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blanc et rose comme un ciel, et qui affectionnait aussi René comme un autre frère. Se repentant d'avoir livré passage à de si étranges visiteurs, et se méfiant d'un danger possible, elle insista afin de démontrer aux agents que M. d'Aubersac ne se présentait jamais à une heure aussi avancée dans un logement ami.

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S'il ne vient pas, nous en serons quittes pour une perte de temps, dit l'un d'eux, nous avons l'ordre de passer la nuit à cette porte.

A votre aise, dit la petite Marthe, qui essaya de dissimuler son émotion et ses craintes.

Elle entra alors seulement dans la chambre de Thérèse et avoua à celle-ci la visite qu'elle venait de recevoir, lui dépeignant les fâcheux visiteurs qui gardaient la porte.

Il est perdu! exclama Thérèse qui devint subitement pâle.

Mais il est fort possible que René rentre tout de suite chez lui, objecta l'enfant.

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De toute manière il est perdu, te dis-je, crois-tu que ceux qui ont intérêt à se saisir de sa personne n'ont pas posté des individus à la porte de sa propre demeure, puisqu'ils en envoient bien ici?

C'est vrai, dit Marthe qui ne trouva plus un mot à objecter.

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Mais ce n'est pas chez lui qu'il sera pris, continua Thérèse, mais ici. Ce soir, il accompagnera Marcel qui doit venir me donner des nouvelles de mon père; il me

l'a promis tantôt. Avait-il déjà le soupçon de quelque danger et pensait-il être plus en sûreté dans cette maison? Le fait est possible, mais il viendra, je le sais.

Comment faire? fit Marthe.

Il reste bien appendus à la muraille de la chambre où René couchait quelquefois, un pistolet ou quelque autre arme? dit Thérèse qui réfléchissait.

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Que veux-tu dire?

Trois contre trois, ces hommes qui sont lâches fuiront ou rendront l'âme.

Marthe, qui était femme jusqu'au bout des ongles, et qu'une arme à feu effrayait, ne put s'empêcher de sourire.

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Enfant, fit-elle, folle, plutôt, crois-tu que trois individus se risqueraient jamais d'en venir arrêter un seul?

Au moment où j'ouvrais la porte, j'ai vu des ombres sinistres se dessiner sur les murailles. Les corbeaux sont au moins sept ou huit.

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Diable, fit Thérèse, la lutte serait peut-être iné

Je le crois, puis, que veux-tu faire, toi, femme?

Femme, il n'y a pas de femme en temps de révolution, il y a des cœurs qui battent, des voix qui acclament, et des bras qui se défendent.

Il y eut un instant de silence.

- Et impossible de le prévenir, dit Thérèse, va trouver ces hommes et essaie de les fléchir, fit-elle subitement.

Marthe avait quitté la chambre de Thérèse.

Celle-ci aussitôt s'approcha d'un miroir, et arracha le

peigne qui retenait dans ses dents d'écaille son opulente chevelure. Sa robe dégraffée tomba à ses pieds, et les nattes épaisses de ses cheveux noirs se déroulèrent sur ses épaules nues. Soudain, d'une main fébrile elle les réunit, et de l'autre se saisissant de ciseaux, l'acier courut dans les longues tresses et cria avec un bruit sourd. Ses magnifiques cheveux s'échappèrent sur sa poitrine et jonchèrent le sol.

Thérèse ne leur donna même pas un regard de regret ni un sourire de compassion. Elle se dirigea ensuite-vers une armoire qu'elle ouvrit avec précipitation, et en tira plusieurs vêtements d'hommes dans lesquels elle choisit à la hâte.

Quelques minutes après, Thérèse n'était plus reconnaissable.

De haute taille comme on sait, large des épaules et forte de poitrine, le gilet à revers, le justaucorps bleu foncé à boutons de cuivre, le chapeau à claque et les bottes molles lui allaient à ravir, d'autant plus que ce costume tout de fantaisie appartenait à René dont la taille moyenne pour un homme ne dépassait pas de beaucoup celle de la jeune fille.

Marthe en ce moment intercédait avec véhémence près des agents.

Thérèse renversa un meuble pour attirer l'attention de ceux-ci, et faisant résonner ses bottes sur le parquet, elle se présenta hardiment et gaillardement devant

eux :

-Ma foi, messieurs, fit-elle, c'est trop, palsembleu ! vous faire attendre, et puisque vous êtes décidés à ne pas lâcher pied, je me rends à votre discrétion.

Vous êtes M. le vicomte René d'Aubersac? demanda l'un.

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En personne. Que voulez-vous de moi?

- Vous me paraissez bien jeune?

soir.

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Alors ce n'est pas moi que vous cherchez, bon

Un instant, un instant, fit notre homme, vous répondez parfaitement au signalement qu'on nous a donné, seulement vous me paraissez bien jeune.

Encore.

Mais comment se fait-il que nos collègues nous ont assuré vous avoir vu aux jacobins et que nous vous trouvions ici? dit un autre.

Vos collègues sont des imbéciles.

- C'est possible, mais la chose n'est pas claire.

Je le reconnais, fit le troisième des agents à l'oreille de celui qui paraissait le supérieur.

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Bah! vous l'aviez donc déjà vu?

- Jamais.

- Eh bien alors, vous êtes un âne.

Non pas. Tous ces nobles-là se ressemblent, et dernièrement, à la Comédie française, j'ai parfaitement vu un marquis tout jeune, et je crois pardieu bien que c'est ce petit vicomte-là.

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Vous êtes un sot, fit l'agent plus expérimenté, qui réfléchit cependant que son subalterne pouvait bien ne pas avoir tort.

Et s'adressant à Thérèse, jouant jusqu'au bout son rôle et soutenant merveilleusement son personnage.

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Marthe ouvrit de grands yeux, ne revenant pas de son ét ɔnnement.

Que vont-ils faire de toi, mon Dieu! s'écria-t-elle.
Qu'importe, fit Thérèse, je le sauve.

Dans le même instant, René jugeant qu'il était vraiment trop tard pour déranger Thérèse, et, dans la chaleur de la discussion, oubliant le danger qu'il pouvait courir et dont la veille on l'avait cependant prévenu, quittait Marcel et rentrait chez lui.

Quand ce dernier se présenta devant Marthe, celle-ci le voyant seul poussa un cri.

-René, s'écria-t-elle ?

- Eh bien, fit Marcel, il est chez lui.

Marcel comprit tout dans un instant et se précipita dans l'escalier.

A deux minutes de distance, deux voitures semblables et aux stores fermés passaient sous les fenêtres de Marthe, brûlant le pavé, et s'éloignant dans la direction des quais. Dans la première était Thérèse divertissant fort par son babil les agents triomphants; dans la seconde se démenait René, les mains liées et la menace à la bouche.

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