Page images
PDF
EPUB

d'émulation. Je fuis, à mon tour, menacée d'avoir un jour feize ans. Peut-être qu'à cet âge je ferai, comme vous, attaquée d'inquiétude, de trifteffe, que fais-je ? de langueur, de mélancolie; car on dit que le cœur humain eft fujet à tant d'accidens! Alors, Monfieur, fi vous avez plus de gaieté que moi, plus d'ardeur & plus de courage, vous aurez la bonté de m'en communiquer un peu. En attendant, je puis avoir besoin d'être avertie de mes étourderies & de mes négligences. Ma mere eft indulgente; & je m'apperçois bien qu'elle daigne laiffer aux ans bien de petits défauts à corriger en moi. Mais ce qu'elle ne me elle peut quelquefois le faire entendre à fon ami. Tâchez adroitement d'être auffi de la confidence; & ne manquez pas de m'infruire des petits mots d'avis qui lui auront échappé, afin qu'à fon in cu j'en faffe mon profit, & que je lui ménage l'agréable furprise de voir que je prends foin moi-même de perfectionner fon ouvrage. Sur-tout, ne me flattez jamais; & commencez par fupprimer l'épithete de belle que vous m'attribuez, fans favoir fi elle me convient. Camille eft pour vous invi fible vous ne favez donc pas fi elle eft belle; jolie ou laide; & bien certainement ce ne fera pas elle qui vous dira ce qu'il en eft CAMILLE.

dir pas,

ارو

Ah! ce qu'il en est, je le fais, lui répondit Raimond, ou du moins je crois le favoir. Mais vous voulez que je l'ignore; & bien, fage CAMILLE, puifqu'il ne m'eft permis que de vous donner ce nom là, qu'au moins vous méritez fi bien, apprenez donc le changement prodigieux qu'a déjà fait dans mon efprit & dans mon ame cet aimable & tendre intérêt que vous voulez bien prendre à moi. Les vapeurs qui femblaient obfcurcir ma pensée, le font évanouies; le trouble de mes fens s'eft appaifé; la vague inquiétude qui m'agitait s'eft diffipée; le pénible tourment de ne favoir ce que je voulais a ceffé; mes vœux, mes fentimens, mes défirs & mes espérances ont trouvé un point de repos; mes rêveries, mes fonges mêmes ont pris quelque folidité. Mon pere avait beau dire; je ne voyais fur l'avenir qu'un immenfe brouillard : le brouillard s'éclaircit; j'y vois déjà poindre une étoile, & puis encore une à côté. La gloire & vous, vous & la gloire, & pour l'amour de l'une & pour l'amour de l'autre, l'ardeur du travail, de l'étude, l'impatience de remplir, de paffer votre ambition, voilà dès à préfent ce qui m'occupe avec délices. J'avais lu dans mes Livres qu'il n'y avait gueres moins d'inconftance dans la faveur de l'opinion que dans celle de la fortune; & toutes les fois que j'y penfais, je me fentais le cœur trifte, languiffant, refroidi..

Maintenant me voilà ranimé, rempli de courage. Votre eftime, belle.... Pardon, j'ai voulu dire, fage Camille, votre estime fera pour moi une perfpective brillante; & lorfque vous m'approuverez, je ferai content de moi-même. Voilà du bonheur affuré. Mais vous qui, pour être accomplie, n'avez qu'à vous laiffer aller à votre naturel, ou tout au plus qu'à vous laisser conduire par les confeils de votre mere, quel befoin auriez-vous de ma fincérité ? Ah ma fincérité vous femblera toujours complaifante & flatteufe; car je n'aurai jamais que du bien à penfer de vous. Non, votre aimable mere ne vous déguise rien qu'une partie de fa joie de l'heureux fuccès de fes foins. Le feul défaut qu'elle vous laiffe eft votre invifibilité; & fi jamais vous vous en corrigez, fuffiez-vous laide, foyez bien sûre que vous ferez belle à mes yeux" HIPPOLYTE.

Adele répliqua: » Je fuis bien aife de voir, MONSIEUR, que l'intérêt que maman permet que je prenne à ce qui vous touche, change vos devoirs en plaifirs. C'eft mon âge qui communique au vôtre fa gaieté naturelle; mais en échange, on dirait que le vôtre prête je ne fais quoi de férieux au mien. L'idée que vous avez bien voulu me donner de moi-même, m'a fait prendre à mes propres yeux un air de

dignité dont je rougis, & dont je devrais rire. Je me regarde à mon miroir, & je me dis voilà donc cette tête dont l'opinion, l'eftime aura de l'influence fur le caractere d'un homme qui fera peut-être un Héros ! Je m'imagine alors que je deviens moimême une perfonne confidérable; je me vois dans votre avenir, je participe à votre gloire, je m'admire dans tout ce que vous faites de plus beau & de plus illuftre; & j'en ai de l'orgueil plus que vous n'en aurez jamais. Maman, à qui je communique ce qui fe paffe en moi, trouve que c'est rêver trop férieufement pour mon âge; mais elle m'avertit que dans ce férieux il y a quelque grain de folie, & que mon imagination doit favoir mieux fe modérer. De votre côté, je vous vois exagérer toutes les idées qu'on a pu vous donner de moi, me croire une merveille, & me bercer moi-même de toutes vos illufions. Si cela continue, il eft poffible, dit ma mere, que la tête nous tourne à tous les deux de bonne opinion, chacun de foi, & l'un de l'autre. Laiffonslà, je vous prie, toutes ces perfonnalités & parlons dans nos lettres d'autre chofe que de nous-mêmes. J'ai mille questions à vous faire fur mes études, fur mes penfées, fur les réflexions que les Livres & la Nature me font naître. Vous, Monfieur vous devez recueillir tous les jours de vos lectures, & plus encore des inftructions

A S

10

MERCURE:

d'un pere qui a vécu dans le monde, une foule de connaissances qui feront nouvelles pour moi. Nous nous propose: ons nos doutes, nous nous confulterons l'un l'autre fur nos goûts, fur nos fentimens, nous laifferons nos opinions fe livrer quelquefois des attaques légeres; car maman permet la difpute pourvu qu'elle ne foit qu'un jeu, & comme nous ferons tous deux de bonne. foi & fans entêtement, nous aurons fouvent le plaifir de nous trouver d'accord enfemble. Enfin tous les petits événemens de notre vie, d'où il y aura quelque bonne pensée à recueillir, fe retraceront dans nos lettres; & pour vous en donner l'exemple, je vais vous raconter ce qui m'arriva hier, matin.

دو

Il y a dans un village voifin de ma demeure une petite fille appelée Marianne, que j'avais prife en amitié. Elle venait me voir fouvent; & comme elle est douce & gentille, je me plaifais fort avec elle, &, j'avais une envie extrême de la retenir près de moi. Dès l'âge de dix à onze ans, j'en témoignai le défir à ma mere. Nous verrons cela, me dit-elle, quand vous ferez moins enfans l'une & l'autre. Marianne était de mon âge; elle reffentait vivement ce qu'elle appelait mes bontés; & nos entretiens les plus doux roulaient fur le plaifir que nous aurions à paffer notre vie ensemble. Mais depuis quelque temps je me fuis apperçue

« PreviousContinue »