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choix de ses maîtres; car il en faut avoir malgré soi, sitôt qu'on a tant d'esclaves. Que lui importe, au reste, une bonne ou une mauvaise administration? Comment son bonheur serait-il troublé par la misère du peuple qu'il ne peut voir; par ses plaintes, qu'il ne peut entendre; et par les désordres publics, dont il ne saura jamais rien? Il en est de la gloire des princes comme des trésors de cet insensé, propriétaire en idée de tous les vaisseaux qui arrivaient au port; l'opinion de jouir de tout l'empêchait de rien désirer, et il n'était pas moins heureux des richesses qu'il n'avait point, que s'il les eût possédées.

Que ferait de mieux le plus juste prince avec les meilleures intentions, sitôt qu'il entreprend un travail que a nature a mis au-dessus de ses forces? Il est homme, et se charge des fonctions d'un Dieu comment peut-il espérer de les remplir? Le sage, s'il en peut être sur le trône, renonce à l'empire ou le partage; il consulte ses forces; il mesure sur elles les fonctions qu'il veut remplir; et pour être un roi vraiment grand il ne se charge point d'un grand royaume. Mais ce que ferait le sage a peu de rapport à ce que feront les princes. Ce qu'ils feront toujours, cherchons au moins comment ils peuvent le faire le moins mal qu'il soit possible.

Avant que d'entrer en matière, il est bon d'observer que si, par miracle, quelque grande âme peut suffire à la pénible charge de la royauté,

'ordre héréditaire établi dans les successions, et l'extravagante éducation des héritiers du trône, fourniront toujours cent imbéciles pour un vrai roi; qu'il y aura des minorités, des maladies, des temps de délire et de passions, qui ne laisseront souvent à la tête de l'état qu'un simulacre de prince. Il faut cependant que les affaires se fassent. Chez tous les peuples qui ont un roi, il est donc absolument nécessaire d'établir une forme de gouvernement qui se puisse passer du roi; et dès qu'il est posé qu'un souverain peut rarement gouverner par lui-même, il ne s'agit plus que de savoir comment il peut gouverner par autrui : c'est à résoudre cette question qu'est destiné le discours sur la Polysynodie.

CHAPITRE II.

Trois formes spécifiques de gouvernement subordonné.

UN monarque, dit l'abbé de Saint-Pierre, peut n'écouter qu'un seul homme dans toutes ses affairés, et lui confier toute son autorité, comme autrefois les rois de France la donnaient aux maires du palais, et comme les princes orientaux la confient encore aujourd hui à celui qu'on nomme grand-visir en Turquie. Pour abréger, j'appellerai visirat cette sorte de ministère.

Ce monarque peut aussi partager son autorité

entre deux ou plusieurs hommes qu'il écoute chacun séparément sur la sorte d'affaires qui leur est commise, à peu près comme faisait Louis XIV avec Colbert et Louvois. C'est cette forme que je nommerai dans la suite demi-visirat.

Enfin ce monarque peut faire discuter dans des assemblées les affaires du gouvernement, et former à cet effet autant de conseils qu'il y a de genres d'affaires à traiter. Cette forme de ministère, que l'abbé de Saint-Pierre appelle pluralité des conseils ou Polysynodie, est à peu près, selon lui, celle que le régent, duc d'Orléans, avait établie sous son administration; et, ce qui lui donne un plus grand poids encore, c'était aussi celle qu'avait adoptée l'élève du vertueux Fénélon.

Pour choisir entre ces trois formes, et juger de celle qui mérite la préférence, il ne suffit pas de les considérer en gros et par la première face qu'elles présentent; il ne faut pas non plus opposer les abus de l'une à la perfection de l'autre, ni s'arrêter seulement à certains momens passagers de désordre ou d'éclat, mais les supposer toutes aussi parfaites qu'elles peuvent l'être dans leur durée, et chercher en cet état leurs rapports et leurs différences. Voilà de quelle manière on peut en faire un parallèle exact.

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CHAPITRE III.

Rapport de ces formes à celles du gouvernement suprême

LES maximes élémentaires de la politique pouvent déjà trouver ici leur application : car le visirat, le demi-visirat, et la polysynodie, se rapportent manifestement, dans l'économie du gouver ment subalterne, aux trois formes spécifiques du gouvernement suprême, et plusieurs des principes qui conviennent à l'administration souve raine peuvent aisément s'appliquer au-ministère. Ainsi le visirat doit avoir généralement plus de vigueur et de célérité, le demi-visirat plus d'exactitude et de soin, et la polysynodie plus de justice et de constance. Il est sûr encore que comme la démocratie tend naturellement à l'aristocratie, et l'aristocratie à la monarchie, de même la polysynodic tend au demi-visirat, et le demi-visirat au visirat. Ce progrès de la force publique vers le relâchement, qui oblige de renforcer les ressorts, se retarde ou s'accélère à proportion que toutes les parties de l'état sont bien ou mal constituées; et, comme on ne parvient au despotisme et au visirat que quand tous les autres ressorts sont usés, c'est, à mon avis, un projet mal conçu de prétendre abandonner cette forme pour en prendre une des

précédentes; car nulle autre ne peut plus suffire à tout un peuple qui a pu supporter celle-là. Mais, sans vouloir quitter l'une pour l'autre, il est cependant utile de connaître celle des trois qui vaut le mieux. Nous venons de voir que, par une analogie assez naturelle, la polysynodie mérite déjà la préférence; il reste à rechercher si l'examen des choses mêmes pourra la lui confirmer; mais avant que d'entrer dans cet examen, commençons par une idée plus précise de la forme que, selon notre auteur, doit avoir la polysynodie.

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CHAPITRE IV.

Partage et départemens des conseils.

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la

LE Le gouvernement d'un grand état tel France renferme en soi huit objets principaux qui doivent former autant de départemens, et par conséquent avoir chacun leur conseil particulier. Ces huit parties sont: ia justice, la police, les fiuances, le commerce, la marine, la guerre, les affaires étrangères, et celles de la religion. Il doit y avoir encore un neuvième conseil, qui, formant la liaison de tous les autres, unisse toutes les parties du gouvernement, où les grandes affaires, traitées et discutées en dernier ressort, n'attendent plus que de la volonté du prince leur entière décision, et qui, pensant et travaillant au besoin

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