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vos affaires. Mais si vous parvenez à la forcer de traiter avec vous comme de puissance à puissance et non plus comme de protecteur à protégé, profitez alors de l'épuisement où l'aura jetée la guerre de Turquie pour faire votre œuvre avant qu'elle puisse la troubler. Quoique je ne fasse aucun cas de la sûreté qu'on se procure au dehors par des traités, cette circonstance 'unique vous forcera peut-être de vous étayer autant qu'il se peut de cet appui, ne fût-ce que pour connaitre la disposition présente de ceux qui traiteront avec vous. Mais ce cas excepté, et peut-être en d'autres temps quelques traités de commerce, ne vous fatiguez pas à de vaines négociations, ne vous ruinez pas en ambassadeurs et ministres dans d'austres tres cours, et ne comptez pas les alliances et pour quelque chose. Tout cela ne sert de rien avec les puissances chrétiennes elles ne connaissent d'autres liens que ceux de leur intérêt: quarelles le trouveront à remplir leurs en-· gagemens, elles les rempliront; quand elles le trouveront à les rompre, elles les rompront: autant vaudrait n'en point prendre. Encore si cet intérêt était toujours vrai, la connaissance de ce qu'il leur convient de faire pourrait faire prévoir ce qu'elles feront. Mais ce n'est presque jamais la raison d'état qui les guide, c'est l'intérêt momentáné d'un ministre, d'une fille, d'un favori, c'est le motif qu'aucune sagesse humaine n'a pu prévoir, qui les détermine tantôt pour, tantôt contre

traités

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OXFORD

leurs vrais intérêts. De quoi peut-on s'assurer avec des gens qui n'ont aucun système fixe, et. qui ne se conduisent que par des impulsions fortuites? Rien n'est plus frivole que la science politique des cours: comme elle n'a nul principe. suré, l'on n'en peut tirer aucune conséquence certaine; et toute cette belle doctrine des intérêts des princes est un jeu d'enfans qui fait rire les

hommes sensés.

Ne vous appuyez donc avec confiance ni sur vos alliés ni sur vos voisins. Vous n'en avez qu un sur lequel vous puissiez un peu compter, c'est le grand seigneur, et vous ne devez rien épargner pour vous en faire un appui : non que ses maximes d'état soient beaucoup plus certaines que celles des autres puissances, tout y dépend égale ment d'un visir, d'une favorite, d'une intrigue de sérail; mais l'intére: de la Porte est clair, simple; il s'agit de tout pour elle; et généralement il y rẻgne, avec bien moins de lumières et de finesse, plus de droiture et de ben sens. On a du moins avec elle cet avantage de plus qu'avec les puissances chrétiennes, qu'elle aime à remplir ses engagemens et respecte ordinairement les traités. Il faut tâcher d'en faire avec elle un pour vingt ans, aussi fort, aussi clair qu'il sera possible. Ce traité, tant qu'une autre puissance cachera ses projets, sera le meilleur, peut-être le seul garant que vous puissiez avoir; et, dans l'état où la présente guerre laissera vraisemblablement la Russie, j'estime

qu'il peut vous suffire pour entreprendre avec súreté votre ouvrage; d'autant plus que l'intérêt commun des puissances de l'Europe, et surtout de vos autres voisins, est de vous laisser toujours pour barrière entre eux et les Russes, et qu'à force de changer de folies, il faut bien qu'ils soient sages au moins quelquefois.

C'est

Une chose me fait croire que généralement on vous verra sans jalousie travailler à la réforme de votre constitution; c'est que cet ouvrage ne tend qu'à l'affermissement de la législation, par conséquent de la liberté, et que cette liberté passe dans toutes les cours pour une manie de visionnaires qui tend plus à affaiblir qu'à renforcer un état. pour cela que la France a toujours favorisé la liberté du corps germanique et de la Hollande, et c'est pour cela qu'aujourd'hui la Russie favorise le gouvernement présent de Suède, et contrecarre de toutes ses forces les projets du rơi. Tous ces grands ministres qui, jugeant les hommes en général sur eux-mêmes et ceux qui les entourent, croient les connaître, sont bien loin d'imaginer quel ressort l'amour de la patrie et l'élan de la vertu peuvent donner à des âmes libres. Ils ont beau être les dupes de la basse opinion qu'ils ont des républiques et y trouver dans toutes leurs entreprises une résistance qu'ils n'attendaient pas, ils ne reviendront jamais d'un préjugé fondé sur le mépris dont ils se sentent dignes, et sur lequel ils apprécient le genre humain. Malgré l'expé

rience assez frappante que les Russes viennent de faire en Pologne, rien ne les fera changer d'opi nion. Ils regarderont toujours les hommes, libres comme il faut les regarder eux-mêmes, c'est-àdire comme des hommes nuls, sur lesquels deux seuls instrumens ont prise, savoir l'argent et le knout. S'ils voient donc que la république de Pologne, au lieu de s'appliquer à remplir ses coffres, à grossir ses finances, a lever bien des troupes ré -glées, songe au contraire à licencier son armée et à se passer d'argent, ils croiront qu'elle travaille à s'affaiblir; et, persuadés qu'ils n'auront pour en faire la conquête qu'à s'y présenter quand ils voudront, ils la laisseront se régler tout à son aise, en se moquant en eux-mêmes de son travail. Et il faut convenir que l'état de la liberté ôte à un peuple la force offensive, et qu'en suivant le plau que je propose on doit renoncer à tout espoir de conquête. Mais que, votre œuvre faite, dans vingt ans, les Russes tentent de vous envahir, et ils connaîtront quels soldats sont pour la défense de leurs foyers ces hommes de paix qui ne savent pas attaquer ceux des autres, et qui ont oublié le prix de l'argent.

Au reste, quand vous serez délivrés de ces cruels hôtes, gardez-vous de prendre envers le roi qu'ils ont voulu vous donner aucun parti mitigé. Il faut ou lui faire couper la tête, comme il la mérité, ou, sans avoir égard à sa première élection, qui est de toute nullité, l'élire de nouveau

avec d'autres pacta conventa, par lesquels vous le ferez renoncer à la nomination des grandes places. Le second parti n'est pas seulement le plus humain, mais le plus sage; j'y trouve même une certaine fierté généreuse, qui peut-être mortifiera bien autant la cour de Pétersbourg que si vous faisiez une autre élection. Poniatowski fut très-criminel sans doute; peut-être aujourd'hui' n'est-il plus que malheureux : du moins, dans la situation présente, il me parait se conduire assez comme il doit le faire en ne se mêlant de rien du' tout. Naturellement il doit au fond de son cœur désirer ardemment l'expulsion de ses durs maîtres. Il y aurait peut-être un héroïsme patriotique à se joindre, pour les chasser, aux confédérés; mais on sait bien que Poniatowski n'est pas un héros : d'ailleurs, outre qu'on ne le laisserait pas faire, et' qu'il est gardé à vue infailliblement, devant tout au Russe, je déclare franchement que, si j'étais à sa place, je ne voudrais pour rien au monde être capable de cet héroïsme-là.

Je sais bien que ce n'est pas là le roi qu'il vous faut quaud votre réforme sera faite; mais c'est peut-être celui qu'il vous faut pour la faire tranquillement. Qu'il vive seulement encore kuit ou dix ans, votre machine alors ayant commencé d'aller, et plusieurs palatinats étant déjà remplis par des gardiens des lois, vous n'aurez pas peur de lui donner un successeur qui lui ressemble ? mais j'ai peur, moi, qu'en le destituant simple

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