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1789. solus qu'elle pouvait servir de manifeste å l'insurrection prochaine. Mirabeau interrompit le cours de cette métaphysique révolutionnaire, en proposant de demander au roi, par une adresse, le renvoi des troupes ; il fut chargé de la rédiger. Cet esprit dangereusement flexible eut récours à cette hypocrisie sentimentale, dont le jargon avait été imaginé pour adoucir la sécheresse des doctrines, et sut enfermer dans des phrases tendres et respectueuses la menace et le programme de l'insurrection. On en jugera par les phrases suivantes* :

*

«Où donc est le danger des troupes, affecteront de >> dire nos ennemis? Que veulent leurs plaintes, puis» qu'ils sont inaccessibles au découragement?

» Le danger, Sire, est pressant, est universel, est >> au-delà de tous les calculs de la prudence humaine. » Le danger est pour le peuple des provinces. Une » fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons » plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule >>> grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, » les aigrit, les envenime.

» Le danger est pour la Capitale. De quel oil le » peuple, au sein de la disette, et tourmenté des >> angoisses les plus cruelles, se verra-t-il disputer » les restes de sa subsistance par une foule de soldats » menaçans? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle;

La réponse du roi fut froide et embarrassée.

1789.

Il parla de faire retirer les troupes jusqu'à Réponse du roi. Compiègne; mais fit entendre que, dans ce cas, il se rendrait lui-même dans le château de cette ville, et qu'il y transférerait l'assemblée. L'inquiétude redoubla. Mirabeau voulait que l'assemblée protestât contre une telle résolution, qui transporterait l'assemblée au milieu d'un camp formidable. L'assemblée s'abstint pourtant de représentations nouvelles.

Un grand mouvement se passait à la cour. La reine venait de se joindre au parti des princes, et de céder aux instances, aux promesses fanfarones du baron de Breteuil;

et le premier acte de violence, exercé sous pré» texte de police, peut commencer une suite hor» rible de malheurs.

» Le danger est pour les troupes des soldats français, approchés du centre des discussions, partici>> pant aux passions comme aux intérêts du peuple, » qui peuvent oublier qu'un engagement les a faits ›› soldats, pour se souvenir que la nature les fit » hommes,

» Le danger, Sire, menace les travaux qui sont >> notre premier devoir, et qui n'auront un plein suc» cès, une véritable permanence, qu'autant que les -»peuples les regarderont comme entièrement libres. » Il est d'ailleurs une contagion dans les mouvemens

Grand

mouvement à la cour.

1789. c'était un ministre fidèle, doué de quelque habileté, mais qui, en courtisan flatteur, affectait de mépriser les mouvemens popu→ laires, et recommandait la sécurité pour augmenter son crédit. Déjà il était le chef d'un ministère secret que le roi opposait par faiblesse à son ministère apparent. Le château était rempli de généraux, de colonels, d'aides-de-camp qui revenaient essoufflés de leurs courses insignifiantes. Tout présentait à la fois un air de mystère et de confiance, Le roi seul laissait lire sur son visage la perplexité de son esprit. La reine semblait jouir avec orgueil de la pensée qu'elle seule dirigeait toute cette noblesse armée pour la défense du

» passionnés. Nous ne sommes que des hommes. La » défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître fai»bles, peuvent nous entraîner au-delà du but. Nous » serons obsédés de conseils violens, démesurés; et la » raison calme, la tranquille sagesse ne rendent pas » leurs oracles au milieu du tumulte, des désordres, » des scènes factieuses.

» Le danger, Sire, est plus terrible encore... et » jugez de son étendue par les alarmes qui nous » amènent devant vous! De grandes révolutions ont >> eu des causes bien moins éclatantes. Plus d'une >> entreprise fatale aux nations et aux rois s'est an» noncée d'une manière moins sinistre et moins for» midable. »>

trône. Sá figure était empreinte d'une majesté nouvelle. Les adorations de la cour lui faisaient oublier les aveugles et atroces malédictions du peuple. Il n'était plus douteux pour personne qu'un coup d'état ne dût être frappé. Quelles en devaient être la force et l'étendue? Les mémoires de ce temps sont si stériles et si rares, qu'ils fournissent peu de moyen d'éclaircir ce mystère. Ce qu'il y a de certain, c'est que ni la reine ni le comte d'Artois n'avaient ni conçu ni présenté des projets sévères et cruels, qui, fort éloignés de leurs propres penchans, auraient fait une violence intolérable au cœur du roi. Il s'agissait, si j'en crois et la vraisemblance et les renseignemens particuliers qu'il m'a été possible de recueillir, de faire respecter la déclaration du 23 juin dans toute son étendue, d'y ajouter encore quelques clauses satisfaisantes pour le parti populaire, et de dissoudre l'assemblée, si elle persistait à vouloir, à elle seule, déterminer la constitution du royaume. Il fallait avant tout s'affranchir du protectorat importun et suspect du ministre populaire.

roi

1789.

M. Necker quitte

la France.

M. Necker, fatigué de n'obtenir plus du que des paroles glacées, l'avait conjuré (17 juillet. ) de s'expliquer avec lui. «Si je ne puis, lui

1789. » avait-il dit, écarter des nuages qui rendent >> inutile tout ce que je puis tenter encore » pour le service de Votre Majesté, j'oserai » lui demander encore une fois ma démis»sion. Je me retirerai hors du royaume, et » j'aurai soin de dissimuler mon départ de » manière que cet événement n'amène point » de catastrophes terribles. » Le roi fut vivement ému en écoutant ces mots, et d'un ton où régnait encore l'accent de la bonté, il lui dit : «Je prends votre parole. » Le 1 1 juillet, le roi rappela, dans un billet fort court et d'un style gêné, à M. Necker, cet entretien qui avait eu lieu quelques jours auparavant «Le moment que vous avez prévu, » lui disait-il, est arrivé. J'attends de votre » dévoûment à ma personne, que vous cachiez » votre départ; la nécessité me force d'y >> souscrire. » Necker reçut ce billet lorsqu'il était dans son salon, environné de ses amis, de plusieurs députés, de plusieurs dames.. Il ne montra aucune altération, continua un entretien commencé, et fit tout haut ses dispositions, comme s'il devait travailler le lendemain avec le roi. A peine la nuit futelle venue, il partit accompagné de madame Necker, sa seule confidente, et sans courrier, sans passe-port, sans se nommer nulle

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