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LES RIVAUX D'EUX-MÊMES,

CONTE MORA L.

PREMIERE PARTIE.

Sous le beau ciel de la Touraine, dans ces plaines riantes où le Cher promene fes eaux, un loyal Gentilhomme, un ancien Militaire, veuf, & pere d'un fils unique, Varanzai, retiré du monde, jouiffait dans fa folitude des feuls biens dignes de payer d'honorables & longs travaux. Allez riche pour fe donner les plaifirs de la bienfaifance, confidéré, chéri de tout fon voifinage, il préfidait à la culture de fes champs: & de les jardins ; il faifait fon cccupation la plus férieufe & la plus affidue de l'éducation de fon fils; & pour lui rendre fes études. plus faciles, plus attrayantes, il prenait foin lui-même de lui en frayer la route & de la lui femer de fleurs. Raimond (c'était le nom du fils) avait feize ans. Déjà fortifie par des exercices pénibles, fa taille fa figure, fon caractere mâle, & la trempe de fon efprit qui répondait à celle de fon ame, tout donnait de lui les plus belles, les plus folides efpérances il était l'ami

de fon pere, & fon pere était fon ami, fans que ni d'un côté la plus docile obéiffance, ni de l'autre l'autorité la plus abfolue & la plus révérée, altérât les douceurs de leur intimité. Une tendrelle mutuelle conciliait, accordait tout, & femblait tout égalifer.

De l'autre côté de la Loire, fur les bords de la Cife, Mad. de Blofel & Adele fa fille étaient un autre exemple de cette union tendre, qui de deux ames n'en fait qu'une. La continuelle habitude de commander avec douceur, d'obéir avec complaifance, avait fi bien familiarifé le devoir avec le penchant, & le refpect avec l'amour, que ce ne femblait être qu'un même fentiment, comme une même volonté.

Adele avait à peine fes treize ans accomplis; mais l'éducation, fans rien hâter en elle, ne laiffait pas d'avoir un peu de-. vancé l'âge. Ce n'étaient point les fruits précoces de l'efprit & de la ralfen; mais c'en était déjà la fleur: celle de fa béauré, fans être épanouie, brillait d'un éclat ravillant.

De tels voifins étaient bien faits pour fe connaître; mais ils vivaient fi retirés, fi contens de leur folitude, qu'il fallut que le fort fe mêlar de les rapprocher.

Varanzai dînait, quelquefois chez l'Inrendant de la Province, homme d'un efprit fage, d'un commerce facile, & qui, A

dans les fonctions de fa place, avait pour principe, qu'on fait toujours refpecter affez l'autorité qu'on fait chérir. Madame de Blofel, bien digne de goûter & d'apprécier un tel homme, l'allait voir auffi quelquefois.

Ce fut chez lui que s'étant rencontrés, les deux voitins fe pritent d'amitié l'un pour l'autre. Il eft aifé de croire que cette fympathie commença par des entretiens fur l'article de leurs enfans, & fur les foins qu'ils fe donnaient tous deux, avec tant de plaifir, pour les former & les infruire. Lorfque de bons parens fe rencontrent enfemble, & que mutuellement ils ont la complaifance de laffer parler leur tendreffe fur l'unique objet qui les touche, un tel fujet ne arit point; & après l'avoir épuifé, op fe regrette, a befoin de fe revoir,

pour l'épuifer encore.

Séfalve, l'homme aimable dont je vous ai parlé, flatté que c'eût été chez lui qu'ils euffent lié connaiffance, mit de l'empreffement à les y attirer; & chaque nouvelle entrevue ajoutait à leur liaison plus d'intérêt encore, & plus de cordialité,

Madame, dit un jour le bon pere à la bonne mege, avec quelque réferve & quelque modeftie que vous parliez de vorre fille, je vois cependant qu'e'le ett belle, pleine d'efprit, d'un naturel heu

reux; & que formé fur fon modele, le caractere de cette enfant achevera d'en faire une femme accomplie. De mon côté, j'avoue que je n'oferais dire de mon fils tout le bien que j'en penfe, & que j'en efpere. Leur âge & leur état font d'ailleurs affortis, leurs fortunes le font affez; pourquoi ne nous accorderions-nous pas les deftiner l'un à l'autre ?

Monfieur, lui répondit Mad. de Blofel, je vais vous paraitre fantafque & peutêtre un peu romanefque ; mais d'abord je ne veux donner pour époux à ma fille qu'un homme qui lui plaife; en fecond lieu, je veux qu'elle l'aime fans l'avoir vu; enfin je veux aufli que fans la voir il la préfére à tout ce qu'il aura. vu de plus beau dans le monde; c'eftlà, je crois, le feul moyen de s'allurer d'une inclination durable. Rien n'eft hi féduifant & fi trompeur que la beauté. Dès que l'ail eft charmé, le cœur eft pris, ou plutôt il croit l'étre. Sur - tour à l'âge de votre fils, dès qu'on voit une jolie femme, & qu'on fe fent pour elle ce défir qu'on appelle amour, on fe fuade bien vite qu'elle eft bonne, fenfible, aimante; qu'elle fera fage & fidelle. Comment, dans ce joli, corfer, fous ce joli chapeau de Heurs, parmi tant de charmes naifans ne trouverait-on pas un cœur fincere & rendre, un efprit jufte & rai

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