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trace du passage d'une foule turbulente, mais il n'y avait pas eu une goutte de sang répandue, ni une insulte directe faite à l'homme qu'on appelait roi.

La majesté royale s'était elle-même outragée en se couvrant du bonnet rouge, insigne révolutionnaire que Robespierre avait refusé avec un profond dédain, voulant des actes et non une livrée.

Mais la reine se désolait, cherchant à émouvoir les cœurs des députés, et espérant vaincre par des larmes ces hommes sur lesquels les honneurs et les richesses ne pouvaient rien.

Elle connaissait les républicains, et étudiant tous les visages, elle vit des pleurs dans les yeux de Merlin de Thionville, patriote sincère et d'un républicanisme ardent.

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Vous pleurez, lui dit-elle, de voir le roi et sa famille traités si cruellement par un peuple qu'ils ont toujours voulu rendre heureux.

Il est vrai, Madame, répondit le représentant du peuple qu'on attaquait, je pleure sur les malheurs d'une femme belle, sensible et mère de famille; mais, ne vous y méprenez point, il n'y a pas une de mes larmes pour le roi ni pour la reine : Je hais les rois et les reines!

III

BARBAROUX, SON GÉNIE, SON AUDACE ET SON AMOUR

La manifestation du 20 juin avait réveillé la haine de la cour, de la noblesse et donné un nouvel élan à la révolution.

Une continuelle agitation régnait dans l'Assemblée, et le peuple se ruait dans les clubs.

Lafayette, pour se donner une nouvelle importance et reconquérir la popularité qui l'abandonnait, quitte subitement l'armée et vient en pleine assemblée réclamer contre la journée du 20 juin.

C'était un fait accompli sur lequel personne ne peut revenir. Lafayette est mal accueilli.

Guadet monte à la tribune, et au lieu de répondre au général, comme celui-ci s'y attendait, commence par lui demander ce qu'il fait à Paris.

L'Europe est donc pacifiée, nos ennemis vaincus, nos frontières respectées, s'écrie le jeune girondin, que Lafayette n'est plus dans les camps ou sur les champs de bataille.

Lafayette balbutie, et ne retire que la honte de son action ridicule.

Cependant, la révolution tente à perdre tous les jours de son caractère grandiose. On parle partout de trahison, et jusque dans l'armée. Les émigrés répandent dans les camps les bruits les plus infâmes et parviennent à y semer le désordre et l'anarchie.

La terreur y est à l'ordre du jour.

Nos troupes fuient à Quiévrain, et deux fois nos armées sont vaincues sans avoir combattu.

Le général Dillon est menacé par ses propres soldats, lesquelles ne savent à qui s'en prendre de leur défaite et croient voir un traître dans chacun de leurs compagnons d'armes.

C'en est trop.

La France, à l'intérieur, est en pleine insurrection.
Une panique mortelle s'empare de tous les esprits.
Nous sommes perdus! disent les patriotes.

Courage, disent les royalistes, le roi est sauvé, et l'étranger dans huit jours est à Paris.

La cour lutte avec désespoir. Elle noue des intelligences avec les hommes les plus violents du parti extrême, en même temps qu'elle cherche à rallier à sa cause ceux des partis modérés.

Guadet, cet orateur passionné de la Gironde, moins splendide que Vergniaud, mais aussi profond; moins admiré, mais aussi aimé et redouté, reçoit un message se

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cret de la reine. Guadet, que la vie politique a arraché à sa ville natale, à son foyer tranquille, à sa famille respectable et à l'amour d'une jeune et belle femme qu'il aime avec tout l'enthousiasme de sa nature ardente, Guadet n'ose refuser le sacrifice de sa popularité à une autre femme qui est jeune et belle aussi.

Un soir il se dirige vers le château, et, par un escalier dérobé, il est introduit dans un petit cabinet réservé aux Tuileries. Le roi et la reine sont seuls et l'attendent.

- Êtes-vous pour nous? lui demande Louis XVI. -Non, dit le représentant du peuple.

- Nous l'espérions presque, cependant, hasarda la reine, dont la beauté, pâlie par de récentes larmes, a quelque chose de séraphique.

Je le déplore avec vous, dit Guadet, je le regrette, mais j'appartiens à la nation.

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Qui dit nation, aujourd'hui, dit ennemi de la royauté, fait observer la reine.

→ Au moins, conseillez-nous, dit le roi.

Je le ferai de grand cœur! s'écria Guadet.

Il parle, on l'écoute.

Le roi paraît satisfait de ses avis, et la reine, comme si elle eût cru inutile de masquer son visage devant un homme comme Guadet. se laisse aller à des sanglots. L'heure sonne.

Tout n'est pas perdu, madame, dit Guadet, qui songe à s'éloigner. Pour mon compte, je vous jure que je n'ai jamais rêvé la chute de la royauté, mais une royauté constitutionnelle.

Mais on nous craint donc bien, dit la reine; notre tyrannie est donc si effroyable?

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Guadet sourit.

La reine est belle, et cette beauté superbe est voilée par des larmes qui la rehaussent encore.

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Lisez l'histoire, dit-il, refoulant une flatterie que lui défend la gravité des circonstances.

Guadet s'est levé et salue avec respect.

La reine voit que le girondin lui échappe et avec lui son parti.

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Venez au moins voir mon fils.

La reine prend elle-même un flambeau, précède le représentant du peuple qui la suit, et, élevant son flambeau d'une main, de l'autre elle entr'ouvre des rideaux blancs et montre à Guadet interdit le visage souriant de l'enfant endormi.

Le jeune homme s'approche.

Les yeux humides de la reine semblent implorer un bon mouvement.

Guadet le comprend. Il a une jeune femme aussi, lui, une jeune femme que les joies et les douleurs de la maternité attendent, et qui lui saura gré de cette concession à une autre mère malheureuse.

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Madame, dit-il, permettez-moi de l'embrasser.

La reine triomphante écarte les rideaux violemment, et désigne la tête du Dauphin.

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- Elevez-le pour la liberté, madame, dit Guadet l'embrassant au front, elle est la condition de sa vie. Un instant après, le jeune homme sortait du château

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