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Cette attitude courageuse dans un tel moment imposa à ces hommes, qui rentrèrent les poignards dans les ceintures.

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- Va, dit l'un, nous veillerons sur toi.

— Va, dit l'autre, nous n'avons pas le courage de tuer une femme.

- Il a su se faire aimer, pensait simplement un de ces fanatiques, c'est que ce n'est pas un méchant homme.

Et Louvet et la jeune femme s'éloignèrent.

Ils dirigèrent leurs pas bien loin. Ils avaient descendu la rue Saint-Honoré, le faubourg du Roule et franchi la barrière. Ils marchèrent encore longtemps et ne s'arrêtèrent qu'à la lisière d'un bois, et près d'une route royale. Là s'élevait une petite maison composée d'un rez-dechaussée et d'un étage, entourée d'un potager ombragé de marronniers et planté de vignes. Il était près de trois heures de la nuit, et on les attendait sur le seuil de la rustique demeure. Louvet et la jeune femme entrèrent, et tous deux s'embrassèrent avec des larmes de joie.

Veux-tu que je renonce à cette vie de périls et d'émotions, dit Louvet, je suis prêt à te sacrifier tous mes rêves et la popularité enviée pour m'enfoncer avec toi dans la retraite.

Et la patrie, dit la jeune femme, l'oublies-tu ? N'estce donc pas un devoir pour tout homme de la servir et de lui être utile selon ses facultés? L'orage gronde, laissons les pauvres d'intelligence se mettre à l'abri; et que ceux qui ont reçu d'en haut les lueurs sacrées de la raison s'exposent pour le peuple.

- Oui, dit Louvet, mais une autre fois attends-moi

plutôt toute la nuit que de te risquer aux portes du club à pareille heure.

J'avais un pressentiment. J'aurais souffert jusqu'à ton retour, et j'ai préféré courir au-devant de toi. C'est la faiblesse d'une femme qui t'a sauvé, Louvet.

Dis son courage, amie.

Cette femme était Lodoïska, la compagne de Louvet, sa maîtresse.

Des femmes de 93, les femmes sublimes et courageuses, nous en trouverons jusqu'à la dernière heure.

Depuis l'âge le plus tendre ils s'aimaient tous deux. Louvet n'avait rêvé la gloire que pour en couronner son front, il n'avait ambitionné la grandeur que pour la partager avec elle. Tout petit il l'appelait sa femme, et Lodoïska répétait, à qui voulait l'entendre, qu'elle n'aurait jamais d'autre mari que Louvet. Le pauvre garçon attendit en vain. La famille lui refusa la main de Lodoïska et celle-ci fut forcément mariée. Les parents et le mari moururent; Lodoïska se retrouva libre, et profita de cette liberté pour voler dans les bras de Louvet. Elle était républicaine comme lui. Son enthousiasme ne le cédait en rien au sien. Mais l'égoïsme de l'amour se glissait dans son patriotisme. Elle voulait avant tout de la popularité pour son amant.

Ils vivaient dans cette petite maison éloignée de toutes coteries et du bruit des foules. Ils travaillaient ensemble tout le jour, et le soir Louvet parlait dans les clubs. Plus tard, quand celui-ci fut nommé à la Convention, ils quittèrent leur retraite et vinrent habiter la rue SaintHonoré. Ils avaient vécu leurs plus beaux jours.

Mme Roland aimait Louvet et avait pour lui une ten

dresse excessive qui ne se ralentit jamais. Elle aimait aussi Lodoïska. La jeune femme, pour se dérober aux recherches de sa famille, se cachait à tous les yeux. Louvet voulut que Mme Roland la vît et que Lodoïska méritât son affection. La future femme du ministre vint un soir coucher à la petite maison champêtre, et le lendemain on déjeûna frugalement sur la mousse.

Etaient-ce donc là des buveurs de sang?...

Mme Roland eut des larmes dans les yeux. Son mari à elle était vieux, froid, absolu et sans retour de tendresse, mais il était bon, juste, digne d'estime et de respect, elle se consola.

Revenons à l'heure où Louvet échappait à un péril imminent; en ce moment, trois agents de police frappaient à la porte de Thérèse, et trois autres à celle de René d'Aubersac.

La cour, quoique surveillée, était encore puissante. Lafayette, à l'abri du patriotisme qu'il affichait, la servait à l'intérieur comme au dehors.

Dumouriez, de retour de l'armée et se liant avec les girondins, entretenait un commerce secret avec elle. Partout elle avait des émissaires qui l'instruisaient des moindres événements et la prévenaient contre les hommes nuisibles à sa cause.

Il y avait de ces hommes trop connus, trop aimés du peuple pour qu'on osât porter 'une main sacrilége sur leur personne. Mais il y en avait certains autres plus obscurs et non moins acharnés contre la royauté. Ceuxlà on essayait de les faire disparaître.

Il faut avouer que c'étaient plutôt des actes de vengeance que la cour accomplissait que des actes de pré

voyance et de sûreté. Quelques individus de plus ou de moins tonnant contre une cause perdue n'étaient pas une affaire.

Mais les représailles commençaient dans cette cour humiliée qui n'en étaient qu'à la veille de sa chute. Ce n'était point aux hommes du peuple qu'elle en voulait, mais à la noblesse ingrate, aux gentilshommes qui avaient déserté le drapeau de la monarchie, et se mêlaient dans les rangs des réformateurs. Au nombre de ces derniers, on citait le vicomte d'Aubersac *.

Plusieurs fois, des agents supérieurs avaient lâché leurs limiers sur l'ami des girondins. Mais jusqu'à présent celui-ci avait su échapper à leur vigilance.

Cette nuit en question, ils l'avaient guetté à la sortie du club des jacobins, mais le voyant bien entouré, ils n'avaient osé l'approcher, et se divisant par bandes, les uns s'étaient dirigés vers son logement et les autres vers celui de celle qu'on soupçonnait devoir être sa maîtresse.

lui.

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Il ne rentrera pas ce soir, avait-on répondu chez

Nous le verrons bien, dirent les agents.

M. René d'Aubersac n'est pas attendu ce soir ici, dit-on aux trois derniers.

Nous désirons nous en assurer par nous-mêmes, firent ceux-ci.

Thérèse était guérie de la blessure reçue au Champde-Mars, mais pour ne plus être inquiète sur son sort,

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Lire les Amours d'un Garde française, volume in-18, LASSERAY, éditeur.

elle ne l'était que davantage sur celui de René qui n'avançait plus dans la vie qu'au milieu de périls sans nombre. Par sa situation, le jeune homme avait tout à craindre. Haï des royalistes, dont il avait renié hautement les principes; vu avec soupçon par le parti modéré; repoussé par le parti extrême, comme noble et comme fédéraliste, René jouait dans la révolution un rôle dangereux, que l'on eût pu traiter d'absurde, si l'homme était responsable de sa naissance, et coupable de trop d'élévation dans les sentiments.

Thérèse avait encore déménagé pour offrir un refuge à René s'il était poursuivi. Bideauré, traqué de son côté, avait pris aussi un autre logement. Thérèse habitait alors un petit entresol situé dans le quartier désert du Marais, composé de trois pièces. Elle n'était pas seule et partageait son modeste abri avec une toute jeune fille nommée Marthe.

Cette Marthe, c'était plus, qu'une amie pour Thérèse, c'était une sœur.

Et c'était bien sa sœur en effet, puisqu'elle était la sœur de ce pauvre Marcel Boucherot qui, ayant perdu sa mère au pays, l'avait fait venir à Paris et l'avait donnée pour compagne à Thérèse.

Marthe était la plus jeune des deux jeunes filles et la plus expérimentée. Aussi s'était-elle attachée à Thérèse d'une façon toute particulière.

Il y avait à peine quelques semaines que les deux enfants vivaient l'une près de l'autre qu'elles étaient liées comme si elles ne s'étaient jamais quittées.

C'était Marthe qui avait ouvert, une enfant, dix-sept ans à peine, dont la vie était comme un livre immaculé,

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