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Le général Paoli a parlé ensuite en fon nom & a dit:

Meffieurs, ce jour eft le plus heureux & le plus beau de ma vie. Je l'ai paffée à rechercher la liberté, & j'en vois ici le plus noble spectacle. J'ai quitté ma patrie affervie, je la retrouverai libre: je n'ai plus rien à defirer.

Je ne fais, depuis une abfence de vingt ans, quel changement l'oppreffion aura fait fur mes compatriotes; il n'a pu être que funefte, car l'oppreffion ne fait qu'avilir; mais vous venez d'ôter aux Corfes leurs fers, vous leur aurez rendu leur vertu premiere.

En retournant dans ma patrie, mes fentimens ne peuvent pas vous être douteux. Vous avez été généreux pour moi & jamais je n'ai été esclave. Ma conduite paffée, que vous avez honorée de votre fuffrage, vous répond de ma conduite future. J'ofe dire que ma vie entiere a été un ferment à la liberté, c'est déja l'avoir fait à la conftitution que vous établiffez; mais il me reste à le faire à la nation qui m'adopte, & au fouverain que je reconnois. C'est la faveur que je demande à l'augufte affemblée. Ici le général Paoli a prêté le fer

ment.

Réponse de M. le préfident à la députation Corfe.

Un peuple né pour l'indépendance, un peuple dont la France admira le courage tant qu'elle eut à le combattre, & dont elle n'a vraiment achevé la conquête que le jour où elle l'a rendu à la liberté, devoit fans doute goûter mieux qu'aucune autre partie de l'empire le prix d'une conftitution qui rend l'homme à tous fes droits & qui promet aux citoyens bonheur, gloire & profpérité. L'hommage que vous venez offrir à l'affemblée nationale eft digne de vous & d'elle; elle fixe fes regards avec complaifance fur les députés d'une

nation fieré & généreufe qui, déformais, ne fera plus qu'une avec la France; & elle fe plaît à reconnoître au milieu de vous celui qu'un choix libre mit jadis á votre tête, & qu'un des décrets dont l'affemblée fe glorifie le plus vient de rendre à vos vœux; elle aime à diftinguer en lui le héros & le martyr de la liberté. Enfans adoptifs de la France, recevez d'elle le bonheur qu'elle vous a préparé, & payez la par votre amour & par cette fidélité que vous venez de lui jurer fi folemnellement, &c. &c.

On apprend par des lettres de diverfes provinces que les prêtres font très actifs pour empêcher la fortie des religieux. Dans une, entr'autres, ils follicitent dans tous les couvens des fignatures pour une adreffe, où les religieufes demandent à l'affemblée nationale la faculté de finir leurs jours dans leurs prifons.

Les troubles de Metz ont fuccédé à ceux de Lille, pour nous donner des inquiétudes. Il s'agiffoit de faire un pacte fédératif avec les gardes nationales voifines, qui, étant citoyennes avoient droit à l'hofpitalité des Meffins, & qui ayant été appellés par eux devoient mériter cet égard fraternel. Les députations font arrivées; mais le Marquis de Bouillé n'a pas voulu les laiffer entrer avec leurs armes, quoiqu'il fût très bien que c'étoient des François, des amis, les défenfeurs véritables de la liberté & de la patrie: ceux-ci avoient également connoiffance des anciens ufages, auxquels ils ont cru qu'on dérogeroit en leur faveur; ils ont penfé que les portes de Metz leur feroient ouvertes comme s'ils étoient des régimens qui paffent d'une garnifon dans une autre; mais point du tout, le Marquis commandant

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a fait demander fi la troupe qui vouloit entrer avoit un ordre du Roi & du Miniftre, que c'étoit le feul paffe-port, à la faveur duquel on pourroit entrer en armes dans Metz. On a fait des repréfentations; on a offert des ôtages; le Marquis a été inflexible; les citoyens ont pris de l'humeur;ils ont montré du courage; ils ont déclaré qu'il n'étoit pas dans l'ordre actuel d'empêcher des citoyens de recevoir des concitoyens; que le Marquis favoit fort bien pourquoi arrivoient les députations, qui attendoient aux portes. Mais le commandant, zélé partifan de l'ancien régime, a perféveré dans fon refus, pris alors en très mauvaife part; il y eut des agreffions partielles, & l'on prétend que dans cette journée, il y a eu du fang répandú. On ajoute que le Marquis avoit refufé quelques jours auparavant des pieces d'artillerie à la garde nationale, qui lui préfentoit un ordre figné du Roi & du Minitre. Le Roi n'eft pas libre, avoit - il répondu; cet ordre peut être vrai, mais qui fuit fi la force & la violence ne lui ont pas arraché la fignature iracée au bas de ce papier?

Mr. le duc de Chaulnes, pair de France, vient d'époufer la fille du laquais - froteur de Mr. Foacier, receveur général des fermes. Cela eft affurément très populaire, & dérange prodigieufement le fyftême des quartiers, qui fera bien rire le 19me fiecle, aux dépens des 1400 qui l'ont précédé.

Quelques particuliers parloient dernièrement à table de faux billets de la caiffe d'efcompte, & de la maniere de les reconnoître. Un d'eux tire de fa poche un billet de 300 livres, & le déploye devant le jour pour faire voir l'infcription tranfparente qui fe trouve

dans les véritables billets; le billet lui échappe & tombe dans un plat rempli d'une fricaffée de poulets. Le propriétaire du billet le retire, baigné de fauce, & le fecoue légerement de la main. A l'inftant un gros chien s'élance & dévore le billet. On propofe au maître du chien une famme de 100 livres, s'il veut permettre qu'on ouvre les entrailles du chien. La propofition eft acceptée, la malheureux animal est égorgé, & le billet fe retrouve.

Lundi dernier 19 de ce mois, le fcellé a été appofé fur les tréfors de Notre-Dame, de Ste Genevieve & de la Sainte Chapelle.

Les aristocrates, chaffés de l'Eglife des Capucins, ont choisi la Sorbonne pour leur retraite. Ce théâtre où, depuis plufieurs fiecles, il s'eft palé tant d'événemens mémorables, étoit en effet le feul qui convînt aux docteurs Duval, Cazalès, Maury & moribonde compagnie. C'eft là qu'ils ont tenu le 21 Avril leur ténébreux conciliabule.La premiere féance, confacrée au cérémonial, a été uniquement employée, dit on,à faire de faintes génuflexions au pied du tombeau du cardinal de Richelieu, le pere du defpotifme. Puis on a ajourné au lendemain les grandes queftions qui devoient être agitées au premier fabbat, & c'eft pour fe préparer à donner de violentes fecouffes à la liberté, que la plupart des membres de ce vénérable tripot n'ont point paru ce jour-là à l'Affemblée nationale.

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De Liege, le 27 Avril.

Le moment étant enfin arrivé où la nation lié◄ geoife doit déployer le courage & la bravoure que manifefterent autrefois nos ancêtres, lorfqu'ils fe virent moleftés dans la plus chere des jouiffances qui eft celle de la liberté, MM. invitent tous les bons & braves patriotes, fans aucune exception, à fe rendre, fans le moindre délai, fous les drapeaux de l'honneur & de la liberté, pour aller d'un commun accord, expulfer des foyers de nos concitoyens, les ennemis de la patrie qui ont ofé y pé

nétrer.

Tel eft le contenu d'une proclamation que je viens de voir afficher par toute la ville, & je crois que ma mémoire m'en a affez fidelement confervé les expreffions.

Tous les citoyens fans diftinction font fous les armes, & partent fucceffivement pour faire vuider le pays aux Palatins & Munftériens qui font, les premiers rentrés & les autres arrivés fur notre territoire. Les Palatins font à Mafeyck, & les Munfteriens à Stockhem;ils forment enfemble 2500 hommes environ. Ils ont eu la témérité de s'y inftaller, puis d'envoyer ici une eftaffette demander qu'on leur dépêchât un commiflaire pour leur marquer des logemens. Les états ont fait partir un député pour leur demander de quel droit ils s'établiffoient fur notre territoire, & qu'ils euffent à le vuider. Le général Palatin a répondu qu'il ne pouvoit fe rendre à cette injonction, & qu'il alloit expédier un courier à Aix pour avoir des inftructions. Le député a dit que fa miffion étoit remplie, & qu'il n'attendroit pas le retour de l'exprès. Et il eft revenu ici.

C'eft d'après cette circonftance, qu'il n'a Tome X.

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