Page images
PDF
EPUB

GOUVERNEMENT DE POLOGNE

point ces distinctions de colleges et d'académies, qui font que la noblesse riche et la noblesse pauvre sont élevées différemment et séparément. Tous, étant égaux par la consti tution de l'état, doivent être élevés ensemble et de la même manière; et si l'on ne peut établir une éducation publique tout-à-fait gratuite, il faut du moins la mettre à un prix que les pauvres puissent payer. Ne pourrait-on pas fonder dans chaque college un certain nombre de places purement gratuites, c'est-à-dire aux frais de l'état, et qu'on appelle en France des bourses? Ces places, don nées aux enfans des pauvres gentilshommes qui auraient bien mérité de la patrie, non comme une aumône, mais comme une récompense des bons services des pères, deviendraient à ce titre honorables, et pourraient produire un double avantage qui ne ne serait pas à négliger. Il faudrait

pour cela

que

la nomination n'en fût

pas

arbi

traire, mais se fit par une espèce de jugement dont je parlerai ci-après. Ceux qui rempliraient ces places seraient appelés enfans de l'état, d distingués par quelque marque honorable qu donnerait la préséance sur les autres enfans de leur âge, sans excepter ceux des grands.

Dans tous les colléges il faut établir un gym nase ou lieu d'exercices corporels pour les enfans. Cet article si négligé est, selon moi, la par tie la plus importante de l'éducation, non-seule ment pour former des tempéramens robustes el

sains, mais encore plus pour l'objet moral, qu'on néglige ou qu'on ne remplit que par un tas de préceptes pédantesques et vains qui sont autant de paroles perdues. Je ne redirai jamais assez que la bonne éducation doit être négative. Empêchez les vices de naître, vous aurez assez fait pour la vertu. Le moyen en est de la dernière facilité daus la bonne éducation publique; c'est de tenir toujours les enfans en haleine, non par d'ennuyeuses études où ils n'entendent rien et qu'ils prennent en haine par cela seul qu'ils sont forcés de rester en place, mais par des exercices qui leur plaisent, en satisfaisant au besoin qu'en croissant a leur corps de s'agiter, et dont l'agrément pour eux ne se bornera pas là.

On ne doit point permettre qu'ils jouent séparément à leur fantaisie, mais tous ensemble et en public, de manière qu'il y ait toujours un but commun auquel tous aspirent et qui excite la concurrence et l'émulation les parens qui préfére ront l'éducation domestique, et feront élever leurs enfans sous leurs yeux, doivent cependant les envoyer à ces exercices. Leur instruction peut être domestique et particulière, mais leurs jeux doivent toujours ètre publics et communs à tous; car il ne s'agit pas seulement ici de les occuper, de leur former une constitution robuste, de les rendre agiles et découplés, mais de les accoutumer de bonne heure à la règle, à l'égalité, à la fraternité, aux concurrences, à vivre sous les

yeux de leurs concitoyens, et à désirer l'approbation publique. Pour cela, il ne faut pas que les prix et récompenses des vainqueurs s ient distribues arbitrairement par les maitres des exercices, ni par les chefs des colléges, mais par acclamation et au jugement des spectateurs; et l'on peut compter que ces jugemens seront toujours justes, surtout si l'on a soin de rendre ces jeux attirans pour le public, en les ordonnant avec un peu d'appareil, et de façon qu'ils fassent spectacle. Alors il est à présumer que tous les honnêtes gens et tous les bons patriotes se feront un devoir et un plaisir d'y assister.

A Berne, il y a un exercice bien singulier pour les jeunes patriciens qui sortent du collège. C'est ce qu'on appelle état extérieur. C'est une copie en petit de tout ce qui compose le gouvernement de la république. Un sénat, des avoyés, des offi ciers, des huissiers, des orateurs, des causes, des jugemens, des solennités. L'état extérieur a même un petit gouvernement et quelques rentes; et cette institution, autorisée et protégée par le sou verain, est la pépinière des hommes d'état qui

dirigeront un jour les affaires publiques dans les mêmes emplois qu'ils n'exercent d'abord que

par jeu.

Quelque forme qu'on donne à l'éducation pu

blique, dont je n'entreprends pas ici le détail, il convient d'établir un collége de magistrats du premier rang qui en ait la supreme administra

tion, et qui nomme, révoque et change à sa volonté tant les principaux et chefs des colléges, lesquels seront eux-mêmes, comme je l'ai déjà dit, des candidats pour les hautes magistratures, que les maîtres des exercices, dont on aura soin d'exciter aussi le zèle et la vigilance par des places plus élevées, qui leur seront ouvertes ou fermées selon la manière dont ils auront rempli celles-là. Comme c'est de ces établissemens que dépend l'espoir de la république, la gloire et le sort de la nation, je les trouve, je l'avoue, d'une importance que je suis bien surpris qu'on n'ait songé à leur donner nulle part. Je suis affligé pour l'humanité que tant d'idées qui me paraissent bonnes et utiles se trouvent toujours, quoique très-praticables, si loin de tout ce qui se fait.

Au reste, je ne fais ici qu'indiquer, mais c'est assez pour ceux à qui je m'adresse. Ces idées mal développées montrent de loin les routes inconnucs aux modernes par lesquelles les anciens menaient les hommes à cette vigueur d'âme, à ce zèle patriotique, à cette estime pour les qualités vraiment personnelles, sans égard à ce qui n'est qu'étranger à l'homme, qui sont parmi nous sans exemple, mais dont les levains dans les cœurs de tous les hommes n'attendent pour fermenter que d'être mis en action des institutions convenables. Dirigez dans cet esprit l'éducation, les usages, les coutumes, les mœurs des Polonais, vous développerez en eux ce levain qui n'est pas

par

encore éventé par des maximes corrompues, par des institutions usées, par une philosophie égoiste qui prêche et qui tue. La nation datera sa seconde naissance de la crise terrible dont elle sort; et voyant ce qu'ont fait ses membres encore indisciplinés, elle attendra beaucoup et obtiendra davantage d'une institution bien pondérée; elle ché rira, elle respectera des lois qui flatteront son noble orgueil, qui la rendront, qui la maintiendront heureuse et libre: arrachant de son sein les passions qui les éludent, elle y nourrira celles qui les font aimer; enfin, se renouvelant pour ainsi dire elle-même, elle reprendra dans ce nouvel âge toute la vigueur d'une nation naissante. Mais sans ces précautions n'attendez rien de vos lois: quelque sages, quelque prévoyantes qu'elles puissent être, elles seront éludées et vaines; et vous aurez corrigé quelques abus qui vous blessent, pour en introduire d'autres que vous n'aurez pas prévus. Voilà des préliminaires que j'ai cru indis pensables. Jetons maintenant les yeux sur la cons titution.

CHAPITRE V.

Vice radical.

EVITONS s'il se peut de nous jeter dès les premiers pas dans des projets chimériques. Quelle

« PreviousContinue »