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La plaisante nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont, avec la Harangue du capitaine Picotin1 faicte au duc de Savoye sur le mescontentement des soldats françois.

A Bezié, par Claude Moret.

1615, in-8.

à, çà, çà, où sont-ils? A la guerre! à la guerre! Me voicy tout prest à bien faire. A quoy tient-il qu'on ne m'employe? Vite, vite, Picotin meurt de faim! une bonne table, une bonne cuisine! Qu'on se depesche ! j'ay plus d'envie d'escrimer des dentz que de jouer de

1. Le capitaine Picotin étoit sans doute un de ces aventuriers qui, pendant le chômage des guerres, alloient se mettre au service des petits Etats étrangers, notamment à celui des princes d'Italie, et leur prêtoient leurs secours mercenaires dans les querelles qu'ils avoient entre eux. Ainsi, c'est en France que l'Italie du XVIIe siècle, bien différente de ce qu'elle étoit aux époques antérieures, se recrutoit de condottieri. Les financiers italiens, alors s nombreux à Paris, se chargeoient pour l'ordinaire de ces embauchements. Malherbe nous parle d'une affaire de cette espèce que le banquier Cenami, dont il a été question

la picque. Mais quoy! j'ay beau dire, pour tout cela point de table mise, point de cuysine qui fume, personne ne rinse des verres, point de flascon, point de bouteille, rien; je ne vois que la campagne, et me faut paistre de boire la poussière. Ha! pauvre Picotin, quand j'estois ché le bon homme1, je faisois chère de cavaliers, je me faisois traicter en marchand et payois en soldat; et maintenant je ne treuve pas d'eau fresche pour me gargariser la dent!

A! ventre sus ventre! tue! tue! tue! L'ennemy,

dans notre tome 3, p. 174, avoit ainsi montée pour le duc de Lucques: Sennamy (sic) ayant fait offrir à MM. de Lucques de leur mener et nourrir, durant leur guerre contre le duc de Modène, trois cents hommes de pied, ils lui ont donné commission.» (Lettre de Malherbe à Peiresc du 14 septembre 1613) On finit par s'inquiéter à la cour de ces enrôlements, qui appauvrissoient la France de soldats. Louis XIII les défendit par les lettres-patentes du 22 septembre 1614, que nous avons déjà citées (t. 5, p. 217). C'est avant cette date que le capitaine Picotin avoit dû servir le duc de Savoie. Tout me donne à penser, en effet, que l'expédition pour laquelle il lui avoit mené sa compagnie est celle du Montferrat et de Mantoue, vers le milieu de 1613. Malherbe, dans sa lettre du 4 juin, appelle cette guerre « la chaleur du foie de M. de Savoie », sans doute parcequ'il s'y étoit jeté en affamé qui va tout dévorer; mais, la France, l'Espagne et les Vénitiens s'étant mis de la partie, il fallut bien qu'il se calmât et fît la paix. Le renvoi des compagnies mercenaires dut suivre de près. De là la plainte du capitaine Picotin.

1. Le paysan. V. plus haut, p. 53, note, et, sur les ravages des soldats dans les campagnes, notre t. 5, p. 215, note.

voyant mes moustaches relevez, fuira devant moy. Guara, guara gli signor Picotin ! Tu seras maistre de Milan, tu mesureras le velours à la picque. Çà, qui en veut achepter? Envoyez-moy des marchands, j'en feray bon marché. Toutes les villes seront à toy, te voilà maistre du païs. Ha! les belles signore qui seront à ton commandement! A la guerre, à la guerre, Picotin !

Mais je pensois puis après d'autre sorte. Où vastu, Picotin? Tu t'en vas à la guerre, tu n'as point d'argent, on n'en reçoit point: comme feras-tu pour t'entretenir et tes compaignons? Faudra se curer les dents à la napolitaine : un peu de pain seulement, et bien souvent point; tes souliers finis, faut marcher sur la chrestienté1. Nuict et jour, couché sus la dure, à la pluye, aux vents, aux orages, l'ennemy en teste, il se faut battre; on tue, on estropie, l'on ne regarde à qui l'on donne, l'on ne prefère personne. Que diable est cela? Alte, alte, Picotin ! je me donne à cinq cens mil pistoles des plus belles et pesantes qui soient dans le Curial de Madrid si je vas à la guerre!

Mais quoy! capitaine Picotin, tu as esté tousjours si vaillant, jamais il ne t'a manqué de valeur, et maintenant que le grand Turc veut attaquer les Maltois 3, perdras-tu courage? Nenny, nenny. Où sont

1. C'est-à-dire sans semelle aux souliers, et par conséquent nu-pieds, comme les premiers chrétiens. 2. L'Escurial.

3. Ces projets d'expédition du sultan Achmet ler contre Malte n'eurent pas de suite.

ilz? Vitte une croix de Malte, un vaisseau prest, que je m'embarque; despechons vitte en trois coups à Malte, à l'armée contre le Turc; prenons Tripoly, allons vite assieger Constantinople'. Il est nostre. Courage! Rends toy, grand Turc! Je le tiens prisonnier, prisonnier! Il est à moy. Donne-moy tou cimeterre. Ha! le vilain! comme il pu! Il a chié en ses chausses de la peur. Teste de Mahom! comme ces diables de Turcs fuyent! J'en veux aujourd'huy plus tuer que jamais ne fit Oger le Dannois. Petardons le serail, allons viste prendre ces sultannes. A la guerre, à la guerre! Vive le capitaine Picotin, par mer et par terre!

Ha! Picotin, où veux-tu aller? Ce n'est pas peu de faict de t'embarquer. La mer a des grosses ondes: si une fois tu estois enveloppé là dedans, il y a des poissons qui t'avalleroyent en un mourceau, et le faudroit puis sortir par le trou du cul. Vive ceux qui plantent des choux! ilz ont un pied en terre, et l'autre pas guère loing 2. Puis tu serois canonné, tu ne pourrois pas retenir les balles de canon à ta main pour les renvoyer contre tes ennemis, comme fai

1. Toute expédition contre le Turc étoit très populaire en France; V. t. 5, p. 212. A la fin du règne de Louis XIII, ce fut un empressement général pour aller au secours de Candie, assiégée par l'armée ottomane. La chanson Allons à Candie, allons, couroit partout. Annibal Gantez, à qui Louis XIII avoit commandé une messe, ne manqua pas de faire chanter son Kyrie eleison sur l'air de la belliqueuse chanson. Il étoit sûr d'être ainsi populaire et à la mode du premier coup.

2. « O que trois et quatre fois heureulx sont ceulx qui

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