gensonné sur l'aitribution du droit d'information aux municipalités. Deux orateurs furent entendus: Becquet, contre; Hérault de Séchelles, pour. Séance du soir. - Paris et Boland vinrent remercier l'assemblée de leur mise en liberté.

Des gardes nationaux se présentèrent à la barre. Ils reparlèrent de la difficulté de garder le jardin des Tuileries, depuis que la terasse des Feuillans était livrée au public; ils se plaignirent d'avoir été insultés ; ils demandèrent enfin que la terrasse fût de nouveau fermée."

En effet, il y avait eu, le jour même, quelques désordres sur 'cette terrasse. Des gardes étaient aux escaliers par lesquels elle communiqué avec le jardin ; et quelques propos avaient été echangés entre ces sentinelies et les passans. Un individu, qui n'était ́autre, disent les journaux, que Duval-Despremenil, avait excité le peuple à franchir la ligne des gardes, mais il avait été reconnu et maltraité (1).

Le lendemain 28, le peuple établit, de lui-même, une barrière tricolore, qui fut plus respectée. Nous insistons sur la date de ce détail, parce que c'est un des souvenirs restés les plus vifs dans fa mémoire des contemporains. « Aujourd'hui, dit le Patriote -français, il n'y avait pas de gardes pour empêcher de passer de

(1) M. Despremenil démentit le fait de la provocation par une lettre qui fut insérée dans le Journal de Paris.

la terrasse des Feuillans dans le reste du château des Tuileries. Au lieu du cordon de troupes qui y était hier, un cordon de ruban, tendu par des patriotes, traçait la ligne de démarcation entre le territoire français et le territoire autrichien. On avait attaché à ce ruban différentes devises; en voici deux que nous avons remarquées :- Que ceux qui ont brisé les chaînes du despotisme respectent ce simple ruban, disait l'une; - l'autre portait ce refrain d'une ariette connue : Amis, si vous voulez m'en croire, n'allez point dans la forêt Noire. »

Au reste, chaque jour les inscriptions changeaient : un jour, on remarqua celle-ci : « Louis, tu dis que le peuple est méchant ; vois Louis, comme tu mens. Un autre jour (le 4 août), ce fut celle-ci : La colère du peuple tient à un ruban; la couronne du roi

tient à un fil.

Du 27 au 30. Les séances de l'assemblée furent en grande partie occupées par l'instruction de l'affaire La Fayette, que nous avons vue plus haut ; par quelques discours sur la proposition Gensonné, par quelques mesures administratives et toutes temporelles, en quelque sorte, sans importance révolutionnaire et même sans intérêt législatif.

Le 30, les Marseillais depuis si long-temps attendus arrivèrent ce matin même à Paris, venant de Charenton et d'Ablon, où ils avaient couché. Ils formaient un corps de cinq cent seize hommes bien armés et suivi de trois pièces de canon. Ils furent conduits par Santerre, commandant du bataillon des Enfans-Trouvés, et le législateur Merlin, aux Champs-Élysées, pour s'asseoir à un banq: et patriotique. Des grenadiers des Petits-Pères et des FillesSaint-Thomas étaient, dans ce moment, réunis chez un restaurateur voisin : Au Jardin royal: Ils n'étaient, disent les journaux royalistes, que cent soixante; une rixe s'éleva entre les représentans des Jacobins et ceux de la riche bourgeoisie. Les gardes nationaux eurent le dessous; c'est le seul fait sur lequel les feuilles des diverses opinions soient d'accord. Les journaux royalistes im

putent le tort de l'attaque aux Marseillais; ils les accusent d'avoir attaqué avec des armes à feu, des hommes désarmés; les jour naux patriotes adressent le même reproche aux grenadiers.

Nous ne pouvons aller chercher la vérité dans ces récits contradictoires. Nous nous attacherons donc surtout à la narration écrite par Pétion, et aux débats qui eurent lieu à cette occasion, dans l'assemblée nationale.

JOURNÉE DU 30 JUILLET.

« Cette journée, sans former une époque mémorable, ne doit pas être passée sous silence; ce fut le jour où les Marseillais arrivèrent à Paris. Ils avaient été précédés par la calomnie; il n'était pas de propos infâmes que l'on ne tînt sur leur compte; on ne parlait que des pillages et des excès qu'ils avaient, disait-on, commis dans tous les endroits où ils avaient passé; les libellistes, les papiers payés par la liste civile, répétaient ces infamies; la cour avait une peur effroyable de ces braves habitans du Midi. Ils avaient couché la veille à Charenton, et la cour aurait tout sacrifié pour les écarter des murs de Paris. Ils firent une entrée vraiment triomphante; ils arrivèrent par le faubourg Saint-Antoine; une foule immense de citoyens fut au-devant d'eux; en traversant Paris, ils firent ôter quelques cocardes à rubans, ce qui occasiona beaucoup de rumeur; on leur imputa à cet égard des violences qu'ils n'avaient pas commises; il y avait d'ailleurs vingt-quatre heures qu'on faisait cette petite guerre dans Paris aux cocardes à ruban, et que le peuple n'en voulait plus que Jaine.

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› Le bataillon vint à la mairie donner des marques d'amitié à M. Petion; de là il fut dans les carsernes qui lui étaient destinées (1), et alla diner aux Champs-Elysées dans un endroit qui, depuis plusieurs jours, était indiqué comme devant être le lieu du festin. Des gardes nationales du faubourg Saint-Antoine,

(1) Les Marseillais furent casernés à la Nouvelle-France; quc'ques jours après ils furent transférés à la caserne des Cordeliers. (Note des auteurs.)

Sinterre à leur tête, les accompagnaient : il est bon de remarquer. que les Marseillais avaient laissé leurs armes dans leurs casernes, et quelques-uns avaient seulement leurs sabres.

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Des grenadiers des Filles Saint-Thomas et autres volontaires qui étaient certainement instruits de l'endroit où dînaient les Marseillais, furent aussi diner aux Champs-Elysées dans la guinguette la plus voisine de celle des Marseillais.

» On prétend que ces grenadiers chantèrent quelques chansons peu patriotiques; qu'ils crièrent Vive le roi! Vive la reine! Vive La Fayelle! Mais cette circonstance n'est pas bien prouvée; ée qu'il y a de plus certain, c'est que les grenadiers eurent querelle avec plusieurs citoyens qui se réunissaient en assez grand hombre dans cet endroit; que les grenadiers se permirent des propos, firent même des gestes menaçans, qu'on leur jeta de la boue, et que le peuple se mit à crier: A nous les Marseillais!

› Les Marseillais commençaient à peine à se mettre à table, ils quittèrent tous; les uns sortaient par les portes, les autres par les croisées; ils sautèrent par-dessus des palissades, franchirent des fossés avec une agilité inconcevable et qui étourdit et intimida les grenadiers. On mit le sabre à la main; plusieurs grenadiers furent blessés, d'autres se mirent à fuir; quelquesuns de ces grenadiers avaient des pistolets qu'ils tirèrent : un 'd'eux, le sieur Duhamel, fut la victime de cette lâcheté; ayant tiré un coup de pistolet sur un Marseillais et l'ayant manqué, on 'courut après lui; on l'atteignit dans un café où il s'était réfugié, et on le tua.

» Une chose remarquable, c'est que le pont-levis des Tuileries se baissa pour recevoir les grenadiers qui fuyaient, et qu'il se leva ensuite pour ne plus laisser entrer personne et surtout ceux qui les poursuivaient.

› Un fait qui ne l'est pas moins, c'est que des femmes de la 1-cour s'étant mises à pousser des cris devant la reine et disant : · mon mari, mon frère sont tués; — non, non, leur répondit la reine, soyez tranquilles, ils n'y étaient pas : ce qui annonce que la cour était instruite de la rixe qui aurait lieu, et qu'elle savait

le nom des grenadiers et autres chevaliers qui devaient y jouer un rôle.

› Le commandant-général, des aides-de-camp, vinrent à la mairie tout effrayés, comme si Paris était en feu, et firent les récits les plus exagérés de cette querelle. Le maire se rendit à l'instant sur les lieux, et déjà il n'y avait plus personne; de là, il fut à la caserne des Marseillais, où il fut très-bien accueilli; il les trouva très-irrités de ce qui venait d'arriver, mais ils lui promirent d'oublier cet outrage; ils avaient fait deux prisonniers qu'ils traitèrent avec humanité, et qu'ils rendirent; ils manifestèrent les meilleures dispositions.

› Le commandant-général, pour faire sa cour au château, donna un grand appareil à cette affaire; il fit battre la générale; des bataillons marchaient de tous côtés dans les rues avec leurs canons; les cours des Tuileries furent à l'instant remplies de gardes nationales: ont eût dit qu'il était question de résister à un siége dans les formes. Le commandant-général fut vivement réprimandé d'avoir sans aucun ordre, mis ainsi toute la ville en état d'alarme.

» De leur côté, les grenadiers des Filles-Saint-Thomas, honteux de leur fuite et voulant s'en venger, soulevèrent leur bataillon, soulevèrent le plus de gardes nationales qu'ils purent, et il n'était question de rien moins que de tomber les armes à la main dans la caserne des Marseillais. Des canons étaient braqués devant la Comédie-Italienne, dans le cas où les Marseillais iraient pour y passer; tout annonçait un malheur, une explosion, et tout se calma. Il y eut seulement une agitation sourde pendant quelques jours, et les spadassins de la cour conservèrent, contre les Marseillais, une haine implacable, mais qu'ils n'osèreņt jamais manifester en face de leurs adversaires. » (Pièces importantes pour l'histoire. Volume déjà cité, p. 242.)

Les journaux patriotes s'égayèrent largement sur la déconvenue des gardes nationaux du bataillon des Filles-Saint-Thomas et des Petits-Pères, que leur zèle royaliste avait fait dé

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