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tait pas de se borner à la langue du geste, et le premier mot ne fut pas chez eux, aimez-moi; mais, aidez-moi.

Ces deux termes, quoique assez semblables, sc prononcent d'un ton bien different: on n'avait rien à faire sentir, on avait tout à faire entendre: il ne s'agissait donc pas d'énergie, mais de clarté. A l'accent que le cœur ne fournissait pas on substitua des articulations fortes et sensibles; et s'il y eut dans la forme du langage quelque impression naturelle, cette impression contribuait encore à sa dureté.

En effet, les hommes septentrionaux ne sont pas sans passions, mais ils en ont d'une autre espèce. Celles des pays chauds sont des passions voluptueuses, qui tiennent à l'amour et à la mollesse: la nature fait tant pour les habitans, qu'ils n'ont presque rien à faire; pourvu qu'un Asiatique ait des femmes et du repos, il est content. Mais dans le Nord, où les habitans consomment beaucoup sur un sol ingrat, des hommes soumis à tant de besoins sont faciles à irriter; tout ce qu'on fait autour d'eux les inquiète : comme ils ne subsistent qu'avec peine, plus ils sont pauvres, plus ils tiennent au peu qu'ils ont; les approcher, c'est attenter à ieur vie. De là leur vient ce tem- . pérament irascible si prompt à se tourner en fureur contre tout ce qui les blesse : ainsi leurs voix les plus naturelles sont celles de la colère et des menaces, et ces voix s'accompagnent toujours

'articulations fortes qui les rendent dures bruyantes.

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CHAPITRE XI.

Réflexions sur ces différences.

VOILA, selon mon opinion, les causes phys ques les plus générales de la différence caracters tique des primitives langues. Celles du Md rent être vives, sonores, accentuées, éloquents, et souvent obscures à force d'énergie; cells Nord durent être sourdes, rudes, articulées.c des, monotones, claires, à force de mots pat que par une bonne construction. Les langues i dernes, cent fois mêlées et refondues, garden! encore quelque chose de ces differences: le çais, l'anglais, l'allemand, sont le langage pri des hommes qui s'entr'aident, qui raisonnett tre eux de sang froid. ou des gens emportes qu fâchent; mais les ministres des dieux an les mystères sacrés, les sages donnant des los peuple, les chefs entraînant la multitude, doi. parler arabe ou persan (1). Nos langues val mieux écrites que parlées, et l'on nous lit art plus de plaisir qu'on ne nous écoute. Au c raire, les langues orientales écrites perdent les

(1) Le turc est une langue septentrionale.

S

S

1

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ie et leur chaleur : le sens n'est qu'à moitié dans es mots, toute sa force est dans les accens : juger lu génie des Orientaux par leurs livres, c'est vouoir peindre un homme sur son cadavre.

Pour bien apprécier les actions des hommes il aut les prendre dans tous leurs rapports, et c'est e qu'on ne nous apprend point à faire : quand ous nous mettons à la place des autres, nous ous y mettons toujours tels que nous sommes nodifiés, non tels qu'ils doivent l'être, et quand ous pensons les juger sur la raison, nous ne faions que comparer leurs préjugés aux notres. Tel, our savoir lire un peu d'arabe, sourit en feuilleant l'Alcoran, qui, s'il cût entendu Mahomet annoncer en personne dans cette langue éloquente et cadencée, avec cette voix sonore et peruasive qui séduisait l'oreille avant le cœur, et ans cesse animant ses sentences de l'accent de 'enthousiasme, se fat prosterné contre terre en riant: Grand prophète, envoyé de Dieu, menezous à la gloire, au martyre; nous voulons vaincre ou mourir pour vous. Le fanatisme nous paraît toujours risible, parce qu'il n'a point de voix parmi nous pour se faire entendre: nos fanatiques mêmes ne sont pas de vrais fanatiques : ce ne sont que des fripons ou des fous. Nos langues, au lieu d'inflexions pour des inspirés, n'ont que des pour des possédés du diable.

cris

A

214 ESSAI SUR L'ORIGINE DES LANGUES,

CAAPITRE XII.

Origine de la musique, et ses rapports.

I

fut trouvée avant la prose; cela deva que les passions parlèrent avant la r fut de même de la musique : il n'y eu bord d'autre musique que la mélodie mélodie que le son varié de la parole formaient le chant, les quantités form sure, et l'on parlait autant par les son

Avec les premières voix se formèrent les rhythme que par les articulations et le mières articulations ou les premiers sons, selon

le

et chanter étaient autrefois la même

enre de la passion qui dictait les uas ou les Strabon; ce qui montre, ajoute-t-il, qu

res. La colère arrache des cris menaçans, que l angue et le palais articulent : mais la voix de

mo

la

est la source de l'éloquence (1). Il falla T'une et l'autre eurent la méme source.

endresse est plus douce, c'est la glotte qui la rent d'abord que la même chose. Sur

ifie, et cette voix devient un son; seulement les ccens en sont plus fréquens ou plus rares, les inexions plus ou moins aiguës, selon le sentiment ui s'y joint. Ainsi la cadence et les sons naissent vec les syllabes: la passion fait parler tous les or nes et pare la voix de tout leur éclat; ainsi les ers, les chants, la parole, ont une origine comune. Autour des fontaines dont j'ai parlé,

Jes

dont se lièrent les premières sociétés, é nant qu'on mit en vers les premières l qu'on chantat les premières lois? était que les premiers grammairiens soum art à la musique, et fussent à la fois de l'un et de l'autre (2)? Une langue qui n'a que des articula roix n'a donc que la moitié de sa ri

-emiers discours furent les premières chansons rend des idées, il est vrai; mais pour

s retours périodiques et mesurés du rhythme
=flexions mélodieuses des accens, firent na
la poésie et la musique avec la langue; ou plu-
tout cela n'était que la langue même pour ce
reux climats et ces heureux temps, où les seuls
oins pressans qui demandaient le concours

trui étaient ceux que

le cœur faisait naître.

Les premières histoires, les premières hara 5, les premières lois, furent en vers: la poés

sentimens, des images, il lui faut rhythme et des sons, c'est-à-dire u

(1) Géogr, Liv. L.

(2) Archytas atque Aristoxenes etiam sub tien musica putaverunt, et eosdem utriusqu faisse... Tum Eupolis, apud quem Prodam litteras docet. Et Maricas, qui est Hyperbolas sicis scire nisi litteras confitetur. » Quintil, 1

fut trouvée avant la prose; cela devait être, puisque les passions parlèrent avant la raison. Il en fut de même de la musique : il n'y eut point d'abord d'autre musique que la mélodie, ni d'autre mélodie que le son varié de la parole; les accens formaient le chant, les quantités formaient la mesure, et l'on parlait autant par les sons et par le rhythme que par les articulations et les voix. Dire et chanter étaient autrefois la même chose, dit Strabon; ce qui montre, ajoute-t-il, que la poésie est la source de l'éloquence (1). Il fallait dire l'une et l'autre eurent la méme source, et ne furent d'abord que la même chose. Sur la manière dont se lièrent les premières sociétés, était-il étonnant qu'on mit en vers les premières histoires, et qu'on chantat les premières lois? était il étonnant que les premiers grammairiens soumissent leur art à la musique, et fussent à la fois professeurs de l'un et de l'autre (2)?

que

Une langue qui n'a que des articulations et des voix n'a donc que la moitié de sa richesse: elle rend des idées, il est vrai; mais pour rendre des sentimens, des images, il lui faut encore un rhythme et des sons, c'est-à-dire une mélodie;

(1) Géogr., Liv. I.

(2)« Archytas atque Aristoxenes etiam subjectam gramana« ticen musicæ putaverunt, et eosdem utriusque rei præceptores « fuisse... Tum Eupolis, apud quem Prodamus et musicen es << litteras docet. Et Maricas, qui est Hyperbolus, nihil se ex musicis scire nisi litteras confitetur. » Quintil, Lib. 1, cap. 1o.

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