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Mais à qui délèguera-t-on le pouvoir de rechercher les crimes contre la sûreté de l'État et de la Constitution? Telle est la troisième question qu'il faut examiner.

M. Gensonné a préféré les municipalités aux juges de paix et officiers. Des motifs très-sages l'y ont déterminé. La circonspection des fonctions des juges de paix, le peu de rapports et de correspondance qui existent entre eux, l'insuffisance de leurs moyens d'exécution, la difficulté de les mettre en relation avec le corps législatif, tandis que les corps municipaux sont bien plus à portée et de connaître les conspirations qui peuvent se former dans leur sein, et d'en rassembler les preuves, et de s'assurer des prévenus, et de correspondre avec les municipalités ou départemens où les conspirations peuvent s'étendre. L'expérience vient ici à l'appui du système de M. Gensonné, tandis que pas une seule dénonciation de conspiration n'est parvenue, de la part des tribunaux ou des juges de paix, à l'assemblée nationale, ou à son comité de surveillance, une grande partie de celles qui lui ont été faites proviennent du zèle et du patriotisme des municipalités ou des corps administratifs. Si même dans plusieurs départemens des conspirations ont été découvertes et réprimées au moment même où elles allaient éclater, c'est à l'activité des corps municipaux que la patrie doit ce service éminent; j'en atteste ici les municipalités de Lyon, de Perpignan, de Caen, qu'auraient fait de simples juges de paix dans des circonstances aussi critiques, et qui demandaient sur-le-champ des moyens vastes et actifs? La nature des choses veut donc que le pouvoir de rechercher des complots soit attribué aux municipalités. Si vous n'offrez pas aux citoyens un seul foyer, un seul tronc, où ils aillent déposer ce qu'ils ont appris; si vous leur laissez la liberté d'aller chez les 48 juges de paix de Paris, presque tous n'iront chez aucun. L'expérience prouve que le nom de juge, l'idée de ses fonctions sévères, la crainte d'un procès, repoussent de sa maison ceux qui iraient volontiers à la municipalité, dont les fonctions ont je ne sais quoi de plus fraternel et de moins effrayant. Sans cette unité de centre, on ne parviendra jamais, dans des villes

comme Paris, Lyon ou Marseille, Bordeaux et Nantes, à découvrir aucun complot. Les dénonciations se dissémineront entre les divers juges, tous les faits resteront isolés, tandis que s'il n'y avait qu'un seul registre, qu'un seul centre d'information, tous. les faits s'y réunissant, se prèteraient mutuellement de l'appui. La recherche de ces délits rentre d'ailleurs dans la nature des fonctions dont les municipalités sont chargées.

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En effet, des crimes contre la sûreté de l'état sont des crimes politiques, des crimes qui affectent en masse la société. Ils forment une classe à part des autres crimes, tellement que la connaissance en est ôtée aux tribunaux ordinaires, et que c'est le corps législatif qui fait les fonctions de juré d'accusation. Tout doit se correspondre dans cet ordre de choses. L'officier de police doit être de l'ordre politique, comme le juré d'accusation, puisque le crime est de l'ordre politique. Cet ordre serait interrompu, si ces fonctions étaient remplies par un juge de paix qui doit se borner aux délits prouvés.

li n'y a point ici confusion de pouvoirs. Les fonctions de la police ne sont point des fonctions judiciaires. Selon l'instruction du 29 septembre 1791, la police, considérée sous ces rapports avec la sûreté publique, doit précéder l'action de la justice; donc son action n'est pas la même.

Les fonctions de cette police de sûreté sont bornées à recevoir les plaintes, à constater, par des procès-verbaux, les traces de délits, à entendre les témoins, les prévenus, à s'assurer de ces derniers, s'il est nécessaire; et la loi a tellement considéré ces fonctions comme n'étant pas judiciaires, qu'elle distingue trèsbien les déclarations faites par les témoins devant le juge de paix, d'avec les dépositions faites devant les tribunaux. Ces déclarations directes ne sont point destinées à faire charge au procès. Leur principal objet est de corroborer la plainte, et de servir à l'officier de police de guide sur la conduite qu'il doit tenir envers la personne inculpée, lorsque le temps de l'action de la police sera écoulé, et que la justice sera entrée en connaissance de l'affaire.

Ces dépositions écrites produiront le bon effet de soutenir la conscience des témoins trop pusillanimes, etc.

Mais vous allez, nous dit-on, soumettre tous les citoyens au despotisme des municipalités; vous allez ressusciter dans leurs mains les lettres de cachet... Les hommes qui abusent de ces termes, en ont-ils bien pesé l'application? Qu'est-ce qu'un despote? Un homme qui fait la loi, qui l'exécute et qui juge, A ces traits reconnaissez-vous un officier municipal? La loi qu'il est chargé d'appliquer, n'est-elle faite par pas d'autres que par lui? Est-ce lui qui doit juger le coupable qu'il arrête? n'est-il pas, en l'arrêtant, astreint à des formes rigoureuses? s'il ne les suit pas, ne s'expose-t-il pas à être lui-même puni? Eh quoi! pour 'des délits particuliers, on a donné à un seul juge de paix le droit d'amener et d'arrêter; on le lui a donné sans craindre son despotisme, et on craindrait de donner ce même pouvoir à plusieurs hommes, quand il s'agit de la liberté, de la sûreté générale! Un seul n'est-il pas plus aisément trompé, séduit et corrompu? L'abus du pouvoir n'est-il pas plus difficile à exercer, quand plusieurs sont appelés à lui donner leur sanction? Enfin, si l'on veut rendre moins fréquent l'abus des mandats d'arrêt, ne fautil pas en diviser le pouvoir? car plus un pouvoir est concentré, plus il est un, et plus il est terrible.

Voyez encore combien de précautions M. Gensonné a prises pour empêcher le despotisme des municipalités. Il les astreint d'abord à suivre toutes les formes ordonnées pour la recherche des délits prouvés. Il faut ensuite que dans les cas du mandat les municipalités avertissent les directoires du district. Il faut que ceux-ci passent leur avis dans le même délai aux directoires des départemens. Il faut que le département confirme, dans le même délai, le mandat d'arrêt; il faut enfin que le département instroise, dans le plus bref délai, l'assemblée nationale. Or, toutes ces précautions ne tendent-elles pas à empêcher les surprises, les actes de despotisme? Peut-on concevoir qu'il se fasse une ligue pour écraser un innocent entre trois corps administratifs qui sont souvent éloignés les uns des autres, le plus souvent op

posés et rivaux? Peut-on croire que, lors même qu'une coalition aussi monstrueuse existerait, les cris de l'innocent ne parviendraient pas bientôt à l'assemblée nationale?

Ne vous paraît-il pas étrange que le même parti qui affecte de craindre aujourd'hui le despotisme municipal actuel, ait combattu sous l'assemblée constituante avec tant d'ardeur pour faire accorder précisément pour les mêmes crimes, le mandat d'arrêt au seul ministre de la justice? Alors on nous citait cette constitution anglaise que l'on aime tant parce qu'on y voit une chambre des lords. On nous citait le pouvoir accordé au secrétaire d'état en Angleterre, de décerner des mandats d'arrêts dans les crimes de haute trahison; l'on refuserait ce même pouvoir à des officiers amovibles élus par le peuple!

Non, il faut le dire franchement; non, ce n'est pas le despotisme des municipalités qu'on craint, mais leur patriotisme ardent. Partout élues directement par le peuple, elles sont presque toutes composées des patriotes les plus fervens et les plus éclairés; et dès-lors les hommes qui attendent ou le retour du despotisme ancien, ou des modifications à ces parties de notre Constitution qui blessent leur orgueil et leur ambition, ces hommes doivent craindre de voir découvrir et leurs complots et leurs comités secrets, si la recherche en est confiée à des municipalités actives et patriotes, et armées de pouvoirs pour les arrêter. Voilà le secret de cette opposition qui s'est élevée déjà au-dehors avec tant d'acharnement contre le projet de M. Gensonné. On ne nous parle de la liberté individuelle que pour écraser la liberté générale de la Constitution, que pour étouffer cette égalité qu'on hait; car le peuple, seul et le vrai talent et la vertu peuvent l'aimer; on ne nous épouvante du despotisme et de la dictature municipale que pour nous amener le despotisme des deux

chambres.

Je conclus à l'adoption du projet de décret de M. Gensonné, sauf les amendemens dont il peut être susceptible dans ses détails. (De nombreux applaudissemens s'élèvent dans l'assemblée et dans les tribunes.)

1

L'impression de ce discours est décrétée à une très-grande majorité.

L'assemblée renvoie au comité des inspecteurs de la salle, la dénonciation faite par un citoyen actif de service auprès de l'assemblée, qui se plaint d'avoir été renvoyé par l'adjudant sous le prétexte qu'il n'avait pas d'uniforme.

M. Gossuin. Je reçois à l'instant, une dépêche des administrateurs du district et de la municipalité d'Avesnes qui vous prouvera, messieurs, que si les malheureux citoyens de ces pays sont exposés au plus grand danger et sont victimes de la négligence des ministres et de leur mésintelligence avec les généraux, ils n'en sont pas moins patriotes et disposés à employer tous leurs efforts pour repousser l'armée autrichienne qui les menace et ravage leurs plaines.

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Avesnes, le 12 juillet, l'an IV de la liberté. Nous sommes fondés à croire, monsieur et cher concitoyen, qu'on veut absolument sacrifier le département du Nord, et livrer cette barrière de la France, l'un de ses principaux boulevarts, au tyran de l'Autriche. Si l'on a pu pendant quelque temps mettre en problème la trahison des agens du pouvoir exécutif, il se trouve aujourd'hui résolu par les faits mêmes; il n'y a plus maintenant que les ennemis de la chose publique, ou les aveugles, qui ne conviennent pas que nous sommes joués ou vendus. Vous avez été informé dans le temps, du départ de l'armée de La Fayette, qui volait, disait-on, au secours des départemens du Rhin, et qui cependant est restée plus de dix jours pour faire quatorze lieues; celle du maréchal Luckner n'a pas tardé à suivre, elle était campée le 13 de ce mois à Maroilles et Landrecies, et pour remplacer toutes ces forces, on a envoyé vers Valenciennes quatre à cinq mille hommes.

Les Autrichiens n'ont pas tardé à profiter de l'avantage que leur donnait notre dénûment: le 15, ils sont entrés à Orchies, où ils ont commis des horreurs et exercé le pillage accoutumé. Depuis lors ils se sont emparés de Bavay, ils s'y fortifient tous les jours, leur camp s'étend depuis les Mottes, à une lieue et

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