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le visage était caché, et lequel paraissait fort assidu le nez dans un manuscrit.

Il courut à lui.

Monsieur, lui dit-il, rendez-moi un service, servez-moi de témoin, à l'instant, pour une affaire d'hon

neur.

- Je n'aime point beaucoup ces sortes de jeux, dit l'autre, mais cependant, vous m'avez l'air trop galant homme pour que je vous refuse.

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Merci, monsieur, venez vite.

- Voilà. Mon Dieu! vous n'êtes pas si pressé. On a toujours le temps de rendre son âme à l'ètre suprême! Savez-vons que cette pensée me fait frémir. Et c'est moi qui suis votre témoin, moi! si c'était seulement André, lui, à la bonne heure, il est belliqueux.

-André, votre frère, peut-être?

Oui, en poésie, mais en prose c'est mon ami, mon meilleur ami.

René pressait le pas, et entraînait l'inconnu qui avait peine à le suivre. D'une taille moyenne, d'un visage noble et régulier, mais paisible et d'une douceur infinie, l'homme semblait peu fait pour ces sortes d'affaires. -Seriez-vous poète ? dit René.

Un peu, dit l'inconnu.

Mais cet André dont vous parlez, n'est-ce pas André Chénier?

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-Alors vous êtes Roucher, pardieu! n'aurais-je pas dû déjà le deviner, dit René, Roucher le poète des Saisons. Quel autre que Roucher est digne d'être l'ami de André Chénier?

C'était ce pauvre Roucher en effet qui demeurait un peu où il plaisait à Dieu, et affectionnait surtout les environs de Paris; ce pauvre Roucher qui fut constant jusqu'au dernier jour à la poésie et à l'amitié, et qui, se rencontrant avec André Chénier dans la même charrette qui les conduisait tous deux à l'échafaud, s'écria :

Oh! puisque je rencontre un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle...

Roucher, dit René, c'est la Providence qui vous envoie vers moi. Ecoutez-moi bien, si je succombe, ce qui peut arriver, vous irez immédiatement chez Mme Roland et vous témoignerez que je suis mort en brave.

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Dieu du ciel! ne dites pas de ces choses! s'exclama Roucher, jeune et beau comme vous l'êtes. Seriez-vous un girondin?

De cœur, oui, mon nom est René d'Aubersac.

Votre main, dit Roucher; je vous connais, mon gentilhomme, je vous connais, et de longue date; je vous ai vu manoeuvrer le jour que nous prenions la Bastille.

Les deux adversaires s'étaient rejoints.

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M. Roucher, dit René au comte de Francheville, mon témoin.

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M. le marquis de Beiram, fit le comte de Francheville, le mien.

Les pistolets furent abandonnés aux témoins.

Un seul devait être chargé; et les adversaires placés à vingt pas l'un de l'autre pouvaient, à leur aise, s'avancer l'un vers l'autre, et tirer à leur fantaisie.

En présence, et le pistolet à la main, tous deux firent quelques pas en avant. René s'arrêta le pistolet en arrêt. L'officier se rapprocha vivement, en l'espace d'une seconde, et tira presque à bout portant. Le coup ne partit pas, et la capsule seule éclata.

sieur.

Malédiction! exclama-t-il, tuez-moi vite, mon

Êtes-vous d'avis qu'il ne s'est rien passé, et que toutes les opinions sont libres sous le ciel? dit René, qui tenait la vie de son adversaire au bout de son pistolet. Je suis d'avis que vous êtes un lâche et un intrigant, répondit celui-ci.

René, la pâleur au front, vint droit au comte, le souffleta des deux mains, et élevant son arme, tira en l'air et la jeta aux pieds de son adversaire.

Recommençons, lui dit-il.

Le comte bondit sous l'outrage, et se précipita sur le pistolet.

-Recommençons, reprit René impassible.

Vous me ménagez, s'écria le comte.

Pas trop, comme vous avez vu.

- Je demande que les pistolets soient rechargés immédiatement, fit le comte, que la honte et la colère rendaient fou.

Les témoins se tournèrent du côté de René.

— M. l'officier est l'insulté, dit-il, faites ce qu'il vous demande.

Les deux adversaires étaient de nouveau en présence. René ajusta son pistolet, et fit mine d'appuyer le doigt sur la détente. Le comte de Francheville se rejeta en arrière, et se rapprochant comme la première fois, tira à

cinq à six pas de René. La balle lui siffla à l'oreille, et lui effleura l'épaule d'assez près pour le blesser légè

rement.

René n'avait pas fait un mouvement, la douleur n'avait pas contracté un muscle de son visage. Il ne prononça pas une parole, fit quinze pas en arrière comme son adversaire en avait fait quinze en avant, et tira.

Le comte de Francheville, frappé en pleine poitrine, roula sur le sol. Il n'avait pas poussé un cri; et la mort avait été instantanée.

L'arme échappa des mains de René.

Voilà mon premier duel, dit-il.

Le soir même il était de retour à Paris, et courait chez Marcel. Ne rencontrant pas celui-ci, il allait chez Thérèse, et ne l'apercevant pas, s'informait d'elle aussitôt.

C'est Marthe qui lui répondit. La jeune fille ne savait rien cacher. Elle raconta tout, l'inquiétude de cette mortelle soirée et le dévouement de son amie.

L'erreur n'a point dû cependant se continuer, pensa René, il n'a point dû tenir à elle de prolonger son dévouement.

Elle n'est pas revenue, dit Marthe.

Plusieurs mois s'étaient écoulés, et l'on n'avait jamais revu Thérèse. Ni les démarches, ni les réclamations, ni les menaces n'avaient abouti. Personne sur son compte n'avait pu donner le moindre indice. On assurait qu'elle n'était détenue en aucun lieu. Marcel continuait ses recherches, et s'était juré de la retrouver. René était tombé dans un morne désespoir que Mme Roland et Gabrielle seules parvenaient à secouer, et que les événements ne changèrent point.

Il était ainsi devenu depuis peu, en même temps que l'ami des girondins, l'ami de Danton et de Camille Desmoulins. Plusieurs fois il avait amené Gabrielle chez l'un ou l'autre de ces deux patriotes, et celle-ci s'était prise de vive affection pour les jeunes femmes de ces tribuns.

Lucile, surtout, la ravissante Lucile, la compagne de Camille Desmoulins, lui avait plu particulièrement.

Alors, Camille était marié, et écrivant à son père pour lui raconter son mariage, lui disait :

« Tout le monde s'accorde à admirer ma femme comme une beauté parfaite, et je vous assure que cette beauté est son moindre mérite. Il y a peu de femmes, qui, après avoir été idolâtrées, soutiennent l'épreuve du mariage; mais plus jé connais Lucile et plus il me faut me prosterner devant elle.

>> Ma femme vous embrasse, vous, ma chère mère et toute ma famille. Elle me charge de vous dire qu'elle n'a pas eu encore le temps de se reconnaître, qu'elle n'ose vous écrire de peur de ne pas soutenir l'opinion que je vous donne d'elle, et qu'elle remet sa lettre à quelques jours. Elle a été enchantée de votre lettre au sujet de mon mariage, et elle la garde bien précieusement; elle l'a relue deux fois avec attendrissement.

Votre fils,

CAMILLE DESMOULINS,

le plus heureux des hommes et qui ne désire plus rien au monde.

Hélas! le bonheur est toujours de courte durée. Ca

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