Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

tomberait insensiblement dans l'oubli;

les

que troupes perdraient leur courage et leur discipline; qu'il n'y aurait plus ni généraux ni soldats, et que l'Europe resterait à la merci du premier

venu.

Je réponds qu'il arrivera de deux choses l'une; ou les voisins de l'Europe l'attaqueront et lui fe ront la guerre, ou ils redouteront la confédération et la laisseront en paix.

Dans le premier cas, voilà les occasions de cultiver le génie et les talens militaires, d'aguerrir et former des troupes; les armées de la confédéra tion seront à cet égard l'école de l'Europe; on ira sur la frontière apprendre la guerre; dans le sein de l'Europe on jouira de la paix, et l'on réunira par ce moyen les avantages de l'une et de l'autre. Croit-on qu'il soit toujours nécessaire de se battre chez soi pour devenir guerrier? et les Français sont-ils moins braves parce que les provinces de Touraine et d'Anjou ne sont pas en guerre l'une

contre l'autre?

Dans le second cas, on ne pourra plus s'aguer rir, il est vrai; mais on n'en aura plus besoin; car à quoi bon s'exercer à la guerre pour ne la faire à personne? Lequel vaut mieux de cultiver un art funeste ou de le rendre inutile. S'il y avait un seᎩ cret pour jouir d'une santé inaltérable, y aurait-il du bon scus à le rejeter pour ne pas ôter aux médecins l'occasion d'acquérir de l'expérience? Il reste à voir dans ce parallèle lequel des deux arts

est plus salutaire en soi, et mérite mieux d'être conservé.

Qu'on ne nous menace pas d'une invasion subite; on sait bien que l'Europe n'en a point à craindre, et que ce premier venu ne viendra jamais. Ce n'est plus le temps de ces irruptions de barbares qui semblaient tombés des nues. Depuis que nous parcourons d'un ceil curieux toute la surface de la terre, il ne peut plus rien venir jusqu'à nous qui ne soit prévu de très-loin. Il n'y a nulle puissance au monde qui soit maintenant en état de menacer l'Europe entière; et si jamais il en vient une, ou l'on aura le temps de se préparer, on l'on sera du moins plus en état de lui résister, étant unis en un corps, que quand il faudra terminer tout d'un de longs différends

et se réunir à la hâte.

coup

Nous venons de voir que tous les prétendus inconvéniens de l'état de confédération bien pesés se réduisent à rien. Nous demandons maintenant si quelqu'un dans le monde en oserait dire autant de ceux qui résultent de la manière actuelle de vider les différends entre prince et prince par le droit du plus fort, c'est-à-dire de l'état d'impolice et de guerre qu'engendre nécessairement l'indépendance absolue et mutuelle de tous les souverains dans la société imparfaite qui règne entre eux dans l'Europe. Pour qu'on soit mieux en état de peser ces inconvéniens, j'en vais résumer en

peu de mots le sommaire que je laisse examine: au lecteur.

1. Nul droit assuré que celui du plus fort. 2. Changemens continuels et inévitables de relations entre les peuples, qui empêchent aucun d'eux de pouvoir fixer en ses mains la force dont il jouit. 3. Point de sûreté parfaite, aussi longtemps que les voisins ne sont pas soumis ou anéan tis. 4. Impossibilité générale de les anéantir, attendu qu'en subjuguant les premiers on en trouve d'autres. 5. Précautions et frais immenses pour se tenir sur ses gardes. 6. Défaut de force et de défense dans les minorités et dans les révoltes; car quand l'état se partage, qui peut soutenir un des partis contre l'autre? 7. Défaut de sûreté dans les engagemens mutuels. 8. Jamais de justice à espérer d'autrui sans des frais et des pertes immenses, qui ne l'obtiennent pas toujours, et dont l'objet disputé ne dédommage que rarement. 9. Risque inévitable de ses états et quelquefois de sa vie dans la poursuite de ses droits. 10. Nécessité de prendre part malgré soi aux querelles de ses voi sins, et d'avoir la guerre quand on la voudrait le moins. 11. Interruption du commerce et des res sources publiques au moment qu'elles sont le plus nécessaires. 12. Danger continuel de la part d'un voisin puissant si l'on est faible, et d'une ligue si l'on est fort. 13. Enfin inutilité de la sagesse où préside la fortune; désolation continuelle des peuples; affaiblissement de l'état dans les succès

et dans les revers; impossibilité totale d'établir jamais un bon gouvernement, de compter sur son propre bien, et de rendre heureux ni soi ni les

autres.

Récapitulons de même les avantages de l'arbi trage européen pour les princes confédérés.

1. Sûreté entière que leurs différends présens et futurs seront toujours terminés sans aucune guerre; sûreté incomparablement plus utile pour eux que ne serait, pour les particuliers, celle de n'avoir jamais de procès.

2. Sujets de contestations ôtés ou réduits à trèspeu de chose par l'anéantissement de toutes préentions antérieures, qui compensera les renonciations et affermira les possessions.

per

3. Sûreté entière et perpétuelle et de la sonne du prince, et de sa famille, et de ses états, et de l'ordre de succession fixé par les lois de chaque pays, tant contre l'ambition des prétendans injustes et ambitieux, que contre les révoltes des sujets rebelles

4. Sûreté parfaite de l'exécution de tous les engagemens réciproques entre prince et prince, par la garantie de la république européenne.

5. Liberté et sûreté parfaite et perpétuelle å l'égard du commerce, tant d'état à état, que de chaque état dans les régions éloignées.

6. Suppression totale et perpétuelle de leur dépense militaire extraordinaire par terre et par mer en temps de guerre, et considérable dimi

[ocr errors]

nution de leur dépense ordinaire en temps de paix.

7. Progrès sensibles de l'agriculture et de la population, des richesses de l'état, et des revenus du prince.

S. Facilité de tous les établissemens qui peuvent augmenter la gloire et l'autorité du souverain, les ressources publiques, et le bonheur des peuples.

Je laisse, comme je l'ai déjà dit, au jugement des lecteurs l'examen de tous ces articles, et la comparaison de l'état de paix qui résulte de la confédération, avec l'état de guerre qui résulte de l'impolice européenne.

Si nous avons bien raisonné dans l'exposition de ce projet, il est démontré premièrement que l'établissement de la paix perpétuelle dépend uniquement du consentement des souverains, et n'offre point à lever d'autre difficulté que leur résistance; secondement, que cet établissement leur serait utile de toute manière, et qu'il n'y a nulle comparaison à faire, même pour eux, entre les inconvéniens et les avantages; en troisième lieu, qu'il est raisonnable de supposer que leur volonté s'accorde avec leur intérêt; enfin que cet établis sement, une fois formé sur le plan proposé, serait solide et durable, et remplirait parfaitement son objet. Sans doute ce n'est pas à dire que les souverains adopteront ce projet (qui peut répondre de la raison d'autrui?), mais seulement

« PreviousContinue »