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que renferme cette phrafe: Je jure Dieu qu'il m'a volé lui n'ofera pas jurer Dieu; on fentira que ce mot eft fublime.

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C'eft jufques là que l'on a pu

conduire des êtres privés de deux fens, fans lesquels l'homme eft par lui-même au deffous de Beaucoup d'animaux ! Celui qui a fait remonter ces individus, difgraciés de la Nature, au rang des êtres raifonnables, n'eftil pas une efpece de créateur? Cet homme eft M. l'Abbé Sicard, digne fucceffeur de Fimmortel Abbé de l'Epée, puifqu'il a perfectionné ce que celui-ci avait inventé. Il faut avoir vu M. l'Abbé Sicard opérer avec les Eleves pour comprendre ce que T'Humanité lui doit. Il réalife à tout moment la méthode progreffive imaginée par P'Abbé de Condillac, dans l'organisation d'une Statue, dont l'intelligence le développe à mefute qu'elle acquiert des fens : c'eft réellement le plus beau fpectacle, le plus curieux, le plus inftructif qui puiffe attirer l'attention d'un Philofophe, c'eft le commentaire & la preuve en action de la théorie lumineufe de Locke & de fom Difciple Condillac, fur les opérations de l'entendemen. On conçoit ailément l'enthufiafme continuel qui anime les travaux du refpectable Sicard: il crée fans ceffe, & voi des hommes fuccéder à des machines.. Il eft, fans doute, affez heureux en fe

difant tous les jours, ce que j'ai fait eft bien; mais la Nation ne doit-elle pas, moins pour lui que pour elle, décerner non pas des récompenfes, mais des honneurs à un homme d'un mérite fi urile à la fois & firare? c'eft le moyen que ce mérite ne meure pas avec lui.

SPECTACLE S..

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Si les Journaux qui paraiffent tous les jours ont l'avantage de la célérité dans le compte qu'ils rendent des Pieces de Théâtre, s'ils font: plus à portée de fatisfaire l'impatience du Public en lui annonçant dès le lendemain le premier. fuccès d'un Ouvrage, ils font exposés auffi à partager avec les Spectateurs les fautes de jugement trop fréquentes aux premieres repréfentations. Entraînés comme eux par les efforts d'une cabale trompés fur l'effet de la Piece par le jeu mal affuré des Acteurs intimidés, égarés enfin par mille autres circonftances, il leur aurive fouvent de traiter avec une injufte rigueur les Ouvrages qui finiffent par réuffit le plus & dont les représentations nombrenfes accufent la précipitation de leurs jugemens. Les Auteurs de Journaux hebdomadaires, à l'abri des erreurs du premier moment, avant de parler d'un Ouvrage, font à porée d'en voir plusieurs repréfentations, de rc-, cueillir dans le Public des opinions plus rénéchies, & Je porter des jugemens plus dégagés de paffions.. Nous en citerons pour exemple la Mere coupable,

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MERCURE

dont plufieurs Journaux ont annoncé la chute, & qu'ils ont analyfée de maniere à juftifier mauvais ce fuccès (1), tandis que cet Ouvrage, redonné trois jours de fuite, au grand déplaifir de ceux qui avaient intérêt à y nuire joué avec plus d'enfemble, plus de foin & fur-tout plus d'af furance, s'eft relevé avec éclat, & a repris le rang qu'il mérite parmi les Ouvrages de M. Beaumarchais. Au furplus, le fort de ce Drame. ne doit pas étonner i eft celui de toutes ks Pieces que cet Auteur a mifes au Théâtre, & nous pouvons dire de toutes les productions d'Auteurs célebres, qui annoncées long-temps d'avance, ne rempliffent jamais l'idée exagérée que s'en eft formée le Public.

Voici le fujet de la Mere coupable. Pendant une abfence du Comte Alma-Viva, la Comteffe s'eft retirée dans le petit château d'Aftorga, que fon époux a acquis de Léon, de Chérubin, de ce jeune Page qui adreifait à fa marraine des Romances fi naïves, & à qui fa marraine prenait un intérêt fi tendre fans s'en appercevoir. Léon, véritablement amoureux, eft arrivé un foir dans ce château dont il connaît tous les détours; il a pénétré dans l'appartement de la Comteffe, & en employant les efforts de la perfuafion, même ceux de la violence, toujours victorieufe de la part d'un Amant aimé, il a triomphe de la vetta. Il en eft né un fils, dix mois après le départ du Comte. Une lettre de Rofine a fait part de ce fâcheux événement au complice de fa faute.

des

() Quelques Journaux, rédigés, à la vérité, par Gens de Lettres, tels que celui de Paris, la Chronique', le Moniteur, ont fenti, dès la premiere représentation, le mérite de l'Ouvrage, & ont prédit qu'il fe releverait

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Celui-ci, qui la déplorait également, a répondu fur la même lettre au moment d'un combat d'ou il est revenu bleffé à mort: les dernieres lignes font écrites de fon fang. Cette lettre jointe à d'autres a été apportée par un Officier Irlandais, nommé Béjart, auquel Léon s'eft confié. Ce Béjart, efprit fouple & adroit, profite de l'intimité que doit lui donner une confidence pareille. Il a toute la confiance de la Comtéffe: il n'eft pas moins habile à s'emparer de celle du Comte. Son caractere grave & fa fauffe vertu lui donnent également des droits fur celles des enfans de la maifon, c'est-à-dire du jeune Léon, malheuneux fruit de l'égarement de Rofine, & d'une jeune pupille du Comte, nommée Floreftine & dont il prend foin. Les feuls que fes dehors affectés n'aient pu féduire, c'eft l'adroit & toujours alerte Figaro, & fa Suzanne éclairée par fon mari.

Nous avons infifté fur ces détails qui font dans l'avant-fcène, parce qu'ils fervent à fonder l'intrigue & les caracteres. Efquiffons la Piece plus rapidement. Le Comte, qui a perdu dans un duel fon fils aîné, affez mauvais fujet, d'après des foupçons infpirés par Béjart fur la légitimité du jeune Léon, a quitté l'Efpagne & s'eft établi en France Se livrant à fa haine pour cet étranger introduit dans fa famille, il change fes biens de nature, & veut les faire paffer fur la tête de cette Floreftine, fa prétendue pupille, & qui eft fa fille naturelle. Il veut la donner en mariage à Béjart, avec trois millions de dot. Mais les deux jeunes gens font épris l'un de l'autre. Pour vaincre cet obftacle, l'irlandais engage le Comte à déclarer à Floreftine qu'elle eft fa fille; mais il ne manque pas de rappeler à la jeune

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perfonne, qu'étant fœur de Léon, elle ne peut plus fe livrer à fen amour. Ce n'eft pas allez : pour augmenter la haine du Comite contre le jeune homme il veut qu'il ne lui reste plus de doute fur fa naiffance. 11 trouve un prétexte pour lui faite vifiter le coffre où la Comteffe ferre fes diamans, a l'adreffe d'en faire ouvrir le double fond par Alma-Viva lui-même, qui y trouve la lettre du Page dont nous avons paré. Le Comte furieux eft plus difpofé que jamais à donner fa fille à Béjart, & à faire partir Léon pour Malte. Celci-ci, qui répugne extrêmement a ce voyage, engage fa mere à obtenir de fon époux qu'il refe à Paris. La Comteffe, fe préparant à employer toutes les reffources de l'éloquence maternelle, veut que fon fils en feit lui-même témoin; elle le fait cacher dans un cabinet. Mais l'effet de cette conversation est bien différent de celui qu'elle ef, ere., Les éloges qu'elle donne à Léon, la comparaifon, qu'elle en fait avec le fils amé qu'ils ont perdu, enflamment la rage du Comte; il accable la malheureufe Rofine de tout le poids de cette faute qu'elle croyait fi bien cachée, qu'elle pleure & qu'elle répare depuis vingt ans; elle ne peut foutenir cette fituation déchirante qui la couvre de honte aux yeux de fon époux & de fon fils; elle éprouve routes les angoiffes de la mort, & le Comte, qui déjà en lifant cette lettre fatale, n'y avait pas vi le caractere d'une méchante femme, attendri de l'état affreux où il Fa mife, fe repent de fon emportement. Il rapproche fa vie entiere, fes vertus, fa longue péniten e de la faute d'un jour, & s'empreffe de la pardonner. Mais tout s'explique c'est par Béjart qu'on a tout fu; c'eft lui qui a trahi le Comte, la Comteffe, & il poffede déjà Les trois milions qui doivent être joints à la main

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