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Ce fut tout ce qu'il put dire, le vaillant et beau René qui, dans une seconde, entrevit toute sa vie et les heures chaudes de sa jeunesse passées aux genoux de la fille du peuple.

Ce fut tout aussi ce qu'on lui permit de dire, car le temps accordé à la visite étant écoulé, les geôliers fermèrent le guichet.

On poussa Thérèse dehors, et elle alla tomber dans les bras de son père qui l'attendait, et l'emporta plus morte que vive par les rues de Paris.

Elle voulait aller l'attendre sur le passage de la charrette.

Tu n'iras pas, lui dit Bideauré.

Elle obéit machinalement et se laissa emmener.

Il était temps d'ailleurs qu'elle rentrât, elle grelottait la fièvre, et dans les rues on eût dit une folle.

Mais ce jour là passa pour René sans qu'on l'appelât. Le lendemain de même.

C'est alors qu'il s'étonnait et s'inquiétait même de cette prolongation du supplice, quand on vint l'avertir que quelqu'un l'attendait au parloir.

Sa première pensée fut pour Thérèse, mais aussitôt il se dit que c'était impossible et que celle-ci ne pouvait désirer renouveler l'horrible scène de la veille.

Il entra dans le parloir, et, chose étrange, dans un parloir ouvert, sans guichet et sans gardiens.

Quel était donc le personnage qui venait le visiter, le personnage assez puissant pour faire ouvrir toutes les portes et obtenir le droit d'approcher du condamné à mort?

Il regarda devant lui et ne le devina pas.

C'était une femme vêtue à la grande mode du temps et avec une exquise élégance. Cette femme devait être jeune, à en juger par la souplesse de sa taille, mais quant à son visage, il était dissimulé par un voile fort épais, et la pièce étant déjà obscure, il fut impossible à René de découvrir ses traits.

Mais comme elle restait muette, droite devant lui, il l'interpella doucement.

Est-ce bien moi, madame, dit-il, que vous venez chercher jusqu'au fond de cet antre de mort?

- M. le comte René d'Aubersac, c'est bien vous, n'est-ce pas ? dit la jeune femme avec une grande douceur dans la voix.

Il sourit.

-Je m'appelle René d'Aubersac tout simplement, répondit-il, et c'est bien assez, madame, je vous jure, pour un homme qui a si peu de temps à vivre.

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Oui, mais le bourreau ne l'a pas encore exécutée.
Cette voix... murmura René.

Vous la connaissez? fit vivement la jeune femme.
Mademoiselle de Noverre, dit René.

Moi-même.

Et la jeune femme soulevant son voile, montra le plus joli visage qu'on pût voir.

René ne pût s'empêcher, malgré le peu d'intérêt et de sympathie qui l'attirait vers cette femme, de lui en faire compliment.

Elle était belle comme au temps où elle souriait au

petit souper de Trianon et était demoiselle d'honneur de la reine Marie-Antoinette. Elle était plus belle encore, car elle était femme complète, femme superbe et brillante. Sa voix était vibrante, son œil plein d'éclat, sa bouche fraîche et pleine, on eût dit que la Révolution que l'on traversait et qui était fatale à tous les gens de sa classe, était son élément et qu'elle y puisait la force, la santé et la vie.

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Vous paraissez étonné de me voir, René? fit-elle. De vous voir, oui, mais de vous rencontrer si belle et si rayonnante surtout.

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- Pourquoi ?

Mais... tout répond à mon étonnement, quand ce ne serait que l'endroit où nous nous trouvons.

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En effet, dit-elle, je conçois votre étonnement, mais je vais bien plus vous étonner encore. D'abord, asseyons-nous, nous avons des chaises, la République fait bien les choses.

-En effet, dit René qui se rappela comment la veille il lui avait été permis de voir une dernière fois sa femme et son fils, et qui vit deux chaises auprès de lui, asseyons-nous.

- René, reprit Caroline de Noverre, je vais aller droit au but, vous vous rappelez la scène du château de Versailles dans la salle des Gardes, alors que vous refusâtes de jurer de venger...

Il l'arrêta.

Est-ce ainsi, fit-il, que vous allez droit à un but que j'ignore? Cette scène que vous rappelez est loin, nous étions jeunes alors, j'étais jeune, veux-je dire, car,

si je juge par les heures qu'il me reste à vivre, je suis un vieillard.

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Et, comme tous les hommes arrivés au déclin de la vie, vous déplorez les fautes de votre jeunesse.

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Que voulez-vous dire?

Tu ne te repens pas? René.

De quoi donc ?

Elle rapprocha sa chaise de la sienne.
-De l'outrage que tu m'as fait.

Il passa sa main sur son front.

J'ai toujours déploré cette scène, dit-il; jamais je n'y ai pensé qu'avez regret et qu'avec douleur, car elle a été la conséquence de grands malheurs, mais quant à blâmer la conduite que j'ai tenue alors, je n'y ai pas songé.

Tant pis, dit Caroline de Noverre avec une certaine sécheresse dans la voix, j'aurais espéré qu'éclairé par les événements, victime des principes invoqués alors, instrument d'hommes ambitieux et sanguinaires, vous seriez revenu, René, à des idées plus saines et plus nobles.

René se souleva sur sa chaise et le visage comme transfiguré.

-Caroline, dit-il d'une voix profondément accentuée, souvenez-vous de ceci, afin de vous le redire un jour, si, comme tout semble le faire prévoir, vous vivez longtemps après moi, à la veille de porter ma tête sur l'échafaud, condamné à mort par des Républicains, je ne renie rien de mon passé, et je suis prêt à refaire tout ce que j'ai fait.

Mais c'est de la folie.

Il sourit.

Voyez, reprit-elle, récapitulez tout ce que vous avez donné à la Révolution, et ce que vous avez reçu en échange, votre titre, votre fortune, votre grade, l'affection de votre famille, votre... honneur.

Il l'arrêta.

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Pardonnez-moi le mot... et enfin... et enfin pour votre dévouement vous qui êtes en prison, et demain... - Et demain à l'échafaud, n'est-ce pas... voilà la vérité... Eh bien! après, je suis une victime... il en faut beaucoup pour cimenter la liberté, je me glorifie d'en être une.

Allons, dit la belle Caroline de Noverre, je vois que vous êtes fanatisé, je n'essaierai pas de vous combattre... René, vous m'avez outragée et j'ai oublié que vous m'aviez sauvé la vie, car j'ai essayé plusieurs fois de me venger.

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Vous avez eu tort.

Oui, mais aujourd'hui je me souviens que vous m'avez une seconde fois arrachée à la mort.

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-Je vous dois aussi la vie de mon père, qui, grâce à vous, est aujourd'hui à l'étranger et vit tranquille à l'abri des orages révolutionnaires.

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A mon tour, je viens vous sauver et vous arracher de cette prison.

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