Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

l'adversité n'a pu abattre, et pour sa fidélité que l'exemple n'a pu corroapre (1). Ce n'est point par stupidité que ceux-ci ont préféré d'autres exercices à ceux de l'esprit. Ils n'ignoraient pas que dans d'autres contrées des hommes oisifs passaient leur vie à disputer sur le souverain bien, sur le vice et sur la vertu, et que d'orgueilleux raisonneurs, se donnant à eux-ar mêmes les plus grands éloges, confondaient les autres peuples sous le nom méprisant de barbares; mais ils ont considéré leurs mœurs et ap pris à dédaigner leur doctrine (2).

[ocr errors]
[ocr errors]

Oublierais-je que ce fut dans le sein même de la Grèce qu'on vit s'élever cette cité aussi célèbre el par son heureuse ignorance que par la sagesse de ses lois, cette république de demi-dieux plutôt

(1) Je n'ose parler de ces nations heureuses qui ne connais- L sent pas même de nom les vices que nous avons tant de peine à réprimer, de ces sauvages de l'Amérique dont Montaigne ne balance point à préférer la simple et naturelle police, non-seulement aux lois de Platon, mais même à tout ce que la philosophie pourra jamais imaginer de plus parfait pour le gouvernement des peuples. Il en cite quantité d'exemples frappans pour qui les saurait admirer : « Mais quoy! dit-il, ils ne portent point de « hault de chausses. » (Liv. 1, chap. 30.)

(2) De bonne foi qu'on me dise quelle opinion les Athéniens mêmes devaient avoir de l'éloquence, quand ils l'écartèrent avec tant de soin de ce tribunal intègre des jugemens duquel les dieux mêmes n'appelaient pas. Que pensaient les Romains de la médecine, quand ils la bannirent de leur république? Et quand un reste d humanité porta les Espagnols à interdire à leurs gens de loi l'entrée de l'Amérique, quelle idée fallait-il qu'ils eussent

té n'a pu abattre, et pour sa fidélité que le n'a pu corroaipre (1).

'est point par stupidité que ceux-ci ont d'autres exercices à ceux de l'esprit. Ils ient pas que dans d'autres contrées des oisifs passaient leur vie à disputer sur le En bien, sur le vice et sur la vertu, et que lleux raisonneurs, se donnant à euxles plus grands éloges, confondaient les

que

d'hommes; tant leurs vertus semblaient supérieures à l'humanité? O Sparte, opprobre éternel d'une vaine doctrine! tandis que les vices conduits par les beaux arts s'introduisaient ensemble dans Athènes, tandis qu'un tyran y rassemblait avec tant de soin les ouvrages du prince des poètes, tu chassais de tes murs les arts et les ar

tistes, les sciences et les savans!

Levénement marqua cette difference. Athènes

Deuples sous le nom méprisant de bar devint le séjour de la politesse et du bon goût, le nais ils ont considéré leurs moœeurs et ap Edaigner leur doctrine (2). ierais-je que ce fut dans le sein même de qu'on vit s'élever cette cité aussi célèbre heureuse ignorance que par la sagesse

de

pays des orateurs et des philosophes : l'élégance
des batimens y répondait à celle du langage: on
y voyait de toutes parts le marbre et la toile ani-
més par les mains des maitres les plus habiles:
c'est d'Athènes que sont sortis ces ouvrages sur-

cette république de demi-dieux plutot prenans qui serviront de modèles dans tous les

n'ose parler de ces nations heureuses qui ne connais même de nom les vices que nous avons tant de peine à de ces sauvages de l'Amérique dont Montaigne ne bant à préférer la simple et naturelle police, non-seule lois de Platon, mais même à tout ce que la philosophie mais imaginer de plus parfait pour le gouvernement es. Il en cite quantité d'exemples trappans pour qui les dmirer: « Mais quoy! dit-il, ils ne portent point de e chausses. » (Liv. 1, chap. 30.)

bonne foi qu'on me dise quelle opinion les Atheniens vaient avoir de l'éloquence, quand ils l'écartèrent avec soin de ce tribunal intègre des jugemens duquel les mes n'ay pelaient pas. Que pensaient les Romains de la , quand ils la bannirent de leur république? Et quand d humanité porta les Espagnols à interdire à leurs gets trée de l'Amérique, quelle idée fallait-il qu'ils eussent

ages corrompus. Le tableau de Lacédémone est moins brillant. Là, disaient les autres peuples, les hommes naissent vertueux, et l'air même du pays semble inspirer la vertu. Il ne nous reste de ses habitans que la mémoire de leurs actions hé roiques. De tels monumens vaudraient-ils, moin

de la jurisprudence? Ne dirait-on pas qu'ils ont au réparer p ne seul acte tous les maux qu'ils avaient faits à ces malheure ladiens (")?

() Le roy Ferdinand, envoyant des colonies aux Ind prouvent sagement qu'on n'y menast aulcuns escholiers d Jurisprudence.... iugeant avecques Platon, que c'est une m ve provision de pais, que iurisconsultes et medecins. » N TAE, liv. 111, chap. 13.

[graphic]

et le jouet des barbares. tombe enfin sous le joug de peuples, et le jour de celui où l'on donna à l' d'arbitre du bon goût ( Que dirai-je de cett d'Orient, qui par sa l'être du monde entier, et des arts proscrits du peut-être par sagesse qu que la débauche et la co teux; les trahisons, les de plus noir; le concou plus atroce: voilà ce qu toire de Constantinople; nous sont émanées les lu se glorifie.

Mais pourquoi cherch lés des preuves d'une vér nos yeux des témoignage Asie une contrée immens conduisent aux premières sciences épuraient les moe anx hommes à verser leu elles animaient le courage

DISCOURS

ous que les marbres curieux qu'Athènes

laissés?

chose:

rest que le vrai, le bon, et le beau. Mais il y a
entre nous cette difference, que, quoique ces
e sachent rien, tous croient savoir quel-
de: au lieu que moi, si je ne sais rien,
moins je n'en suis pas en doute. De sorte
toute cette supériorité de sagesse qui m'est
accordée par l'oracle se réduit seulement à être
bien convaincu que j'ignore ce que je ne sais

[ocr errors]
[ocr errors]

lques sages, il est vrai, ont résisté au torgens
néral, et se sont garantis du vice dans leque
les muses. Mais qu'on écoute le jugement
premier et le plus malheureux d'entre eux
des savans et des artistes de son temps.
i examiné, dit-il, les poëtes, et je les re-
dont le talent en impose
comme des gens
-mêmes et aux autres, qui se donnent pour

[ocr errors]

pas

Voilà donc le plus sage des hommes au juge

, qu'on prend pour tels, et qui ne sont rien ment des dieux, et le plus savant des Athéniens

[ocr errors]
[ocr errors]

sentiment de la Grèce entière, Socrate, faisant

es poëtes, continue Socrate, j'ai passé aux dige de ignorance! Croit-on que, s'il ressuscites. Personne n'ignorait plus les arts que aminous, nos savans et nos artistes lui fepersonne n'était plus convaincu que les rent changer d'avis? Non, messieurs : cet homme

tes possédaient de fort beaux secrets. Ce

[ocr errors]

continuerait de mépriser nos vaines scien

ant je me suis aperçu que leur conditions: il n'aiderait point à grossir cette foule de liles uns et les autres dans le même prejuge laisserat, comme il a fait, pour tout précepte à pas meilleure que celle des poètes, et qu'ils tres dont on nous inonde de toutes parts, et ne ses disciples et à nos neveux, que l'exemple et

e que les plus habiles d'entre eux excellent

leur partie, ils se regardent comme les plus la mémoire de sa vertu. C'est ainsi qu'il est beau

s des hommes. Cette présomption a termi à fait leur savoir à mes yeux: de sorte que,

Fnstruire les hommes.

Socrate avait commencé dans Athènes, le vieux

mettant à la place de l'oracle, et me deman Caton continua dans Rome, de se déchaîne

ce que j'aimerais le mieux être, ce que je ou ce qu'ils sont, savoir ce qu'ils ont appris

coutre ces Grecs artificienx et subtils qui sédu saient la vertu et amollissaient le

[blocks in formation]

avoir que je ne sais rien, j'ai répondu à moi- concitoyens. Mais les sciences, les arts, et la di

ne et au dieu : Je veux rester ce que je suis.

lestique, prévalaren encore Rome se remplit

ous ne savons, ni les sophistes, ni les poëtes. Posophes et d'orateurs; on négligea la discipl

es orateurs, ni les artistes, ni moi, ce que

litaire, on méprisa l'agriculture, on embra

des sectes, et l'on oublia la patric. Aux noms sacrés de liberté, de désintéressement, d'obéissance aux lois, succédèrent les noms d'Epicure, de Zénon, d'Arcésilas, Depuis que les savans ont commencé à paraitre parmi nous, disaient leurs propres philosophes, les gens de bien se sont éclipsés (*). Jusqu'alors les Romains s'étaient contentés de pratiquer la vertu; tout fut perdu quand ils commencèrent à l'étudier.

O Fabricius! qu'eût pensé votre grande âme, si, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes? « Dieux! «cussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de <«< chaume et ces foyers rustiques qu'habitaient ja« dis la modération et la vertu? Quelle splendeur « funeste a succédé à la simplicité romaine? quel << est ce langage étranger, quelles sont ces mœurs « efféminées? que signifient ces statues, ces ta«<bleaux, ces édifices? Insensés, qu'avez-vous «< fait? Vous, les maîtres des nations, vous vous « êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que « vous avez vaincus! Ce sont des rhéteurs qui «< yous gouvernent! C'est pour enrichir des archi«tectes, des peintres, des statuaires et des his<«< trions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie! Les dépouilles de Carthage sont

[ocr errors]

(*) Postquam docti prodierunt, boni desunt. SENEC., ep. 95, Le même passage est cité par Montaigne, liv. 1, chap. 24.

« PreviousContinue »