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habitants vinrent avec leurs femmes faire la guerre aux Grecs1?

Mais bien loin d'avoir rapporté les circonstances qui forcèrent quelques uns des Grecs à se déclarer pour les Mèdes, il dit, au contraire, que les Thessaliens firent dire aux habitants de la Phocide, leurs ennemis jurés, que s'ils leur payaient cinquante talents d'argent, ils ne causeraient aucun dommage dans leur pays. Voici en propres termes ce qu'il écrit à ce sujet. « Les Phocidiens étaient le seul peuple de ces cantons qui ne favorisât pas les Mèdes; et leur unique motif, autant que je puis le conjecturer, était leur haine contre les Thessaliens. Si ces derniers eussent été pour les Grecs, je crois que les Phocidiens auraient embrassé le parti des Mèdes.» Cependant il va dire bientôt que treize villes de la Phocide furent brûlées par les Barbares, leur pays ravagé, le temple de la ville d'Abes réduit en cendres, les hommes et les femmes passés au fil de l'épée, à l'exception de ceux qui eurent le temps de gagner les hauteurs du Mont-Parnasse 2. Ainsi, il met au même rang ceux qui souffrirent toutes ces violences plutôt que de trahir leur devoir, et ceux qui se montrèrent les partisans les plus déclarés des Perses. Lorsqu'il ne peut blâmer les actions, il suppose des motifs criminels, et d'un trait de plume il donne naissance aux soupçons les plus odieux. Il veut qu'on juge de l'intention des Phocidiens, non par leur conduite, mais par leur op

1 Hérodote était né à Halicarnasse, ville de Carie dans l'Asie-Mineure. Il était d'origine dorienne et d'une naissance illustre, suivant Suidas. Il se joignit à la colonie que les Athéniens envoyèrent à Thurium dans la GrandeGrèce, au commencement de la quatre-vingt-cinquième olympiade, et y fixa sa demeure. Ce fut là ce qui lui a fait donner le surnom de Thurien. Les Doriens avaient chassé les anciens habitants de la Carie, et s'y étaient établis ainsi la ville d'Halicarnasse était d'origine dorienne. Les Doriens asiatiques, dit Hérodote, avaient fourni trente vaisseaux à Xerxès, et les Cariens seuls en avaient donné soixante-dix.

2 Le temple d'Abes, dédié à Apollon, était remarquable par ses richesses, ses trésors, et la grande quantité d'offrandes qu'on y portait de tous côtés.

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position de volonté avec les Thessaliens, comme s'il ne leur eût manqué pour être des traîtres, que d'avoir été prévenus.

Si quelqu'un, pour excuser les Thessaliens d'avoir suivi le parti des Mèdes, disait qu'ils ne s'y étaient pas portés volontairement, mais que leur haine pour les Phocidiens, qu'ils voyaient dans la confédération des Grecs, leur avait, fait embrasser, comme malgré eux, les intérêts des Mèdes, ne passerait-il pas pour un vil flatteur qui, voulant faire sa cour aux dépens de la vérité, prêterait à de mauvaises actions des motifs honnêtes? En aurait-on une autre idée? Peut-on donc ne pas regarder comme un calomniateur manifeste un auteur qui impute aux Phocidiens d'avoir embrassé le bon parti, non par un sentiment vertueux, mais parceque les Thessaliens suivaient le parti contraire? Encore il ne rejette pas sur d'autres cette calomnie, comme c'est son usage, en disant l'avoir appris d'autrui ; ce sont, dit-il, ses propres recherches qui l'ont conduit à penser ainsi. Il fallait donc rapporter les preuves d'après lesquelles il s'est persuadé qu'un peuple qui s'était si bien conduit avait eu les plus mauvaises intentions. Car le motif pris de leur haine contre les Thessaliens est ridicule. L'inimitié des Eginètes contre les Athéniens 1, celle des Chalcidiens contre ceux d'Erétrie, et des Corinthiens contre les habitants de Mégare, les a-t-elle empêchés d'entrer dans la confédération de la Grèce? Les Macédoniens, en punissant les Thessaliens', dont ils étaient les ennemis. déclarés, les détachèrent-ils de l'alliance des Barbares? Le danger commun faisait taire les haines privées; et chacun, se dépouillant de toute autre passion, suivait ou le parti le plus honnête par vertu, ou le plus utile par nécessité.

1 On peut voir dans Hérodote l'origine de l'inimitié des Éginėtės contre les Athéniens. Le récit en est trop long pour l'insérer ici. Malgré cette haine, ils envoyèrent à l'armée des Grecs quarante-deux vaisseaux, et ils oblinrent le prix de la valeur à la journée de Salamine. Les Chalcidiens fournirent vingt vaisseaux, les Érétriens sept, et les Mégariens vingt.

D'ailleurs, après ce moment de contrainte qui les entraîna malgré eux dans le parti des Mèdes, les Phocidiens revinrent à la confédération, comme Léocratès le Spartiate leur en rendit formellement témoignage; et Hérodote lui-même, dans le récit de la bataille de Platée, est forcé d'avouer que les Phocidiens se joignirent à l'armée des Grecs.

Faut-il s'étonner qu'il se déchaîne avec tant d'amertume contre ceux qui ont éprouvé des malheurs, puisqu'il met au rang des ennemis et des traîtres ceux qui, dans les combats, avaient partagé les périls de la Grèce? Les Naxiens avaient envoyé trois galères au secours des Barbares, mais Démocrite, l'un des triérarques, persuada aux autres de se ranger du côté des Grecs. Il a si fort l'habitude de mêler le blâme aux louanges qu'il donne, qu'en faisant l'éloge d'un seul homme, il faut qu'il censure tout un peuple. Mais Hellanicus entre les anciens historiens, et Ephore parmi les nouveaux, disent, l'un, que les Naxiens vinrent au secours des Grecs avec six vaisseaux, et l'autre, avec cinq. Ainsi Hérodote est convaincu de toute part d'avoir inventé ce qu'il dit: car les historiens de Naxos rapportent que, bien auparavant, les Naxiens avaient repoussé Mégabate1, qui était venu aborder à leur île avec deux cents vaisseaux, et ensuite Datis, qui avait mis le feu à leur ville; et s'il est vrai, comme Hérodote le dit lui-même ailleurs, que les Perses brûlèrent Naxos après que les habitants se furent réfugiés sur les montagnes, n'était-ce pas là un juste motif de donner du secours aux Barbares qui avaient ruiné leur patrie, et d'abandonner les

1 Mégabate commandait l'armée de mer que Darius envoya pour subjuguer l'Asie-Mineure.

2 Datis fut nommé par Darius pour marcher contre les Athéniens. Il aborda d'abord à Naxos, pour venger l'affront que Mégabate y avait reçu. Les Naxiens s'étant enfuis sur les montagnes, les Perses mirent le feu à la ville, et réduisirent en esclavage tous ceux qui tombèrent entre leurs

Grecs qui combattaient pour la liberté commune? Mais ce qui prouve que c'est moins pour louer Démocrite que pour accuser les Naxiens qu'il a forgé ce mensonge, c'est qu'il a passé sous silence un exploit mémorable de ce triérarque, que Simonide a consigné dans cette épi

gramme:

Quand la flotte des Grecs auprès de Salamine
De la flotte persane acheva la ruine,

Démocrite enleva cinq vaisseaux ennemis,
Et seul reprit sur eux celui qu'ils avaient pris.

Mais ce n'est pas pour des Naxiens qu'il faut s'indigner contre lui. Si, comme on le dit, il existe des antipodes dans une partie de la terre opposée à la nôtre, je ne doute pas qu'ils n'aient entendu parler de Thémistocle, du conseil qu'il donna aux Grecs de combattre à Salamine, et pour lequel on bâtit, après la guerre, dans l'ile de Mélite, un temple à Diane de Bon-Conseil. Ce bon historien enlève, autant qu'il est en lui, la gloire de ce conseil à Thémistocle, pour la transférer à un autre. Voici ce qu'il écrit à ce sujet. « Alors Thémistocle étant remonté sur son vaisseau, l'Athénien Mnésiphile lui demanda ce qu'on avait résolu, et apprenant qu'on avait arrêté de ramener la flotte vers l'isthme, afin de combattre devant le Péloponnèse : Soyez sûr, dit-il à Thémistocle, que si les Grecs quittent le poste de Salamine, vous ne combattrez plus nulle part pour la défense de votre patrie, et que chacun s'en retournera dans son pays, » Il ajoute quelques lignes après : « S'il vous reste quelque moyen, faites changer cette résolution, et persuadez à Eurybiade de ne pas s'éloigner d'ici.» Après avoir dit que cet avis fut agréé de Thémistocle, qui, sans rien répondre à Mnésiphile, alla sur-le-champ trouver Eurybiade, il ajoute : « Thémistocle, s'étant assis auprès d'Eurybiade, lui exposa l'avis de Mnésiphile, comme s'il venait de lui, et y joignit plusieurs

autres réflexions. » Voyez quel caractère de fausseté il prête à Thémistocle, en supposant qu'il se fait honneur d'un conseil qui lui avait été donné par Mnésiphile. Puis, se moquant des Grecs, il dit que Thémistocle n'avait pas vu dans cette occasion quel était le meilleur parti, lui à qui sa prudence avait fait donner le surnom d'Ulysse, tandis qu'Artémise, concitoyenne d'Hérodote1, sans être avertie par personne, avait d'elle-même dit à Xerxès que les Grecs n'étaient pas en état de lui résister longtemps, qu'ils disparaîtraient devant lui, et se disperseraient chacun dans leur ville. « Il n'est pas vraisemblable, ajouta-telle, que si tu fais marcher ton armée de terre vers le Péloponnèse, ils t'attendent de pied ferme, et qu'ils veuillent combattre sur mer pour les Athéniens. Mais si tu te presses de donner une bataille navale, et que ta flotte reçoive un échec, je crains que sa défaite n'entraîne celle de l'armée de terre. » Il n'a manqué à Hérodote que la mesure du vers pour faire de cette Artémise une sibylle, tant elle annonce l'avenir avec précision. Aussi Xerxès la chargea-t-il de ramener ses enfants à Ephèse. Il avait sans doute oublié d'amener des femmes de Suse afin de les reconduire, puisqu'il leur fallait absolument des femmes pour les escorter 2.

Mais je ne prétends pas relever tous les mensonges d'Hérodote; je ne m'arrête qu'à ceux qui portent un caractère d'envie et de méchanceté. Les Athéniens, s'il faut l'en croire, disent qu'Adimante, général des Corinthiens, saisi de terreur au moment où l'action commençait, prit la fuite, non en se retirant insensiblement à travers les combattants et tenant tête à l'ennemi, mais en déployant ouvertement ses voiles, et faisant tourner la proue à tous

1 Artémise, fille de Lygdamis, était, suivant Hérodote, originaire d'Ha. licarnasse, du côté de son père; elle vint trouver Xerxès avec cinq vaisseaux les mieux équipés de toute la flotte.

2 Les enfants de Xerxès étaient accompagnés d'Hermotime, le premier des eunuques.

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