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moyen bien innocent de brouiller les patriotes, d'inspirer des méfiances sur l'orateur. C'est ainsi qu'on applaudissait dernièrement M. Vergniaud; c'est dans cet esprit charitable que la Gazette Universelle et le Journal de Paris l'ont loué et qu'elles auront peut-être une aussi funeste bienveillance pour M. Brissot. Mais de vrais patriotes ne sont point dupes de ces ruses; ils persévèrent dans la ligne du patriotisme, et il sera impossible que le peuple plus éclairé ne revienne pas ensuite de ses préventions. > En effet, selon l'aveu du Moniteur, le discours dont il s'agit fut souvent couvert par les murmures des tribunes; et, selon la Correspondance patriotique, l'orateur fut même interrompu et manifestement troublé par les cris du même lieu et bien entendus de tout le monde: A bas, scélérat de Barnave; à bas, homme à double face! En retournant à sa place, il fut, il est vrai, suivi par les applaudissemens de la majorité de l'assemblée; « Mais en y arrivant, ajoute le même journal, il fut frappé de deux prunes, qu'une main vigoureuse lui avait lancées du haut des tribunes; et par des hurlemens mêlés de cris: A bas; c'est un scélérat; ils sont un tas de scélérats. — Lorsqué M. Brissot sortit, il essuya les plus violentes menaces. Il est certain que sa conduite a dû paraître très-extraordinaire... Il est cruel pour lui d'ètre insulté au premier moment où il a raison, et par les mêmes gens qui, ca sa faveur, insultaient, il y a quelques jours, ses collègues... Cependant M. Brissot paraît n'avoir fait que peser en homme sage ce que le général Montesquiou a dit à la commission extraordinaire: Vous êtes bien les maîtres de déclarer le roi déchu ou suspendu: mais soyez certains que le tendemain vous n'aurez ni généraux, ni officiers, ni soldats. — Quant à l'assemblée, elle doit songer qu'elle n'a peut-être plus qu'un moment pour reprendre sa dignité et rétablir la liberté nationale. » (L'Ami de la Constitution et Correspondance patriotique, n. LIV (1).)

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Au reste les propositions de Brissot furent décretées et l'on vota l'impression de son discours. Voici textuellement la décision

(4) Ce journal, paraissent par cahiers in-8° chaque jour, était rédigé par Dupont de Nemours.

de l'assemblée telle que nous la trouvons dans le Moniteur: La commission extrao dinaire est chargée d'examiner: 1o quels sont les actes qui peuvent entraîner la déchéance; 2o si le roi s'en est rendu coupable; 3° de faire une adresse au peuple pour le prévenir contre les mesures inconstitutionnelles et impolitiques qu'on pourrait lui proposer.

Séance du soir.

[Un de MM. les secrétaires fait lecturé du procès-verbal de la séance du mercredi au soir.

Il s'élève des réclamations sur le décret relatif à la terrasse des Feuillans.

Plusieurs membres demandent le rapport de ce décret.

Après quelques débats tumultueux, l'assemblée passe à l'ordre du jour.

Le ministre des affaires etrangères adresse à l'assemblée, en vertu de son décret de ce matin, une lettre de M. Chauvelin, contenant la listé des vaisseaux sortis de Portsmouth, pour entrer dans la Manche, et l'état de la marine anglaise. Les vaisseaux sortis sont au nombre de sept, cinq frégates et deux corvettes, et n'ont de vivres que pour quinze jours.

On fait lecture d'une lettre du ministre de l'intérieur, qui annonce qu'informé au milieu de la nuit, par le procureur-généralsyndic du département, du bruit qui se répandait dans les lieux publics, qu'il se faisait aux Tuileries des amas d'armes, il s'est transporté auprès du roi, et que S. M.., quoiqué dans son sommeil, à fait inviter le maire de Paris à se transporter au château pour y faire toutes les visites et les perquisitions nécessaires. M. le maire a répondu que ne pouvant y aller lui-même, et croyant convenable de donner de la solennité à cette démarche, il allait nommer six officiers municipaux. Sur quelques difficultés élevées par ces magistrats, le maire a cru devoir consulter le corps municipal, qu'il va convoquer à cet effet.

L'assemblée passe à l'ordre du jour. ]

Le reste de la séance fut occupé de questions toutes personnel

les, sans intérêt aujourd'hui. Il s'agissait du privilége de ses membres vis-à-vis la justice; et à cette occasion il n'y eut qu'un échange de paroles irritantes et sans résultat.

La question révolutionnaire parut un moment vers la fin. Quoique l'assemblée ne fût plus en nombre, on lut des lettres de Strasbourg, dont l'une annonçait la découverte d'un centre de correspondance entre les émigrés et les mécontens de l'intérieur ; l'autre demandait un secours de 300,000 fr. pour approvisionnement. Il fut décrété.

Deux députations des sections de Paris furent admises à la barre. Elles demandèrent la suspension du roi, et l'accusation de La Fayette. On leur accorda les honneurs de la séance, et l'on vota l'impression de leurs adresses.

Pendant que cette séance se terminait ainsi, une scène d'une nature plus grave se passait à la Bastille. Un banquet civique qui devait avoir lieu le 22 sur les ruines de cette forteresse, avait été remis au 26; Carra avait annoncé cette remise dans son journal, et avait donné pour motif de l'ajournement, la cérémonie de la déclaration de la patrie en danger. Ce motif était-il réel? Craigħait-on que la joie d'un banquet ne contrastat trop désagréablement avec la sévérité de la proclamation du 22 juillet? où plutôt, le but secret qu'on se proposait dans ce banquet ne commandait-il pas de choisir un jour plus favorable, un jour où toute la population ne fût pas occupée d'idées étrangères à ce but? II est certain, en effet, qu'il fut l'occasion de la première tentative d'insurrection générale. Ce fut un des préludes de celle du 10 août. Ici, nous n'emprunterons rien aux journaux du temps, qui ne connurent de cette affaire que ses apparences extérieures. Nous transcrirons le récit de Pétion, qui nous en montre tous les détails. Nous n'y trouvons qu'un fait omis: c'est que les fédérés brestois, qui formaient un corps assez nombreux, étaient arrivés le 23 au matin ils furent accompagnés dans les rues par la foule et le cris de Vive la Nation! vive les Brestois!

JOURNÉE DU 26 JUILLET.

Ce jour était celui d'un festin civique donné aux fédérés sur l'emplacement de la Bastille. Chaque citoyen du faubourg y porta son dîner; la gaieté, le patriotisme présidèrent à ce repas vraiment digne d'hommes libres. On y chanta des hymnes en l'honneur de la liberté ; il y eut danse, illumination; et ces plaisirs se prolongèrent jusqu'à une heure après minuit.

Le ministre de l'intérieur, Champion, vint pour espionner ce qui se passait. Affublé d'une mauvaise redingote, il parcourait les différens groupes; il fut reconnu, reçut quelques soufflets et quelques coups de pieds; au lieu de conserver cette correction dans l'oubli, il eut la sottise de rendre plainte, et il se fit tourner en ridicule.

Le directoire révolutionnaire des fédérés avait formé le projet de profiter de ce grand rassemblement de citoyens et de l'exaltation des esprits, suite ordinaire des fêtes, pour faire une insurrection, renverser les tyrans et la tyrannie.

› Sur les sept heures du soir, les citoyens Vaugeois, Westermann, Debessé, Kienlin, Santerre, Guillaume, Alex. Lazousky, Simon, Fournier et Carra, se rassemblèrent au cabaret du Soleild'Or, rue Saint-Antoine, vis-à-vis l'emplacement de la Bastille.

› Là, on dressa le plan de campagne et le projet de siége du château. La petite armée devait se diviser en trois colonnes; deux partaient de l'emplacement de la Bastille; l'une prenait par-dessus les boulevarts Saint-Antoiné, et se rendait directement au château; l'autre passait par la place de Grève, et s'emparait de la maison commune; elle était aussi chargée de consigner le maire chez lui; la troisième partait du faubourg SaintMarceau, et arrivait par le pont à la place Louis XV.

Les drapeaux qui devaient flotter devant ces colonnes étaient de couleur rouge, et on lisait dessus, en gros caractères noirs, ces mots : Résistance à l'oppression; loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif.

› Les commissaires de l'insurrection avaient aussi fait faire des

affiches de couleur bleuâtre qui étaient ainsi conçues: Ceux qui tireront sur les colonnes du peuple seront mis à mort sur-le-champ; ceux qui se joindront à ces colonnes seront garantis de tout accident, et leurs personnes et leurs propriétés.

Ces affiches, imprimées par Chaudet, furent déposées chez Santerre, où Carra fut les chercher pour les faire placarder.

› Les commissaires convinrent de se rassembler tous autour de la colonne de la liberté. Le mot d'ordre pour entrer était : Colonne blanche.

› On était conveau de ne pas faire de mal au roi, de l'enlever et de le constituter prisonnier dans le donjon de Vincennes; on devait, de suite et sur-le-champ, faire les fouilles les plus exactes dans le château.

› On chargea Westermann d'aller à Versailles pour prévenir la garde nationale de cette ville de se mettre en marche vers les trois heures du matin avec ses canons, afin d'arriver aux Champs-Élysées à peu près à la même heure que les colonnes parisiennes.

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Lazousky, capitaine de canonniers, se fit fort que le faubourg Saint-Marceau serait prêt pour les quatre heures du matin.

› On répandait le bruit que Chabot et Merlin avaient été assassinés par les Chevaliers du Poignard, pour augmenter de plus en plus l'agitation des esprits.

› On fit également circuler la nouvelle que les chevaliers du poignard voulaient s'emparer du roi, et le conduire hors du royaume dans les armées ennemies.

» Soit qu'il y eût trop de monde dans le secret, soit que des commissaires aient commis quelque indiscrétion, la cour était parfaitement instruite de ce qui se passait, et avait pris toutes les précautions pour faire bonne contenance. Le commandantgénéral avait fait filer de six à sept mille hommes bien armes dans les cours et dans le jardin. Il vint prévenir M. Pétion, qu'il devait y avoir un rassemblement sur les ruines de la Bastille; que de là le rassemblement devait se porter au château; qu'il avait cru de sa prudence de renforcer tous les postes.

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