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« térêts, parce qu'il n'est jamais permis à qui que «ce soit de s'enrichir aux dépens d'autrui, et que d'ailleurs celui qui a fait tort à quelqu'un est tenu • de le réparer;

« Considérant que le fait du déroyage est consa taté par les mesurages produits au procès, avoués « et formellement reconnus par Cheval;

« Considérant que c'est inutilement que le défendeur a soutenu que semer du lin, trèfles, et << planter des pommes-de-terre n'était pas déroyer, « puisque de l'enquête du demandeur et de celle « du défendeur il résulte évidemment que semer ou planter de ces sortes d'objets, c'est déroyer; »

«

A adjugé au sieur Jackmar, ses fins et conclusions,

Cheval se porta appelant; mais, étant décédé peu après la date de son acte d'appel, l'instance fut reprise contre sa veuve et ses enfans.

Les appelans ont établi cinq griefs, dont trois posaient sur l'esprit général des baux à ferme, depuis le perfectionnement de l'agriculture, et deux sur l'esprit particulier du bail dont il s'agissait :

1.o Le premier juge, en bornant le fait de l'enquête à la signification du mot déroyer, abstractivement à tout usage et à la nature du sol; et, en faisant ainsi résoudre une question de grammaire pac des cultivateurs, a dénaturé celle qui était soumise à sa décision;

2. Il n'a pu se dispenser d'admettre la preuve, of

ferte par Cheval, qu'il était d'usage à Saint-Amand et lieux environnans de refroisser, c'est-à-dire, de cultiver dans la saison des jachères à proportion des moyens de fumure de chaque fermier, la dernière année du bail exceptée;

3. Le refroissis étant naturellement avantageux et la jachère nuisible, il n'y avait pas à présumer que le fermier, en exploitant une partie de la jachère, avait pratiqué une culture forcée; le premier juge n'avait donc pu sans injustice le déclarer déchu de son bail, sans avoir constaté ce fait essentiel;

4.0 L'ensemble du bail attestait que les parties avaient consenti la nouvelle culture : les articles 1 et 3 imposaient au fermier l'obligation de fumer extraordinairement, et l'article 10 lui permettait, moins d'interdiction, d'ensemencer la jachère : il résultait de cette combinaison de clauses que l'interdiction ne pouvait être portée que dans le cas d'une culture forcée, et contraire à la pratique des bons cultivateurs; que, dans toutes les hypothèses possibles, il était préalable à toute interdiction, de la part du sieur Jackmar, s'il voulait revenir à l'ancienne culture, de décharger le fermier de l'obligation des fumures extraordinaires que nécessite la nouvelle ;

5. La condition résolutoire n'avait pu être appliquée par le premier juge, au cas de l'exploitation de la jachère, puisque les parties contractantes avaient énoncé que ce ne serait que la dernière année que nécessairement le fermier serait tenu de laisser en jachère, dans l'ordre du royage, le tiers des terres : par une conséquence immédiate, la clause était laissée, en ce qui concernait les années précédentes, à l'arbitrage

l'arbitrage du juge, qui ne pouvait prononcer la déchéance du bail, qu'autant que le bailleur aurait allégué et prouvé un dommage souffert.

Les appelans ont développé les trois premiers moyens, en faisant observer les changemens heureux qui s'étaient opérés dans l'agriculture, et d'après les quels la défense de déroyer ne peut plus s'appliquer à l'exploitation de la jachère, pour les terres que la nature n'a pas frappées de stérilité : ils ont montré que la jurisprudence des tribunaux avait suivi les progrès de ce premier des arts.

Le repos des terres après deux récoltes de graminées était regardé autrefois comme nécessaire à leur conservation on le voit prescrit par les anciens baux et même par les coutumes des provinces, sans excepter celles où le sol est naturellement fertile; mais, depuis que l'agriculture s'est perfectionnée, on a acquis la certitude que la terre n'avait besoin que d'engrais bien appropriés à la nature du sol, pour por→ ter chaque année : on á connu aussi un meilleur systême d'assolement, et l'expérience a démontré qu'en faisant succéder les plantes légumineuses aux graminées, et par l'établissement des prairies artificielles, le cultivateur rendait plus de sucs à la terre qu'il ne lui en ôtait.

On a même reconnu que la nouvelle méthode de culture, indépendamment des ressources qu'elle fournit pour la nourriture et l'accroissement des bestiaux, a encore le précieux avantage d'améliorer le sol, en détruisant les mauvaises herbes qui dévorent les champs en jachère, en disposant le sol à

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la plus grande fertilité par le débris des feuilles par celui des racines de ces plantes utiles, par l'augmentation des fumiers qu'elles procurent, et par l'humidité qu'elles conservent à la terre, tandis que les jachères la dessèchent et la durcissent, en la laissant exposée à l'action continuelle du soleil ou de la pluie (*).

Les nouvelles idées qu'on s'est formées des effets de la jachère, diamétralement opposées aux anciennes, ont dû nécessairement introduire à son égard un changement total dans l'acception du mot déroyer: car, il signifie dérégler, et il est synonyme de dessoler, usité dans l'ancienne France.

Dans l'enfance de l'art, c'était sans doute dérégler, que de faire porter une plante quelconque à la terre dans l'année consacrée à son repos, jugé nécessaire, après deux récoltes de graminées.

Mais, depuis qu'on a établi un meilleur assolement, depuis que les bestiaux se sont multipliés par les prairies artificielles, et les engrais par les bestiaux, ceux-là seraient coupables de déréglement, qui, avec de grands moyens de fumures, laisseraient le tiers des terres en friche chaque année en effet, ils appauvriraient le sol, en même temps qu'ils diminueraient la masse des productions; ils nuiraient

(*) On ne doit pas considérer la suppression des jachères, dit Tau 'auteur des Considérations sur l'organisation sociale, comme une simple augmentation d'un tiers des produits, mais bien comme le triplement du revenu disponible; parce que cette opération, en utilisant le tiers des terres abandonnées, améliore en outre chaque jour le sol de ces contrées, et qu'elle augmente ainsi la production des derres cultivées en grains.

au public, aux propriétaires et à eux-mêmes, ce qui serait le plus grand déréglement possible.

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Ces observations montrent que la question telle qu'elle est posée par le premier juge, vaguement et sans égard à la qualité du sol et à l'usage, ne pou vait pas être la matière d'une enquête.

Par une conséquence immédiate, la déchéance fondée sur le sens que le mot déroyer, appliqué à la jachère, avait dans l'enfance de l'agriculture, est une injustice manifeste.

Au surplus; la jurisprudence a marché de concert avec l'art; les tribunaux n'ont pas eu jusqu'ici à se reprocher de s'être asservis au joug d'une dénomination qui, par d'heureux changemens, avait perdu sa primitive acception.

M. Merlin, dans le Répertoire de jurisprudence, au mot assolement, rapporte trois jugemens qui ont statué que le dessolement pouvait être justifié par l'usage, quoiqu'il fût expressément défendu par les baux ou par la coutume locale.

Le premier est du conseil d'Artois; le bail portait la clause de ne pas dessoler, ni déroyer: nonobstant la défense, le fermier sortant cultiva la jachère la dernière année du bail; le nouveau fermier le fait assigner, mais le conseil lui ordonne de rapporter la preuve dans le mois, qu'il est d'un usage général et universel dans la commune où la ferme était située, de laisser le tiers des terres en jachère la dernière année de l'exploitation; l'ancien fermier entier dans sa preuve contraire.

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