Elle s'attendait à une explosion de joie et à un cri de remerciment. René resta froid et calme. Comment la fille du duc de Noverre peut-elle être assez puissante, dit-il, pour apporter la liberté à un prisonnier de la République ? Que vous importe si je vous sauve. Non, il doit y avoir en vous une autre femme que je ne connais pas. - Eh bien, vous avez raison, dit la jeune femme avec assurance, et telle que vous me voyez, René, vous avez devant vous une républicaine superbe, j'ai tout pouvoir, je suis la maîtresse d'un de vos maîtres, du plus terrible, parce qu'il est le plus audacieux et le plus sanguinaire. Cette main fière et blanche que je vous offre, tous les matins signe un arrêt de mort ou de liberté. René recula comme saisi d'épouvante. - Et vous osez faire un tel aveu ? - Oui, et à vous je le ferai complet. Vous avez fait, vous, le sacrifice de votre honneur à la liberté. Jamais ! Elle continua : Moi, je l'ai fait aux mànes de mon frère, de mes oncles, de mes amis, de tous les miens, moins mon père sauvé par vous, et voilà pourquoi je vous épargne, je hais la révolution et les révolutionnaires, la république et les républicains, et je veux venger ma famille et mon roi, la monarchie décapitée et le long supplice de la reine... alors j'ai crié : Vive la République! plus haut que toi, René, que l'on guillotine comme trop modéré, je me suis fait la compagne d'un de ses séïdes et j'ai mis ainsi ta tête à l'abri. - C'est de la lâcheté, cela. - Oui, mais ce qui n'est pas de la lacheté, c'est l'ouvre que j'accomplis tous les jours, je poursuis le malheureux qui croit à mon amour et saura un jour toute ma haine au meurtre et au crime. Tous les jours j'efface dix noms sur la liste et j'en ajoute vingt. D'une main je sauve les royalistes et je fais assassiner les républicains. Elle se décapite elle-même ta République, et le jour où le dernier républicain aura vécu , nous reparaitrons, nous, et nous redeviendrons les maîtres. René était atterré. Sois avec moi, René, dit Caroline de Noverre qui était belle de passion et de haine. - Laissez-moi mourir en paix, madame, dit-il. Ah!... c'est ainsi. Ne sais-tu donc pas que c'est grâce à moi que tu vis encore, que voilà trois fois que j'efface ton nom et que demain je peux le laisser ? - C'est la dernière grâce que j'implore de vous, Caroline, dit René vivement affecté, et qui se leva comme pour la congédier. Un dernier mot. - C'est inutile. Mais tu ne verras plus Thérèse. Elle dit cela avec rage. - Ne la tues pas celle-là, répondit René avec calme, souviens-toi aussi que tu me dois de vivre, c'est tout ce que j'implore de toi. -Oh! toi parti. Cet entretien me fatigue et devient pour moi trop pénible. - Adieu donc, René... et à demain au pied de l'échafaud. - Adieu, fit René se dirigeant vers la porte qui conduisait à sa prison et sans détourner la tête. Cette femme lui faisait horreur, et il ne voulait pas la maudire. EPILOGUE au Le lendemain, oh! Caroline de Noverre était bien renseignée, la liste des condamnés à mort fut lue comme à l'ordinaire à haute voix, et le premier pom qụi frappa les échos de la prison fut celui de René d'Aubers&c. - Je suis prêt! s'écria le jeune homme. Sa toilette fut faite en même temps que celle des tres condamnés, et il attendit, avec ses compagnons, que l'ordre arrivât de monter dans la charrette qui attendait dans la cour. C'est alors, cinq minutes peut-être le séparaient du dernier et terrible voyage, qu'on vint, comme la veille, l'avertir qu'on le demandait au parloir. Il refusa de s'y rendre. On vous attend, lui fut-il dit. En effet, au moment où il suivait le couloir qui le conduisait à la cour du dépôt, il fut arrêté au passage par une femme voilée. Encore vous, dit-il avec un ton d'amer reproche, ne pouvez-vous me laisser mourir en paix ? René, je veux te sauver à tout prix, dit cette femme. Il détourna la tête. Ma voiture nous attend à la porte de la Conciergerie et va nous emmener, en quelques heures, loin de Paris et de la mort qui te menace. - Ma voiture, dit-il, la voilà, montrant une des char. rettes dans laquelle quelques prisonniers montaient déjà. Je ne veux pas que tu meures. Il est trop tard. - Regarde! Elle lui montra un papier qu'elle ouvrit. C'était un ordre de surseoir à l'exécution et signé : Fouquier Tinville. René ne lut pas le papier, il ne vit que le nom. Il pålit. - Fouquier Tinville, quoi, vous êtes... Je te sauve et nous fuyons ensemble. René la repoussa d'un geste méprisant. Adieu, madame, dit-il, j'aime mieux mourir. Elle recula atterrée, et René d’Aubersac passa devant elle. Quand elle songea à le rejoindre, il était dans une des charrettes, et les voitures funèbres s'ébranlaient. Elles prirent par la rue Saint-Honoré et arrivèrent sur la place de la Révolution, précédées et suivies par une foule énorme et tumultueuse. Mais derrière, et effleurant presque la troisième char |