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que pour nous réduire à l'impuissance de la soutenir. Gardonsnous de nous laisser abuser par ces hommes à courte vue, qui, dans leur présomptueuse opiniâtreté, veulent toujours nous faire considérer comme la cause de nos maux cette agitation, ces mouvemens désordonnés qui n'en sont que les tristes symptômes. Gardons-nous enfin de la séduction, de l'orgueil de cette nouvelle aristocratie, qui se repaît avec complaisance de toutes les calomnies lancées contre la multitude, pour avoir le droit de s'en isoler. Entrons au contraire, et c'est notre devoir, entrons dans les sentimens de ce peuple à qui l'on ne peut reprocher que de redouter des trahisons. Quand chaque jour lui révèle des trahisons, prenons sa juste défiance, et il se replacera naturelle- · ment dans le calme de la sécurité. Bientôt il applaudira lui-même à la fermeté avec laquelle nous saurons réprimer les manœuvres de ceux qui tenteraient encore de l'agiter. Bientôt disparaîtront les ennemis de cette égalité, qui est le plus précieux de ses biens. Ils seront attérés des regards de ceux qui les auront démasqués. Affranchis pour lors de nos troubles intérieurs, nous deviendrons redoutables à nos ennemis du dehors, par cela seul que tous les vœux seront réunis pour le triomphe de la liberté. Voici le projet de décret :

«L'assemblée nationale considérant que le plus sacré de ses devoirs est de déployer tous les moyens que la Constitution met à sa disposition, pour prévenir et faire promptement cesser le danger de la patrie; considérant que rien ne peut contribuer plus efficacement à remplir cet objet important, que de donner à la responsabilité des ministres et conseillers publics ou secrets du pouvoir exécutif, toute la latitude que le salut de l'État exige dans de telles circonstances; déclare que quand le corps législatif a proclamé, dans les formes prescrites par le décret du 5 de ce mois, que la patrie est en danger, indépendamment des cas où la responsabilité peut être exercée contre les agens du pouvoir exécutif, tous les ministres sont solidairement responsables, soit des actes délibérés au conseil, relatifs à la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, qui auraient occasioné le danger, soit de

la négligence des mesures qui auraient dû être prises pour en arrêter les progrès; laquelle responsabilité solidaire aura lieu également contre tous les ministres, après la proclamation et tant qu'elle ne sera pas révoquée. Déclare pareillement que, dans le cas de ladite proclamation, les conseils du roi, quels qu'ils soient, sont personnellement responsables des malheurs présens, et de tous ceux qui peuvent en suivre. ›

Après une assez longue discussion le projet de décret de M. Guyton a été textuellement adopté à une très-grande majorité. M. Vaublanc a rendu compte, au nom de la commission extraordinaire, d'une dépêche par laquelle les généraux de l'armée du Rhin annoncent que la disproportion de leurs forces avec celles de l'ennemi, et l'urgente nécessité d'un renfort, les ont déterminés à requérir, dans les départemens du Haut et BasRhin, du Doubs, de la Somme et du Jura, un sixième des gardes nationales. L'assemblée a approuvé. ]

SÉANCE DU 23, au soir.

Elle commença par la lecture d'une adresse remarquable par le caractère de concision et de volonté dont elle est empreinte.

Législateurs, Manuel est nécessaire à son poste; les citoyens soussignés vous le recommandent avec instance. » Suivaient plusieurs pages de signatures. La lecture de ces quelques paroles excita peu d'applaudissemens, mais beaucoup d'étonnement. Il y a grande raison à croire que cette adresse avait été rédigée et signée aux Jacobins; car, ainsi que nous l'avons vu au commencement de ce mois, le club s'était occupé des moyens de provoquer le rappel de ce magistrat.

On lit une adresse des administrateurs du district de Trévoux, qui demandent à être autorisés à acquérir des fusils, et annoncent que sous peu de jours ils pourront en avoir trois mille.

Sur la motion de M. Régnier, l'assemblée nationale décrète que les administrations de district sont autorisées à acheter, sous la surveillance des administrations de département, aux frais du trésor public, les armes et les munitions dont elles croiront avoir

besoin pour concourir à la défense de la patrie, et qu'elles sont autorisées à prendre, par provision, dans les caisses de district, les sommes nécessaires pour les payer.

Un instant après, l'ordre des lectures amena celle-ci :

« Je vous prie, monsieur le président, de dire à l'assemblée que j'ai nommé M. Dabancourt, adjudant-général, au ministère de la guerre, à la place de M. Lajard, et que j'ai remis le portefeuille des affaires étrangères, par intérim, à M. Dubouchage, ministre de la marine. Signé Lours. >

M. Ducos. Si le roi nomme les ministres avec cette promptitude, nous pouvons espérer d'avoir dans quelques mois un ministère complet. Je demande que la commission extraordinaire vous présente un mode à ce sujet (1).

M. Choudieu. Le mode le plus prompt, le voici dans une adresse que je demande à vous lire.

Angers, le 18 juillet, l'an IV de la liberté. « Législateurs, Louis XVI a trahi la nation, la loi et ses sermens. Le peuple est son souverain, vous êtes ses représentails. Prononcez la déchéance, et la France est sauvée. - Suivent dix pages de signatures. (Applaudissemens dans les tribunes : longs murmures dans l'assemblée. )

L'impression causée par cette communication fut un instant interrompue par le département de Paris, qui se présenta à la barre, conduit par Roederer, son orateur. Il venait instruire l'assemblée de la position de l'administration départementale.

Le directoire, dit-il, était composé de neuf membres; huit ont donné leur démission. (Applaudissemens des tribunes et de quelques membres.) Le comité du contentieux, composé de cinq membres, a donné sa démission. (Mêmes applaudissemens.) Les suppléans ont refusé d'y prendre leurs places. Les circonstances n'ont permis de composer le nouveau directoire que de six membres, et le comité du contentieux que de trois; encore n'est-ce

(1) Dubouchage avait été nommé ministre de la marine, le 24, et le même jour Champion avait reçu le portefeuille de l'intérieur : ainsi le ministère était loin d'être complet. (Note des auteurs.)

que par dévouement pour la chose publique, pour qu'il n'y eût pas d'interruption dans l'administration, que des hommes ont accepté ces fonctions pénibles. » M. Roederer termina en assurant l'assemblée du zèle de la nouvelle administration (1).

Les honneurs de la séance furent accordés au département; mais ce fut moins un honneur pour lui qu'une source d'amer

tume.

En effet, presque immédiatement après lui, des volontaires de Paris, partant pour la frontière, parurent à la barre. Ils demandèrent la destitution du pouvoir exécutif, et qu'aucun ordre n'en émanât directement, c'est-à-dire, sans avoir été communiqué au corps législatif. (Applaudissemens des tribunes.)

Alors quelques voix demandèrent les honneurs de la séance pour ces pétitionnaires. L'assemblée consultée, les leur accorda. [Le Président. L'assemblée applaudit... (Plusieurs voix : Non, non.- Un grand nombre d'autres : Oui, oui.

plaudissemens des tribunes.)

M. Bazire. Faites taire ces honnêtes gens?

Nouveaux ap

M. le président. Je réponds à des citoyens qui se dévouent pour la cause de la patrie. (Applaudissemens.) L'assemblée applaudit à votre dévouement et à votre civisme, et vous accorde les honneurs de la séance. ]

Cet incident terminé, on s'occupa de l'affaire Manuel. Guadet prit sa défense, mais moins pour parler en sa faveur, que pour adresser de durs reproches au directoire. L'assemblée leva la suspension.

En sortant de la séance, quelques personnes s'étonnaient du rapide remplacement du ministre des affaires étrangères, et se demandaient şi l'on devait attribuer ce fait au discours prononcé le matin par Brissot, ou aux démarches du général Montesquiou.

SÉANCE DU 24 JUILLET.

Elle commença par un acte manifeste de défiance contre l'an

(1) Le conseil général était alors, suivant les journaux du temps, réduit à dix/ neuf membres. (Note des auteurs.)

cien ministère. L'assemblée refusa un passeport à Lacoste, exministre de la marine, nommé cependant ambassadeur près le grand-duc de Toscane.

Elle décréta plus tard, que l'on pourrait recevoir les enrôlemens des jeunes gens de seize ans accomplis, pourvu qu'ils eussent la force nécessaire.

Enfin, le général de l'armée du midi, M. Montesquiou, parut à la barre.

• Messieurs, dit-il, occupé depuis trois mois des moyens de repousser nos ennemis, j'espérais que mon zèle et mes travaux ne seraient pas infructueux. Il n'est plus permis depuis longtemps de douter des intentions hostiles du roi de Sardaigne. Le ministre des affaires étrangères en a informé l'assemblée. Elle a cependant pu ignorer que les préparatifs des Piémontais augmentent sourdement, et ont acquis depuis peu une grande extension. D'un autre côté, j'étais parvenu à établir une défensive presque suffisante sur une frontière de cent lieues de développement. Depuis Gex jusqu'à Antibes, chaque point d'attaque probable présentait, à la vérité, des forces inférieures, mais éventuellement doublées par des citoyens prêts à mourir pour la défense de la liberté ; je n'étais plus dans le cas de regarder comme dangereuse l'attaque dont j'étais menacé, et je voyais sans inquiétude se former devant moi une armée de plus de cinquante mille hommes, pourvue d'abondans magasins et d'immenses munitions de guerre. La scène a changé tout à coup. J'ai reçu l'ordre de détacher vingt bataillons pour renforcer celle du Rhin. Le roi n'a ordonné cette disposition, l'assemblée n'y a donné son assentiment, que parce qu'ils ont cru sans doute', l'un et l'autre, que le royaume était moins exposé du côté des Alpes. Je n'ai pas douté qu'une connaissance plus exacte de ma position ne fît préférer d'autres mesures. J'en ai adressé le tableau au roi, dans un mémoire dont j'ai fait remettre le double au président du comité militaire. Mes représentations ont produit une partie de leur effet. L'envoi de vingt bataillons sur le Rhin a été réduit à dix; mais ma position est telle, et le nombre des troupes que je

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