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>> impossible de souffrir. Mes réflexions sont > faites. Je suis déterminé à tous les saeri»fices. Je ne veux pas qu'il périsse un seul » homme pour ma querelle. Dites donc à » l'ordre de la noblesse que je le prie de se » réunir aux deux autres; si ce n'est pas assez, je le lui ordonne; comme son roi, >> je le veux. >>

Je suis sûr qu'il n'est pas un de mes lecteurs qui n'éprouve ici un saisissement douloureux. Tous les malheurs de Louis XVI, et tous les nôtres, nous semblent écrits dans les mots : Je ne veux pas qu'il périsse un seul homme pour ma querelle. L'état c'est moi, avait dit Louis XIV, et je ne disconviens pas que ces mots, pris dans un sens trop absolu, pourraient conduire au despotisme oriental; mais, lorsqu'un monarque est en danger, aussi-bien que la monarchie, il ne doit pas oublier que l'état c'est lui-même, et je ne sais pourquoi il n'opposerait pas à des factions les armes qu'il opposerait à de dangereux voisins. Dans tout ce que nous aurons à rapporter de Louis XVI, l'homme humain l'homme juste et pieux, le saint même va se montrer sans cesse; le roi ne nous apparaîtra que rarement,

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La majorité de la noblesse obéit aux ordres 1789. du roi; la minorité du clergé suivit cet exemple. L'assemblée nationale reçut, avec orgueil, ces nouvelles conquêtes. Les nobles et les prélats gardèrent un maintien irrité. Les haines devenaient plus vives, lorsqu'on voyait de plus près et à toute heure ceux qui en étaient les objets. Les vaincus n'étaient pas moins superbes que les vainqueurs. On pouvait comparer la noblesse et le clergé à ces grands fleuves du Nouveau-Monde, qui, après avoir parcouru un long espace, viennent en grondant tomber dans une mer où ils doivent perdre leur nom et leur existence; mais où ils conservent encore quelque temps le mouvement, le bruit et la couleur de leurs eaux. Le gouvernement, incertain, propageait l'anarchie par les mesures même qu'il prenait pour la réprimer, et faisait des préparatifs de défense qui ressemblaient à des projets d'attaque. La Capitale était dans un mouvement continuel, et s'amusait tous les jours de désordres qui lui paraissaient de nobles exercices de la liberté ; le Palais-Royal en était le principal théâtre, La licence révolutionnaire partit du même lieu où sous le Régent tous les genres de dés

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ordres et d'audace avaient été préparés par la licence des soupers du prince et de ses favoris..

Dans ces vastes galeries que le duc d'Or léans avait fait construire depuis six ans, dans ce bazar européen, étincelant de tout l'éclat du luxe, de tous les produits d'un travail industrieux, mais souillé par les continuelles images de la prostitution; au milieu d'un jardin poudreux et rétréci, qui n'offrait plus qu'une aride promenade, circulaient pêle-mêle des curieux, des oisifs, des escrocs, des agens de police rarement exempts des vices qu'ils surveillent, d'imprudentes et malheureuses créatures aguerries au déshonneur. Dès que le duc d'Orléans se fut fait factieux, tout ce peuple lui appartint. Il n'y eut plus de café qui ne devînt une école de droit public, qui n'offrît une parodie burlesque et menaçante de l'assemblée nationale. L'étudiant quitta son collége; le clerc déserta le palais pour venir apprendre l'art de la parole. Tant d'orateurs et d'auditeurs formaient une telle foule, qu'il était à peine possible d'obtenir quelque rafraîchissement dans les cafés obstrués. Aussi a-t-on conjecturé que les maîtres de ces cafés recevaient des indemnités secrètes. Ici de jeunes

fanatiqués des écrits de J.-J. Rousseau, de 1789. l'abbé Mably, de l'abbé Raynal et de l'abbé Sièyes (car c'étaient-là les autorités du jour), annonçaient un nouvel âge d'or pour tous les peuples du monde. Là des hommes dépravés souriaient méchamment à cet innocent babil, à ce mysticisme philosophique, et ne se faisaient pas scrupule de troubler des rêveries philantropiques, en demandant la tête de ceux qu'ils dénonçaient comme accapareurs et comme ennemis du peuple. Suivant eux, la cour détournait les subsistances de la Capitale, voulait livrer Paris aux horreurs de la famine, au fléau d'une banqueroute, et devait terminer ses vengeances par le massacre universel des pa'triotes. Les capitalistes, les rentiers, tremblaient en écoutant ces sinistres prédictions; et, malgré les habitudes d'une vie paisible, la crainte leur dictait quelques expressions de fureur. Des mères de famille, attirées par là curiosité, par l'enthousiasme, entraient dans ces jardins d'où la bienséance et la pudeur les avaient si long-temps repoussées. L'ardeur régnait dans tous les yeux, le désordre dans tous les discours; on croyait s'entendre; la vertu égarée se mettait en communication avec le vice.

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séditieux du ré

ses.

(30 juin.)

Depuis plus d'un mois, le régiment des Mouvement gardes-françaises, composé de trois mille giment des six cents hommes habiles aux manœuvres, et gardes-françaijusques-là d'une discipline parfaite, donnait des inquiétudes sérieuses à ses commandans. L'enthousiasme général commençait à gagner ces soldats. Une corruption trop habilement pratiquée entrait dans leurs rangs. Le maréchal de Biron, mort depuis peu, avait exercé sur ce régiment une autorité à la fois sévère et paternelle. Le duc du Châtelet, nouveau colonel, quoique cíté parmi les seigneurs les plus intègres et les plus bienfaisans, s'était aliéné le cœur de ses soldats par des règlemens minutieux. Le service militaire se faisait encore avec exactitude; mais les gardes-françaises annonçaient hautement l'intention de joindre leur cause à celle du peuple. On prit l'imprudent parti de les consigner pendant plusieurs jours dans leur caserne. Cette clôture irrita leurs esprits, et fournit de nouveaux prétextes aux déclamations des plus factieux. Un jour deux ou trois cents d'entre eux se déterminent à violer leur consigne. Ils viennent se présenter au Palais-Royal. Avec quelle joie, quelles acclamations, quelles caresses, quels dons prodigues ne reçoit-on pas des hommes

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