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blesses, ne serait-ce pas encore un avantage pour la société, que le vicieux n'osat s'y montrer tel qu'il est, et qu'il fût forcé d'emprunter les livrées de la bienséance et de la modestie? On l'a dit, et il est vrai; l'hyprocrisie, toute odieuse qu'elle est en elle-même, est pourtant un hommage que le vice rend à la vertu; elle garantit du moins les ames faibles de la contagion du mauvais exemple.

Mais c'est mal connaitre les savans que de s'en prendre à eux du crédit qu'a dans le monde cette prétendue politesse qu'on taxe de dissimulation on peut être poli sans être dissimulé; on peut assurément être l'un et l'autre sans être bien savant; et plus communément encore on peut être bien savant sans être fort poli.

L'amour de la solitude, le goût des livres, le peu d'envie de paraitre dans ce qu'on appelle le beau monde; le peu de disposition à s'y présenter avec grace; le peu d'espoir d'y plaire, d'y briller; l'ennui inséparable des conversations frivoles et presque insupportables pour des esprits accoutu més à penser: tout concourt à rendre les belles compagnies aussi étrangères pour le savant qu'il est lui-même étranger pour elles. Quelle figure ferait-il dans les cercles? Voyez-le avec son air rêveur, ses fréquentes distractions, son esprit occupé, ses expressions étudiées, ses discours sentencieux, son ignorance profonde des modes les plus reçues et des usages les plus communs; bientôt par le ridicule qu'il y porte et qu'il y trouve,

par la contrainte qu'il y éprouve et qu'il y cause, il ennuie, il est ennuyé. Il sort peu satisfait, on est fort content de le voir sortir. Il censure intéricurement tous ceux qu'il quitte, on raille hautement celui qui part; et, tandis que celui-ci gémit sur leurs vices, ceux-là rient de ses défauts. Mais tous ces défauts, après tout, sont assez indifférens pour les mœurs; et c'est à ces défauts que plus d'un savant, peut-être, a l'obligation de n'être pas aussi vicieux que ceux qui le critiquent.

Mais avant le règne des sciences et des arts, on voyait, ajoute l'auteur, des empires plus étendus, des conquêtes plus rapides, des guerriers plus fameux. S'il avait parlé moins en orateur et plus en philosophe, il aurait dit qu'on voyait plus alors de ces hommies audacieux, qui, transportés par des passions violentes et traînant à leur suite une troupe d'esclaves, allaient attaquer des nations tranquilles, subjuguaient des peuples qui ignoraient le métier de la guerre, assujettissaient des pays où les arts n'avaient élevé aucune barrière à leurs subites excursions. Leur valeur n'était que férocité, leur courage que cruauté, leurs conquêtes qu'inhumanité : c'étaient des torrens impétueux qui faisaient d'autant plus de ravages qu'ils rencontraient moins d'obstacles. Aussi à peine étaient-ils passés, qu'il ne restait sur leurs traces que celles de leur fureur; nulle forme de gouvernement, nulle loi, nulle police; nul lien

ne retenait et n'unissait à eux les peuples vaincus. Que l'on compare à ces temps d'ignorance et de barbarie ces siècles heureux où les sciences ont répandu partout l'esprit d'ordre et de justice. On voit de nos jours des guerres moins fréquentes, mais plus justes; des actions moins étonnantes, mais plus héroïques; des victoires moins sanglantes, mais plus glorieuses; des conquêtes moins rapides, mais plus assurées; des guerriers moins violens, mais plus redoutés, sachant vaincre avec modération, traitant les vaincus avec humanité : l'honneur est leur guide, la gloire leur récompense. Cependant, dit l'auteur, on remarque dans les combats une grande différence entre les nations pauvres qu'on appelle barbares, et les peuples riches qu'on appelle policés. Il parait bien que le citoyen de Genève ne s'est jamais trouvé à portée de remarquer de près ce qui se passe ordinairement dans les combats. Est-il surprenant que des barbares se ménagent moins et s'exposent davantage? Qu'ils vainquent ou qu'ils soient vaincus, ils ne peuvent que gagner s'ils survivent à leurs défaites. Mais ce que l'espérance d'un vil intérêt ou plutôt ce qu'un désespoir brụtal inspire à ces hommes sanguinaires, les sentimens, le devoir l'excitent dans ces âmes géné reuses qui se dévouent à la patrie; avec cette différence que n'a pu observer l'auteur, que la valeur de ceux-ci, plus froide, plus réfléchie, plus

modérée, plus savamment conduite, est par lå même toujours plus sûre du succès.

Mais enfin Socrate, le fameux Socrate, s'est lui-même récrié contre les sciences de son temps. Faut-il s'en étonner? L'orgueil udomptable des Stoïciens, la mollesse efféminée des Epicuriens, les raisonnemens absurdes des Pyrrhoniens, le goût de la dispute, de vaines subtilités, des erreurs sans nombre, des vices monstrueux, infectaient pour lors la philosophie et déshonoraient les philosophes. C'était l'abus des sciences, non les sciences elles-mêmes, que condamnait ce grand homme; et nous le condamnons après lui. Mais l'abus qu'on fait d'une chose suppose le bon usage qu'on en peut faire. De quoi n'abuse-t-on pas? Et parce qu'un auteur anonyme, par exemple, pour défendre une mauvaise cause, aura abusé une fois de la fecondité de son esprit et de la légèreté de sa plume, faudra-t-il lui en interdire l'usage en d'autres occasions et pour d'autres sujets plus dignes de son génie? Pour corriger quelques excès d'intempérance, faut-il arracher toutes les vignes? L'ivresse de l'esprit a précipité quelques savans dans d'étranges égaremens : j'eu conviens, j'en gémis. Par les discours de quelquesuns, dans les écrits de quelques autres, la religion a dégénéré en hypocrisie, la piété en superstition, la théologie en erreur, la jurisprudence en chicane, l'astronomie en astrologie judiciaire, la physique en athéisme. Jouet des préjugés les plus

bizarres, attaché aux opinions les plus absurdes, entêté des systèmes les plus insensés, dans quels écarts ne donne pas l'esprit humain, quand, livré à une curiosité présomptueuse, il veut franchir les limites que lui a marquées la même main qui a donné des bornes à la mer? Mais en vain les flots mugissent, se sculèvent, s'élancent avec fareur sur les côtes opposées; contraints de se replier bientôt sur eux-mêmes, ils rentrent dans le sein de l'Océan, et ne laissent sur ses bords qu'une écume légère qui s'évapore à l'instant, ou qu'un sable mouvant qui fuit sous nos pas. Image naturelle des vains efforts de l'esprit, quand, échauffé par les saillies d'une imagination dominante, se laissant emporter à tout vent de doctrine, d'un vol audacieux il veut s'élever au-delà de sa sphère et s'efforce de pénétrer ce qu'il ne lui est pas donné de comprendre!

Mais les sciences, bien loin d'autoriser de pareils excès, sont pleines de maximes qui les réprouvent; et le vrai savant, qui ne perd jamais de vue le flambeau de la révélation, qui suit toujours le guide infaillible de l'autorité légitime, procède avec sûreté, marche avec confiance, avance à grands pas dans la carrière des sciences, se rend utile à la société, honore sa patrie, fournit sa course dans l'innocence, et la termine avec gloire.

FIN DE LA RÉPONSE du roi de POLOGNE.

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