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certaines précautions, pour ne pas s'exposer à la voir rejetée. Est-il possible que nous en soyons à ce point, qu'il faille prendre des ménagemens pour faire agréer une mesure, qui seule peut assurer à l'assemblée nationale la puissance qui lui est nécessaire pour sauver la patrie........

› Puisqu'on nous y réduit, attendons donc jusqu'à demain, que nos frères de Marseille et de Brest arrivent; attendons que nous soyons en force pour présenter notre pétition.

› Mais, mes frères, mes amis, il est parmi nous beaucoup de camarades qui n'ont pas les moyens nécessaires pour attendre ici; il en est, je sens que je vais arracher des soupirs à votre sensibilité, il en est qui déjà ont été obligés, pour se soutenir, de vendre une partie des effets qu'ils avaient apportés. Permettez que je vous fasse à cette occasion un reproche, mes frères de Paris; vous ne nous recevez pas au milieu de vos familles, comme nous nous faisons un plaisir de vous recevoir quand vous venez dans nos départemens. (Mouvement d'étonnement dans l'assemblée. Plusieurs citoyens de la société, et un grand nombre des tribunes, assurent avoir souscrit pour recevoir nos fédérés, et n'en pas avoir eu (1).) Je m'attendais bien, mes frères, que l'exposition que je viens de vous faire, intéresserait vos cœurs: eh bien, mes amis, que chacun de vous prenne un de nos camarades avec lui, qu'il partage avec lui un repas frugal, son logement, comme nous venons partager avec vous vos travaux, vos dangers. Parisiens, électrisez-vous! Nous vous apportons le feu sacré que, vous nous avez envoyé. Songez que nous n'avons qu'un ennemi à combattre, c'est la machine royale; quant à la monarchie, elle restera; car elle est dans la Constitution.

» On arrête la proposition du député du Calvados. On ouvre à l'instant un registre pour inscrire les noms des personnes qui voudront loger un fédéré. ›

M. Victor Fréron, fédéré, dit quelques mots sur ce qu'il fau

(4) Jusqu'à ce jour, ces inscriptions s'étaient faites à l'Hôtel-de-Ville par arrêté municipal. (Note des auteurs.)

drait ajouter à la pétition de ses frères d'armes, et particulièrement il parle de l'expulsion de La Fayette.

. M. Billaud Varennes. Avons-nous entrepris une révolution pour conquérir la liberté, ou seulement pour passer du despotisme à l'anarchie, et retomber de l'anarchie dans un nouvel esclavage? Le peuple a-t-il renversé les tours de la Bastille, pour partager les avantages de sa victoire, ou pour consentir à rester éternellement dans la misère et dans l'avilissement. Une Constitution nous a-t-elle été donnée pour mettre un terme à l'oppression de l'arbitraire, à la cupidité des grands, aux dilapidations des revenus publics, ou n'est-elle faite que pour consacrer par la loi, ce qui n'était sous l'ancien régime que le fruit évident de la tyrannie?

› Cependant, messieurs, quelle est aujourd'hui la situation de la France et pourquoi le danger de la patrie vient-il d'être proclamé par l'assemblée nationale elle-même? Ce n'est plus le moment de se le dissimuler, c'est que le roi, plus puissant que jamais, écrase déjà, du poids de son autorité, le pouvoir législatif, perpétuellement entravé, ou par la lenteur de la notification des décrets utiles, ou par la célérité de la transmission des los corrosives, ou par des vétos contre-révolutionnaires.... C'est que le roi, chef des relations diplomatiques, dirige à son gré contre nous les armes d'ennemis qui ne combattent qu'en son

nom.....

> En vain quelques royalistes viendraient-ils dire que la comédie du champ de la fédération a effacé jusqu'aux traces du sang de nos malheureux concitoyens, impitoyablement massacrés l'année dernière, pour raffermir le trône..... Ma réponse serait tranchante ; je leur dirais que tout parjure à ses sermens a renoncé au droit d'en faire; je leur dirais que se présenter pour jurer de nouveau l'engagement qu'on a trahi cent fois, c'est sceller par une dernière perfidie toutes celles qui l'ont précédée....

› Amis, si nous sommes debout, c'est pour agir..... A-t-on une Constitution, quand la lutte des pouvoirs suprêmes est telle qu'à chaque instant l'équilibre touche au moment de se rompre?

A-t-on une Constitution, quand la sûreté publique est sans cesse menacée, et la liberté individuelle arbitrairement ravie? A-t-on une Constitution, quand sa marche est dépendante, non des lois, mais du caractère de ceux chargés de lui imprimer le mouvement, et que, par un effet naturel du jeu des passions humaines, notre existence politique n'est plus qu'une longue suite de crises convulsives et mortelles? Enfin, a-t-on une Constitution, quand elle est insuffisante pour assurer la prospérité de l'empire, le bonheur du peuple, et la paix de l'intérieur ?

› Messieurs, ce moment est décisif; nos frères d'armes sont ici; s'ils partent sans que les grandes mesures soient prises, sans que leur réunion ait produit un résultat décidé, je ne crains pas de le dire, tous les sacrifices de la révolution, toutes les espérances qu'elle nous donne, tous les efforts que nous avons faits pour la soutenir, ne conduiront la patrie qu'à l'esclavage. Et nous, il ne nous restera plus que l'alternative cruelle de mourir en désespérés, au milieu des rangs ennemis, ou en révoltés sur l'échafaud.

› C'est pour s'être contentés d'un demi-triomphe, c'est pour avoir transigné, et le 14 juillet et les 5 et 6 octobre, et le 18 avril, et à l'époque du parjure éclatant de Louis XVI, que la France est tombée insensiblement dans un état si déplorable, et qu'aujourd'hui nous avons à la fois une coalition formidable dans l'intérieur, et toutes les puissances de l'Europe qui ont eu le temps de se conjurer contre nous. Attendrons-nous done la réunion de toutes ces forces, pour prendre la résolution de leur résister avec succès? Attendrons-nous que deux cent mille hommes inondent nos frontières, tandis que, dans l'intérieur, un parti se lèvera tout à coup, et viendra se confondre parmi eux, pour concevoir enfin qu'il est temps de déjouer cette combinaison évidente?..

» On a proposé une adresse aux quatre-vingt-trois départemens, pour prendre leur avis sur une convocation accélérée d'une convention nationale. Mais cette mesure est d'une exécution trop tardive, avec un péril si imminent. D'ailleurs, pourquoi

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écrire aux départemens, quand leur vou est déjà émis par l'envoi de nos frères d'armes? Certes, la volonté nationale n'est plus équivoque, quand on voit accourir de tous les cantons de la France des défenseurs de la liberté que peuvent-ils venir faire autre chose, si ce n'est pour en assurer le règne à jamais?

Il serait impolitique de le taire : il est vrai que les décrets relatifs au danger de la patrie sont encore insuffisans. C'est un tocsin qui dit aux citoyens: accourez, le feu est là; empressezvous de l'éteindre. Eh bien! hâtons-nous donc d'arrêter les progrès d'un incendie dont les flammes étincellent déjà; et pour y parvenir, que tous les fédérés, que tous les bons citoyens présentent demain une adresse au corps législatif, pour demander, non comme on l'a dit, la destitution du roi, cette mesure est aussi fausse qu'imparfaite, puisqu'elle entraîne une discussion lente et perfide lorsqu'il est instant d'agir, puisque, d'ailleurs, c'est conserver dans son sein la couleuvre qu'on y réchauffe; mais demandons qu'une escorte suffisante conduise le roi et toute sa famille hors des frontières. Ici, ils nous trahissent làchement; là, du moins, nous les aurons en face, et leurs coups ne seront plus redoutables, dès qu'il nous sera possible de les parer.

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> Qu'on demande que, sans délai, le corps entier des officiers de l'armée soit licencié et renommé par les régimens eux-mêmes, faisant confirmer le choix des généraux par l'assemblée nationale.....

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Qu'on demande que tous les Français, sans distinction soient appelés aux assemblées primaires pour nommer les membres d'une convention nationale, sans l'intermédiaire des assemblées électorales.

› Qu'on demande que préalablement le veto soit rendu aux quatre-vingt-trois départemens, dont la sanction sera fixée par une majorité des deux tiers; et alors la loi deviendra ce qu'elle doit être, c'est-à-dire, l'expression de la volonté générale.

Qu'on demande que les travaux du ministère soient mis sous la surveillance immédiate de l'assemblée nationale.....

Qu'on demande le renouvellement instantané de tous les corps administratifs et de tous les tribunaux: ce n'est pas le peuple qui les a choisis.....

Qu'on demande qu'à l'instant l'arrestation de La Fayette et de Luckner soit prononcée.....

Qu'on demande la déportation de tous les ennemis publics connus, et que les dépenses de la révolution soient exclusivement supportées par eux.

› Qu'on demande enfin le renouvellement de ce décret cé lèbre du sénat de Rome qui, dans une circonstance absolument semblable, déchargea de toute contribution le citoyen qui n'aurait pas plus de 600 livres de revenu.

› C'est ainsi, messieurs, qu'on lie la masse du peuple au succès d'une révolution, et que, dans les plus grands périls, on cimente le salut de la patrie.

› Qu'il n'y ait plus de source de corruption, plus de traîtres dans les postes importans, plus d'obstacles aux mouvemens de l'administration, plus de complots dans l'intérieur, et alors que toute l'Europe marche ; que Louis XVI, comme un autre Xercès, vienne avec des millions d'hommes; n'en doutez pas, la victoire sera pour nous. »

Audouin prit la parole après Billaud Varennes. Il traita particulièrement de la chose militaire; mais en faisant ainsi, il sortait de la discussion qui préoccupait les esprits. Il fut écouté avec peu d'attention, et interrompu définitivement par l'arrivée de Pétion. Le maire de Paris fut reçu avec applaudissemens; il alla s'asseoir à côté du président. Sa présence, quoique nullement méditée, promettait aux fédérés l'appui de l'administration de Paris dans tout ce qu'ils voudraient entreprendre.

SÉANCE DU 16. On s'occupa de nouveau de la nécessité de la présence des fédérés à Paris. Robespierre prit la parole dans ce sens ; il engagea fortement les citoyens de Paris à tout partager avec leurs frères d'armes; et il engagea ceux-ci à presser l'arrivée de nouveaux secours des départemens.

Le peuple seul peut sauver la France, s'écria après lui un

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