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culté de l'art, et l'on rebute ceux qui proposent de l'éclaircir et de l'abréger. Tout le monde convient que les caractères de la musique sont dans un état d'imperfection peu proportionné aux progrès qu'on a faits dans les autres parties de cet art: cependant on se défend contre toute proposition de les réformer, comme contre un danger affreux. Imaginer d'autres signes que ceux dont s'est servi le divin Lulli est nonseulement la plus haute extravagance dont l'esprit humain soit capable, mais c'est encore une espèce de sacrilége. Lulli est un dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l'état de ces sacrés caractères : bons ou mauvais, il n'importe, il faut qu'ils soient éternis par ses ouvrages. Il n'est plus permis d'y toucher sans se rendre criminel; et il faudra, au pied de la lettre, que tous les jeunes gens qui apprendront désormais la musique paient un tribut de deux ou trois ans de peine au mérite de Lulli.

Si ce ne sont pas là les propres termes, c'est da moins le sens des objections que j'ai oui faire cent fois contre tout projet qui tendrait à réformer cette partie de la musique. Quoi! faudra-t-il jeter au feu tous nos auteurs, tout renouveler? Lalande, Bernier, Corelli, tout cela serait donc perdu pour nous? Où prendrions-nous de nouveaux Orphées pour nous en dédommager? Et quels seraient les musiciens qui voudraient se résoudre à redevenir écoliers? Je ne sais pas bien comment l'entendent ceux qui font ces objections; mais il me semble qu'en duisant en maximes, et en détaillant un peu sequences, on en ferait des aphorismes fort singuliers,

les ré

les con

pour arrêter tout court le progrès des lettres et des beaux-arts.

D'ailleurs, ce raisonnement porte absolument à faux; et l'établissement des nouveaux caractères, bien loin de détruire les anciens ouvrages, les conserverait doublement par les nouvelles éditions qu'on en ferait, et par les anciennes, qui subsisteraient tou jours. Quand on a traduit un auteur, je ne vois pas la nécessité de jeter l'original au feu. Ce n'est donc ni l'ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu'on risquerait de perdre; et remarquez surtout que, quelque avantageux que pût être un nouveau système, il ne détruirait jamais l'ancien avec assez de rapidité pour en abolir tout d'un coup l'usage; les livres en seraient usés avant que d'être inutiles, et quand ils ne serviraient que de ressource aux opiniâtres, on trouverait toujours assez à les employer.

Je sais que les musiciens ne sont pas traitables sur ce chapitre. La musique pour eux n'est pas la science des sons, c'est ceile des noires, des blanches, des doubles croches; et dès que ces figures cesseraient d'affecter leurs yeux, ils ne croiraient jamais voir réellement de la musique. La crainte de redevenir écoliers, et surtout le train de cette habitude qu'ils prennent pour la science même, leur feront toujours regarder avec mépris ou avec effroi tout ce qu'on leur proposerait en ce genre, Il ne faut donc pas compter sur leur approbation, il faut même compter sur toute leur résistance, dans l'établissement des nouveaux caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais simplement comme nouveaux.

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Je ne sais quel aurait été le sentiment particulier de Lulli sur ce point, mais je suis presque sûr quif était trop grand homme pour donner dans ces peti tesses: Lulli aurait senti que sa science ne tenait point à des caractères; que ses sons ne cesseraient jamais d'être des sons divins, quelques signes qu'on enployat pour les exprimer; et qu'enfin c'était toujours un service important à rendre à son art et au progrès de ses ouvrages que de les publier dans une langue aussi énergique mais plus facile à entendre, et qui par là deviendrait plus universelle, dût-il en couter l'abandon de quelques vieux exemplaires, dont ass rément il n'aurait pas cru que le prix fût à compart à la perfection générale de l'art.

Le malheur est que ce n'est pas à des Lulli que nous avons à faire. Il est plus aisé d'hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pourquoi la musique n'est pas amie du raisonnement. Mais si ses élèves sont si scandalisés de voir un confrère réduire son art en principes, l'approfondir, et le traiter mé thodiquement, à plus forte raison ne souffriraient-ils pas qu'on osât attaquer les parties mêmes de cet art.

Pour juger de la façon dont on y serait reçu, onna qu'à se rappeler combien il a fallu d'années de lutte et d'opiniâtreté pour substituer l'usage du si à ces

grossières nuances qui

ne sont pas même encore abo

lies partout. On convenait bien que l'échelle éta

"

pouvait composée de sept sons différens; mais on ne se persuader qu'il fût avantageux de leur donner chacun un nom particulier, puisqu'on ne s'en étai

pas avisé jusque là, et que la musique n'avait pas laissé d'aller son train.

Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force qu'elles peuvent avoir dans celui des lecteurs: malgré cela, je ne saurais croire qu'elles puissent tenir contre les vérités de démonstration que j'ai à établir. Que tous les systèmes qu'on a proposés en ce genre aient échoué jusqu'ici, je n'en suis point étonné: même, à égalité d'avantages et de défauts, l'ancienne méthode devait sans contredit l'emporter, puisque pour détruire un système établi il faut que celui qu'on veut substituer lui soit préférable, nonseulement en les considérant chacun en lui-même et par ce qu'il a de plus propre, mais encore en joignant au premier toutes les raisons d'ancienneté et tous les préjugés qui le fortifient.

C'est ce cas de préférence où le mien paraît être, et où l'on reconnaîtra qu'il est en effet s'il conserve les avantages de la méthode ordinaire, s'il en sauve les inconvéniens, et enfin s'il résout les objections extérieures qu'on oppose à toute nouveauté de ce genre, indépendamment de ce qu'elle est en soi

même.

A l'égard des deux premiers points, ils seront discutés dans le corps de l'ouvrage, et l'on ne peut savoir à quoi s'en tenir qu'après l'avoir lu. Pour le troisième, rien n'est plus simple à décider: il ne faut pour cela qu'exposer le but même de mon projet, et les effets qui doivent résulter de son exécution.,

Le système que je propose roule sur deux objets principaux l'un de noter la musique et toutes ses

difficultés d'une manière plus simple, plus commode,
et sous un moindre volume.

Le second et le plus considérable est de la rendre
aussi aisée à apprendre qu'elle a été rebutante jusqu'à
présent, d'en réduire les signes à un plus petit nombre,
sans rien retrancher de l'expression, et d'en abréger
les règles de façon à faire un jeu de la théorie, et à
n'en rendre la pratique dépendante que de l'habitude
des organes,
sans que la difficulté de la note y puisse
jamais entrer pour rien.

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Il est aisé de justifier par l'expérience qu'on apprend la musique en deux et trois fois moins de temps la méthode ordinaire; que par ma méthode que par les musiciens formés par elle seront plus sûrs que les autres à égalité de science; et qu'enfin sa facilité est elle, que, quand on voudrait s'en tenir à la musique ordinaire, il faudrait toujours commencer par mienne pour y parvenir plus sûrement et en moins de temps. Proposition qui, toute paradoxe qu'elle paraît, ne laisse pas d'être exactement vraie, tant par le fait que par la démonstration. O:, ces faits supposés vrais, toutes les objections tombent d'elles-mêmes et sans ressource. En premier lieu, la musique notée suivant l'ancien système ne sera point inutile, et il ne faudra point se tourmenter pour la jeter au feu, puisque les élèves de ma méthode parviendront à chanter à livre ouvert sur la musique ordinaire en moins de de temps encore, y compris celui qu'ils auront donné à la mienne, qu'on ne le fait communément. Comme ils sauront donc également l'une et l'autre sans ! avoir employé plus de temps, on ne pourra pas déjà

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