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Il était âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, ou, selon d'autres, de cent1. Il ne put survivre à la douleur de voir sa patrie tomber pour la quatrième fois dans l'esclavage 2.

VII. Il composa sa Panathénaïque un an, d'autres disent quatre ans avant sa mort 3. Il mit dix ans ou même quinze, suivant quelques auteurs, à travailler son Panégyrique, et l'on a prétendu qu'il l'avait pris en grande partie des ouvrages de Gorgias et de Lysias. Il fit son plaidoyer pour l'échange des biens à quatre-vingt-deux ans, et son discours à Philippe peu de temps avant sa mort. Il adopta dans sa vieillesse Apharéus, le plus jeune des trois fils que Plathana avait eus de l'orateur Hippias, son premier mari 5. Isocrate devint fort riche, non-seulement par le salaire qu'il rétirait de ses disciples, mais encore par les présents que lui fit Nicoclès, fils d'Evagoras et roi de Cypre, de qui il reçut vingt talents pour le discours qu'il lui adressa ".

1 Isocrate était né la première année de la quatre-vingt-sixième olympiade. Chéronidas fut archonte la troisième année de la cent dixième. Isocrate mourut done âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans.

2 Athènes avait été subjuguée une première fois par Pisistrate, du temps de Solon, la seconde fois par les Quatre-Cents, la troisième sous les trente tyrans, et la quatrième par Philippe. Isocrate avait vu les trois dernières révolutions.

3 Isocrate dit lui-même au commencement de ce discours qu'il était âgé de quatre-vingt-quatorze ans lorsqu'il se mit à le travailler; qu'une maladie de trois ans l'obligea de l'interrompre, et que, l'ayant repris ensuite, il l'acheva à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Ce discours est encore un bel éloge d'Athènes différent du Panégyrique, en ce que, dans le premier, il ne se propose que de louer les Athéniens, et que, dans l'autre, il a encore pour but de les engager à faire la guerre aux Perses. On croit que son nom de Panathénaïque lui vient de ce qu'il fut publié pendant les fêtes Panathénées.

Photius dit au contraire que ce discours n'est point du tout écrit à la manière de Gorgias et de Lysias.

5 D'autres disent qu'elle était sœur d'Hippias, et qu'Apharéus était fils de Lagisca, célèbre courtisane qu'Isocrate épousa.

6 Isocrate composa l'oraison funèbre d'Evagoras, roi de Cypre, père de Nicoclès, et il adressa à celui-ci, lorsqu'il fut sur le trône, un premier discours sur la manière de bien régner, et un second qui porte le nom de

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VIII. Ses richesses lui firent des envieux, qui le citèrent trois fois en justice pour le faire nommer triérarque. Les deux premières fois il s'en excusa sur ses infirmités, par le ministère de son fils; la troisième, il fut forcé d'accepter cet emploi, et il y dépensa une partie de son bien1. Un citoyen lui ayant dit qu'il avait chargé un de ses esclaves de l'éducation de son fils : « Eh bien, lui dit Isocrate, au lieu d'un esclave, vous en aurez deux 2. » Il disputa le prix que la reine Artémise proposa pour l'éloge de Mausole, son mari 3. Ce discours ne nous est point parvenu. Il composa aussi le panégyrique d'Hélène, et la harangue nommée Aréopagitique ".

IX. Quelques auteurs prétendent qu'il mourut en s'obstinant à ne pas manger pendant neuf jours; d'autres disent pendant quatre. Son fils Apharéus prononça son oraison funèbre. Il fut déposé après sa mort dans le tombeau de sa famille, au pied d'une colline qui est à la gauche du Cynosarge. C'est là que sont inhumés son père Théodore, sa mère, sa tante maternelle Anaco, Apharéus, son fils adoptif, Socrate, son cousin, fils d'Anaco, son frère Théodore, les fils d'Apharéus, et Plathana, sa femme, mère de son fils adoptif. Leurs tombeaux étaient surmontés de tables de marbre qui ne subsistent plus.

X. Il y avait sur le tombeau d'Isocrate une colonne de

Nicoclès, dans lequel l'orateur traite des devoirs des sujets envers leur prince. Ces trois ouvrages ont échappé à l'injure des temps.

1 Notre auteur se contredit ici lui-même ; il va dire plus bas qu'Isocrate n'eut que deux procès dans sa vie. C'est au second récit qu'il faut s'en tenir. 2 Dans le traité de l'Education, ce mot est attribué au philosophe Arislippe.

3 Je crois que l'auteur a été ici induit en erreur par une conformité de noms. Isocrate était trop timide et avait la voix trop faible pour avoir osé se mesurer dans une pareille lice à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Il est plus vraisemblable que ce fut un autre Isocrate d'Apollonie, ancien disciple de notre orateur, qui se présenta à ce concours.

Isocrate, dans ce discours, se propose d'éclairer ses concitoyens sur les abus du gouvernement, et de les exhorter à les réformer. On croit qu'il fut nommé Areopagitique parcequ'il contient l'éloge de l'ancien Areopage.

trente coudées de haut, surmontée d'une syrène de sept, symbole de son éloquence, que le temps a détruit. Auprès de ce monument était une table de marbre, sur laquelle on avait gravé les figures des poëtes et des rhéteurs qu'il avait eus pour maîtres. On y voyait Gorgias, qui, placé auprès d'Isocrate, avait les yeux fixés sur un globe céleste. Thimothée lui fit ériger une statue de bronze qu'on voit encore à Eleusis, en face du portique, avec cette inscription:

Ce bronze, monument d'une tendre amitié,
Par le fils de Conon aux Muses dédié,
D'Isocrate, fameux par sa rare éloquence,
A ses concitoyens offre la ressemblance.

La statue était de Léocharès 1.

XI. On a sous le nom d'Isocrate soixante oraisons, dont vingt-cinq, suivant Denys d'Halicarnasse, et vingt-huit, selon Cécilius, sont véritablement de lui 2; les autres sont supposées. Il était si peu curieux de se produire, qu'un jour trois personnes étant venues pour l'entendre, il n'en reçut que deux, et renvoya la troisième au lendemain, en disant que son auditoire était comme son théâtre. Il disait souvent à ses amis qu'il prenait dix mines3 pour ses leçons, mais qu'il en paierait volontiers dix mille à celui qui pourrait lui donner de l'assurance et une bonne voix.

XII. Quelqu'un lui demandait un jour comment il pouvait former de si grands orateurs, lui qui n'avait pas

1 Léocharès était un artiste célèbre qui avait travaillé au superbe tombeau qu'Artémise fit élever à son époux Mausole. L'attachement que Timothée montra constamment pour son maître est d'un bel exemple, et malheureusement trop peu imité. Ce n'était pas un sentiment rare dans un temps où l'on sentait tout le prix d'une bonne éducation.

2 Il nous reste aujourd'hui de cet orateur vingt-un discours et neuf lettres.

La mine valait 100 drachmes; ainsi c'était environ 800 livres de notre monnaie en 1789.

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le talent de parler en public: « Je suis, répondit-il, comme la pierre à rasoir, qui ne coupe pas elle-même, mais qui donne au fer la facilité de couper. » Suivant quelques auteurs, il avait composé un traité sur l'art oratoire; selon d'autres, c'était moins par méthode et par art qu'il formait ses disciples que par l'exercice et par l'usage. Il exigeait d'eux qu'ils se rendissent aux assemblées publiques, et qu'ils lui rendissent compte des discours qu'ils y avaient entendus. Il ne reçut jamais de salaire d'aucun citoyen d'Athènes. Il fut vivement affligé de la mort de Socrate, et parut le lendemain en habit de deuil. On lui demanda un jour la définition de la rhétorique « C'est, répondit-il, l'art d'amplifier les petites choses et de diminuer les grandes 1. » Un jour qu'il était à table chez Nicocréon, tyran de Cypre, les convives le prièrent de payer son écot dans la conversation. « Ce que je puis dire, leur répondit-il, ne serait pas ici de saison; et ce qui serait de saison, je ne le sais pas. » Le poëte Sophocle jetait sur un jeune homme des regards passionnés. «Sophocle, lui dit Isocrate, il faut contenir non-seulement ses mains, mais encore ses yeux2. » Ephore de Cumes était sorti de son école sans avoir rien appris. Son père Démophile l'y ayant envoyé une seconde fois, Isocrate l'appelait en plaisantant Diphore. Cependant il se donna beaucoup de peine pour le former, et lui fournit le sujet de l'histoire qu'il a écrite3.

1 Isocrate plaisantait sûrement en donnant cette définition; il avait une trop grande idée de l'éloquence pour la réduire à si peu de chose. Peutêtre aussi était-ce une critique de quelques orateurs de son temps.

? Dans la Vie de Périclès, Plutarque met dans la bouche de ce général le propos'qu'on attribue ici par erreur à Isocrate. Sophocle était né soixante ans avant cel orateur, et quoiqu'il ait pu voir Isocrate, on ne peut guère supposer que ce poëte ait mérité, à plus de quatre-vingts ans, un pareil reproche, et encore moins qu'Isocrate le lui ait fait, n'étant âgé que de vingt ans.

3. Ephore profita mieux cette fois des leçons d'Isocrate. Son histoire de la Grèce mérite nos regrets, à en juger par les éloges que les anciens en

XIII. Il avait du penchant à l'amour, et il couchait sur des lits parfumés d'essences. Il ne se maria pas dans sa jeunesse; et quand il commença à vieillir, il vécut avec une courtisane nommée Lagisca, dont il eut une fille qui mourut à l'âge de douze ans, sans avoir été mariée. Dans la suite, il épousa Plathana, veuve de l'orateur Hippias, laquelle avait trois enfants. Il adopta, comme je l'ai déja dit, Apharéus, l'un d'eux, qui lui fit ériger une statue de bronze, placée sur une colonne dans le temple de Jupiter Olympien, avec cette inscription:

Apharéus, jaloux de rendre hommage aux dieux
Et d'immortaliser un père vertueux,

Au puissant Jupiter, à qui tout rend hommage,
De son père Isocrate a consacré l'image.

XIV. On dit que dans sa première jeunesse, il disputa le prix à la course des chevaux. On voit encore dans le gymnase des prêtres de Minerve, dont le temple est dans la citadelle, sa statue en bronze avec l'attitude d'un homme qui court à cheval. Il n'eut dans toute sa vie que deux procès, pour l'échange des biens. Le premier lui fut intenté par Mégaclidès. Il ne comparut pas en personne, parcequ'il était malade. Apharéus, son fils, plaida pour lui et gagna sa cause. Dans le second, il fut cité par Lysimaque. Il perdit son procès, et fut obligé d'équiper à ses frais une galère. Il y avait un portrait de lui dans le Pompéium 1.

XV. Son fils adoptif Apharéus composa aussi des plaidoyers et des harangues du genre délibératif en petit nombre, et environ trente-sept tragédies, dont deux lui

ont faits. C'était de lui qu'Isocrate disait qu'il avait besoin de l'éperon, tandis qu'il fallait un frein à Théopompe.

1 C'était une maison, une chapelle ou un temple dans lequel on tenait en dépôt les ornements destinés aux cérémonies publiques de religion, tels que les vêtements pontificaux, les vases, les patères et autres. Son nom vient de solennité.

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