Page images
PDF
EPUB

mœurs austères. Des courtisans, moins avi- 1789. des que leurs pères, mais plus futiles, plus inquiets, se faisaient aimer par une séduisante politesse, par les grâces de l'esprit et une bonté facile. L'église de France pouvait citer avec orgueil un grand nombre de prélats charitables, instruits, tolérans et modestes. Le gouvernement, par des fautes multipliées que j'ai retracées dans les volumes précédens de cette histoire; les grands, par leurs intrigues, par leur irréflexion; les parlemens, par une résistance ambitieuse, souvent mal dirigée, toujours mal combattue; enfin toutes les classes lettrées de la nation, par un esprit novateur et présomptueux, avaient compromis tous ces avantages dont quelques-uns ont disparu sans retour. Ce n'est pas que la France n'ait fait, depuis son bouleversement et dans le cours de ses agitations périodiques, des progrès très-marqués dans son agriculture, dans son industrie, dans les beaux-arts, dans les sciences; ce n'est pas que la littérature, tant de fois menacée et même atteinte par la barbarie, ait succombé à ses coups: ne la voyons-nous pás donner plusieurs signes de vigueur et de grâce, et paraître surtout avec les dons brillans de l'imagination? On dira encore moins

1789. que la gloire militaire nous ait manqué,

nous qui avons été écrasés de son formidable luxe. On peut aussi convenir que les mœurs des hautés et des moyennes classes se sont épurées; que la religion a repris beaucoup plus d'empire sur les âmes tendres et sur les esprits éclairés; que le matérialisme, attaqué de toute part avec vigueur, avec talent, ne conserve plus quelque force que par sa vieille alliance avec tous les vices qu'il flatte et foménte, et surtout avec l'esprit révolutionnaire. Mais si on eût laissé régner Louis XVI suivant le cours de son âge, et suivant les vœux de l'âme la plus vraiment libérale qui fut jamais; qu'on eût appuyé sa faiblesse, au lieu de l'accabler, tous ces biens ne nous étaient-ils pas naturellement acquis ? N'étaient-ils pas plus assurés, plus constans? Nous en jouirions avec plus d'innocence, avec moins d'alarmes et plus de gaîté. Notre sol n'eût pas été souillé et dévasté par la longue présence du crime, par l'horrible variété de ses combinaisons, par ses triomphes, par les hommages qu'il sut arracher à la faiblesse, et par les honteux vertiges de la peur. L'élite d'une génération n'aurait pas disparu; l'Europe n'eût pas vu périr violemment cinq ou six millions d'individus ; toutes

les capitales des grands états, et surtout la nôtre, auraient conservé intact l'honneur de leur vieille indépendance. Nous ne tremblerions pas à chaque heure de voir le retour de ces jours désastreux. C'est par ce que ce retour annoncé par celui de doctrines funestes excite nos alarmes ; c'est parce que l'assemblée constituante semble en plusieurs points servir de modèle à des peuples voisins, que j'entreprends d'écrire son histoire avec la sévérité que nos dangers demandent, avec l'équité qui seule donne quelque prix au témoignage de l'historien.

Les députés aux états-généraux s'approchaient de Versailles, comme les soldats de deux armées ennemies se hâtent de rejoindre leurs corps et leurs généraux pour engager une bataille décisive. Les embarras de finance, cause unique de cette convocation, ne semblaient plus que d'un intérêt mesquin. Les âpres et tranchantes brochures de l'abbé Sièyes avaient fait oublier les longs combats de chiffres de Necker et de Calonne. Les idées s'aggrandissaient ou plutôt se perdaient dans une étendue indéfinie. Les uns voulaient élever une constitution sur des ruines immenses; les autres, raffermir sur de vieux fondemens une consti

1789.

Dispositions des députés aux états-géné

faux.

1789.

tution dont l'existence et l'assiette étaient un problème historique. Pour les esprits même les plus calmes et les plus réfléchis, il devenait évident que nos constitutions anciennes avaient à la fois besoin d'un correctif et d'un supplément énergique. Le temps avait changé les conditions respectives du tiers-état, du clergé, de la noblesse, du parlement et de l'autorité royale; il fallait obéir au temps, mais il fallait aussi le respecter. Malheureusement on souriait au mot de révolution; on prétendait qu'à l'aide de certaines formules philosophiques, il était facile de faire d'une révolution le plus beau, le plus gai et le plus innocent des spectacles, de l'établir pour tous les siècles, de l'étendre à tous les peuples; c'était là le genre de cré dulité d'un siècle incrédule. M. Necker, qui paraissait présider à ce mouvement, craignait le fracas d'une révolution. Mais, comme ses études politiques étaient alors peu vastes, peu mûries, ses plans manquaient de vigueur et de netteté. Il s'était fait d'ailleurs deux articles de foi fort dangereux pour un homme d'état : l'un, que l'opinion publique s'accordait toujours avec les vœux de la sagesse et de la morale; l'autre, qu'il pouvait tout commander à l'opi

1789.

nion. Le roi, dans la pureté de son cœur, attendait les députés des trois ordres, comme un père attend des fils chéris, respectueux et dociles. Il se croyait aimé, parce qu'il méritait de l'être. Ni cette confiance, ni ce bonheur n'était partagé par la reine. L'atrocité des calomnies déjà répandues contre elle, lui révélait trop les retours aveugles et cruels d'une nation dont elle s'était vue idolâtrée. Disposée aux alarmes, elle se taisait, agissait peu, favorisait la cause des nobles de son intérêt plus que de sa protection, et se faisait un scrupule de troubler la sécurité du roi. Tous ceux des princes, qui venaient de signer une protestation contre le doublement du tiers-état, continuaient de parler à la cour un langage irrité, et voyaient les périls du trône dans les périls évidens de la noblesse et du clergé. Les nobles, pour opposer une digue tardive à l'esprit de révolution, s'efforçaient de ranimer des sentimens chevaleresques fort tombés en désuétude sous le règne languissant de Louis XV. Dans l'ardeur de leurs passions, ils s'étaient fait une loi de ne consulter jamais ni la politique ni la prudence. Les nobles de Bretagne venaient de donner un exemple de cette opiniâtreté fastueuse, irréfléchie qui

« PreviousContinue »