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1789. joindre aux deux ordres qui ne les appelaient pas; tandis que la noblesse et le clergé renfermaient chacun une minorité assez imposante qui brûlait d'aller se joindre au tiersétat, et n'était retenue que par la crainte du blâme qui suit les défections. Rien n'était plus facile au tiers-état que de négocier avec succès auprès des hommes qui formaient ces deux minorités, et qui supportaient impatiemment, au milieu de leur ordre, des reproches souvent aggravés par le dédain. Le tiers-état seul envoyait des commissaires aux deux ordres, et le clergé les recevait avec des égards qui lui étaient prescrits par le caractère pacifique du sacerdoce. Le député Target produisit dans cet ordre une vive impression, en venant l'adjurer de se réunir au tiers-état au nom du Dieu de paix. Les curés applaudirent avec une bonhomie qui devait mal trouver sa récompense.

Conduite

de la cour et

Que faisait cependant le ministère? que du ministère. faisait la cour? Malheureusement le ministère et la cour suivaient une direction tout-à-fait opposée, et le roi qui eût voulu tenir la balance entre les deux ordres, la tenait d'une main peu ferme entre ses plus intimes conseillers. Il modifiait les plans des uns par les plans des autres, et différant d'agir, courait

le risque de n'agir plus que mal à propos. Il 1789. est vrai que le roi avait déjà fait offrir sa médiation aux trois ordres; mais personne ne pouvait se former une idée juste et précise du plan de conciliation sur lequel Necker insistait.« Délibérez en commun, disait›il, lorsqu'il s'agira d'affaires qui demandent » l'unité de résolution et l'unité d'action et » d'intérêt. Délibérez par ordre dans les oc>casions moins urgentes, afin de ralentir le » goût des innovations. » On lui demandait qui serait le juge de cette urgence; il répondait le roi. Alors on se soulevait dans les deux partis. Le gouvernement, disait-on, aurait dans ce mode arbitraire un moyen infaillible pour pour faire passer toutes les résolutions qui lui conviendraient. Il y avait une manière beaucoup plus simple et beaucoup plus forte de résoudre la difficulté ; c'était que le clergé et la noblesse réunis formassent une chambre haute, investie du pouvoir et des prérogatives de celle d'Angleterre. Necker inclinait visiblement vers ce parti pour lequel se déclaraient les esprits les plus sages; mais il n'osait le proposer ni aux trois ordres ni au roi, à qui il répugnait alors de jouer le rôle d'un roi d'Angleterre. Pour réussir dans ce projet, aussi salutaire que

1789. difficile, il fallait que le principal ministré ne négligeât aucun moyen de persuasion, de séduction envers les orateurs les plus distingués des trois ordres. Mais taciturne, distrait, souvent embarrassé, dominé par un eertain faste de vertu, il se tenait superbement isolé dans une situation qui demandait la chaleur la plus active dé l'éloquencé, la grâce de l'élocution, le charme des manières, une cordialité expansive, le don de l'à-propos dans les promesses et une fidélité scrupuleuse à les remplir.

L'ordre

se constitue en

assemblée na

tionale.

De jour en jour les députés du tiers-état du tiers-état manifestaient des prétentions plus absolues. Sûrs de voir bientôt arriver à eux une partie (17 juin.) considérable des députés du clergé et plusieurs membres distingués de l'ordre de la noblesse, ils parlèrent de se constituer. Tout dépendait du titre qu'ils allaient prendre. Jamais le choix d'une dénomination ne put avoir des conséquences plus étendues. Les esprits les plus réservés proposèrent un titre aussi simple que juste: LES REPRÉSENTANS CONNUS ET VÉRIFIÉS DU TIERS-ÉTAT ; d'autres substituaient à ces mots DU TIERS-ÉTAT, des communes de France, et par le choix de ce mot, ils décelaient leur penchant pour leur constitution anglaise. Mounier surtout

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développa cette proposition avec clarté et 1789. profondeur. L'abbé Sieyes allait beaucoup plus loin, et avec cette audace que peut seul donner l'esprit d'abstraction, supprimant les noms, les faits, les institutions premieres, les lois et les usages de quatorze siècles de nos annales, il réduisait tout à un calcul numérique d'une simplicité vraiment effrayante. Qui êtes-vous, disait-il ? La > chambre de la noblesse représente à peine »cent cinquante mille individus, et nous » sommes chargés de la procuration de >> vingt-cinq millions d'hommes. S'il était » permis d'arrêter l'action d'une assemblée >en refusant de s'y rendre, ce serait mottre »le corps dans la dépendance de quelques membres, ce serait étouffer la volonté de > vingt-cinq millions de Français, sous l'obs»tination despotique de quelques milliers » d'individus.» Ainsi ce publiciste posait la question, comme si elle avait été traitée dans une assemblée de sauvages, qui n'aurait reçu encore aucune institution politique. Appuyé sur cette arithmétique et sur ces abstractions, l'abbé Sièyes v Sièyes voulut qu'une assemblée, formée encore des seuls députés du tiers-état, s'appelât l'assemblée des représentans de la nation française. Mirabeau

1789.

prouva qu'un factieux homme d'esprit et de sens est beaucoup moins dangereux qu'un factieux métaphysicien. La proposition absolue de l'abbé Sièyes lui fit peur. Il n'avait point juré dans son âme l'abolition de toute espèce de patriciat. Personne n'en sentait mieux que lui toute la nécessité et n'en avait plus naturellement l'orgueil. Il proposa de substituer à ces mots de représentans de la nation française, celui de représentans du peuple français. A ce mot de peuple, les députés du tiers-état se crurent outragés. L'habile tribun fit tomber ces rumeurs en citant, l'autorité du lord Chatam, qui prononçait avec tant de pompe ces mots: La majesté du peuple anglais; puis entremêla fort adroitement des déclamations démagogiques à des paroles parfaitement mesurées. « Il est >> infiniment heureux, dit-il, que notre langue, dans sa stérilité, nous ait fourni >> un mot que les autres langues n'auraient, » pas donné dans leur abondance; un mot » qui présente tant d'acceptions différentes ; » un mot qui, dans ce moment où il s'agit » de nous constituer sans hasarder le bien public, nous qualifie sans nous avilir, » nous désigne sans nous rendre terribles; » un mot qui ne puisse nous être contesté,

>>

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