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Par exemple, M. Gautier prend la peine m'apprendre qu'il y a des peuples vicieux qui sont pas savans; et je m'étais déjà bien douté q les Calmoucks, les Bédouins, les Cafres, n'étaie pas des prodiges de vertu ni d'érudition. M. Gautier avait donné les mêmes soins à 17 montrer quelque peuple savant qui ne fût pas cieux, il m'aurait surpris davantage. Partout me fait raisonner comme si j'avais dit que science est la seule source de corruption part les hommes : s'il a cru cela de bonne foi, j'admi la bonté qu'il a de me répondre.

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Il dit que le commerce du monde suffit acquérir cette politesse dont se pique un galan homme; d'où il conclut qu'on n'est pas fondé en faire honneur aux sciences. Mais à quoi don nous permettra-t-il d'en faire honneur? Depui que les hommes vivent en société, il y a eu des peuples polis, et d'autres qui ne l'étaient pas. M. Gautier a oublié de nous rendre raison de cette différence.

M. Gautier est partout en admiration de la pureté de nos mœurs actuelles. Cette bonne opinion qu'il en a fait assurément beaucoup d'honneur aux siennes ; mais elle n'annonce pas une grande expérience. On dirait, au ton dont il en parle, qu'il a étudié les hommes comme les péripatéticiens étudiaient la physique, sans sortir de son cabinet. Quant à moi, j'ai fermé mes livres ; et, après avoir écouté parler les hommes, je les ai

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Par exemple, M. Gautier prend la pet. m'apprendre qu'il y a des peuples vicieur sont pas savans; et je m'étais déjà bien donté les Calmoucks, les Bédouins, les Cafres, net pas des prodiges de vertu ni d'érudition: M. Gautier avait donné les mêmes soins i montrer quelque peuple savant qui ne fût pas cieux, il m'aurait surpris davantage. Parto me fait raisonner comme si j'avais dit science est la seule source de corruption p les hommes: s'il a cru cela de bonne foi, ja la bonté qu'il a de me répondre.

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M. Gautier est partout en admiration de la pa reté de nos mœurs actuelles. Cette bonne op dhoute qu'il en a fait assurément beaucoup aux siennes; mais elle n'annonce pas une grande expérience. On dirait, au ton dont il en par qu'il a étudié les hommes comme les péripatet ciens étudiaient la physique, sans sortir de s cabinet. Quant à moi, j'ai fermé mes livres: et, après avoir écouté parler les hommes, je les a

« grec ou du latin? escrit il en vers ou en prose? « Mais s'il est devenu meilleur ou plus advisé, « c'estait le principal; et c'est ce qui demeure der« rière. Criez d'un passant à nostre peuple, Ole «< sçavant homme! et d'un aultre, O le bon « homme! il ne fauldra pas de tourner ses yeulx << et son respect vers le premier. Il y fauldrait un « tiers crieur, O les lourdes testes ! » (*)

J'ai dit que la nature a voulu nous préserver de la science comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant, et que la peine que nous trouvons à nous instruire n'est pas le moindre de ses bienfaits. M. Gautier aimerait autant que j'eusse dit: Peuples, sachez donc une fois que la nature ne veut pas que vous vous nourrissiez des productions de la terre; la peine qu'elle a attachée à sa culture est un avertissement pour vous de la laisser en friche. M. Gautier n'a pas songé qu'avec un peu de travail on est sûr de faire du pain, mais qu'avec beaucoup d'étude il est très-douteux qu'on parvienne à faire un homme raisonnable. Il n'a pas songé encore que ceci n'est précisément qu'une observation de plus en ma faveur; car pourquoi la nature nous a-t-elle imposé des travaux nécessaires, si ce n'est pour nous détourner des occupations oiseuses? Mais, au mépris qu'il montre pour l'agriculture, on voit aisément que, s'il ne tenait qu'à lui, tous les la

(*) MONTAIGNE, liv. 1, chap: 24.

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dit que

boureurs déserteraient bientôt les campagnes

pour aller argumenter dans les écoles; occupation, selon M. Gautier, et, je crois, selon bien des professeurs, fort importante pour le bonheur de

L'état.

En raisonnant sur un passage de Platon, j'avais présumé que peut-être les anciens Egyptiens ne faisaient-ils pas des sciences tout le cas qu'on aurait pu croire. L'auteur de la réfutation me demande comment on peut faire accorder cette opinion avec l'inscription qu'Osymandias avait mise à sa bibliothèque. Cette difficulté eût pu êtr bonne du vivant de ce prince. A présent qu'il es mort, je demande à mon tour-où est la nécessit de faire accorder le sentiment du roi Osymandia avec celui des sages d'Egypte. S'il eût compté surtout pesé les voix, qui me répondra que le m poisons n'eût pas été substitué à celui de mèdes' Mais passons cette fastueuse inscripti Ces remèdes sont excellens, j'en conviens, et f'ai déjà répété bien des fois; mais est-ce une son pour les administrer inconsidérément, et s égard aux tempéramens des malades? Tel alim est très-bon en soi, qui, dans un estomac infi ne produit qu'indigestions et mauvaises hum Que dirait-on d'un médecin qui, après avoi Téloge de quelques viandes succulentes, co

la nature a voulu nous préserver cience comme une mère arrache une arme reuse des mains de son enfant, et que que nous trouvons à nous instruire n'est pas dre de ses bienfaits. M. Gautier aimerait que j'eusse dit : Peuples, sachez donc une e la nature ne veut pas que vous vous nour des productions de la terre; la peine qu'elle hée à sa culture est un avertissement pour le la laisser en friche. M. Gautier n'a pas qu'avec un peu de travail on est sûr de faire En, mais qu'avec beaucoup d'étude il est uteux qu'on parvienne à faire un home hable. Il n'a pas songé encore que cecines, ment qu'une observation de plus car pourquoi la nature nous a-t-elle inpour es travaux nécessaires, si ce n'est ner des occupations oiseuses? Mais, a

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MONTAIGNE, liv. 1, chap: 24.

de

rait

que tous les malades s'en doivent rassas J'ai fait voir que les sciences et les arts én le courage. M. Gautier appelle cela une fa

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gulière de raisonner, il ne voit point la liaiso qui se trouve entre le courage et la vertu. Ce n'es pourtant pas, ce me semble, une chose si difficil à comprendre. Celui qui est une fois accoutum à préférer sa vie à son devoir ne tardera guère lui préférer encore les choses qui rendent la vi facile et agréable.

J'ai dit que la science convient à quelques grands génies, mais qu'elle est toujours nuisible aux peuples qui la cultivent. M. Gautier dit que Socrate et Caton, qui blâmaient les sciences, étaient pourtant eux-mêmes de fort savans hommes, et il appelle cela m'avoir réfuté.

J'ai dit que Socrate était le plus savant des Athéniens, et c'est de là que je tire l'autorité de son témoignage tout cela n'empêche point M. Gautier de m'apprendre que Socrate était

savant.

Il me blâme d'avoir avancé que Caton méprisait les philosophes grecs; et il se fonde sur ce que Carnéade se faisait un jeu d'établir et de renverser les mêmes propositions, ce qui prévint mal à propos Caton contre la littérature des Grecs. M. Gautier devrait bien nous dire quel était le pays et le métier de ce Carnéade.

Sans doute que Carnéade est le seul philosophe ou le seul savant qui se soit piqué de soutenir le pour et le contre autrement tout ce que dit ici M. Gautier ne signifierait rien du tout. Je m'en rapporte sur ce point à son érudition.

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