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1789. breux secrétaires, et il ne leur fut donné d'avoir du talent qu'avec lui. Sa plus grande force était dans sa colère. Cette passion, par un singulier phénomène, en l'élevant audessus des souvenirs importuns et des tristes témoignages de sa conscience, lui inspirait comme subitement de l'ordre dans ses pensées, un éclat vif et pur dans les images, de l'à-propos, des saillies, enfin des mouvemens généreux. Élevé à cette hauteur, il gouvernait l'assemblée comme il savait se gouverner lui-même. Son instruction politique était variée, nette et profonde. Même en faisant le mal, il ne rompaît pas avec l'espoir de faire le bien : c'était un orateur incorrect, brusque, pénible, mais adroit, puissant, redoutable et quelquefois sublime, La vertu en eût fait un orateur accompli.

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La plupart des hommes de finance, des banquiers, des capitalistes, se voyaient avec orgueil placés à la tête du tiers-état, d'un ordre devenu si puissant et qui allait bientôt devenir souverain. Le grand mouvement que l'agiotage avait reçu sous M. Necker et sous M. de Calonne, dirigeait l'esprit de cupidité vers des choses nouvelles; car l'agiotage vit de toutes ces lois violentes et précaires qui suivent les révolutions. Des avocats,

vétérans du jansénisme, apprenaient préci- 1789 pitamment la science de la politique, conciliaient de leur mieux les maximes des solitaires de Port-Royal avec celles de Voltaire, d'Helvétius ou de Diderot, et croyaient déjà savoir tout ce qu'ils exprimaient avec faconde. De nouveaux écrivains avaient paru dans la polémique engagée entre le tiersétat et les deux ordres. Un dogmatisme politique absolu dans tous ses principes, amer dans toutes ses applications, pouvait alors tenir lieu de l'éclat du talent. La plupart de ces écrivains étaient ligués contre l'autorité de Montesquieu, accusaient Voltaire de la plus basse servilité, et n'empruntaient de J.-J. Rousseau que la vague et confuse hypothèse du Contrat Social. Ainsi se formait je ne sais quel savoir pire que l'ignorance. L'imagination s'appauvrissait, la haine entrait dans toutes les âmes, et l'on prétendait user de l'empire d'une raison froide. Les pas sions s'armaient de métaphysique, comme deux siècles avant, elles s'étaient armées de théologie.

Tout ce qu'on appelait alors la petite bourgeoisie formait, surtout à Paris, une classe recommandable par un caractère facile, officieux, loyal, et même par de

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1789. bonnes mœurs; mais elle était en général

crédule, timide, vaine; et, quoique amie de l'ordre, avide à l'excès de tout événement qui lui formait un spectacle nouveau. Il est impossible de se peindre sous quel aspect hideux la multitude s'offrait alors dans la Capitale. La rigueur de l'hiver, la disette qui se faisait sentir, le bruit des bienfaits qui se répandaient à Paris, et par-dessus tout le bruit d'une révolution annoncée, avaient fait affluer dans cette Capitale déjà surchargée d'habitans malheureux, et corrompus par la misère même, une foule de mendians' nomades, à demi-nus; race d'hommes effrayans à voir, effrayans à entendre, que deux années voisines de l'anarchie avaient fait horriblement pulluler, et que la révolution a engloutie en avançant leur mort par les encouragemens donnés à tous leurs vices." Une scène de désordre, de délire, et l'une Réveillon au des plus sanglantes de la révolution, préSaint-Antoine. céda de deux jours l'ouverture des états(38 avril.) généraux.

Pillage de la manufacture de

faubourg

Il se répandit dans le peuple que Réveillon, riche et industrieux propriétaire d'une manufacture de papiers peints dans le faubourg Saint-Antoine, avait tenu quelques propos durs sur le compte des ouvriers,

qu'il avait parlé de réduire leur paye à quinze 1789. sous, et avait ajouté que le froment était trop bon pour eux, et qu'ils pouvaient se contenter de pommes de terre. L'émeute ne fut point excitée par des ouvriers de Réveillon; îl en était aimé, et venait de les nourrir pendant les rigueurs de l'hiver, à une époque où les travaux de sa manufacture étaient fort ralentis. Six mille bandits s'attroupèrent sur la place Royale, brûlèrent un mannequin qu'ils appelaient Réveillon, lurent un arrêt du tiers-état qui le condamnait à être pendu; et, se recrutant de fáctieux ou d'imbécilles, se portèrent sur son établissement. Instruit de son péril, il était allé réclamer du secours ; mais vingt ou trente soldats, chargés de défendre sa maison, n'osaient mettre un obstacle aux excès de ces furieux, et en devinrent les spectateurs. Tout fut mis au pillage, tout fut brisé; chacun attendait avec épouvante, mais dans l'inaction, les nouveaux attentats où se porterait cette foule gorgée de vin et de liqueurs, et qui poussait d'effroyables cris. Enfin un nombreux détachement de gardes-françaises et suisses vint les investir dans la maison dont ils s'étaient emparés ; ils refusent d'en sortir, se placent aux fenêtres, montent sur les toits, font

1789. pleuvoir des tuiles et des pierres sur les soldats. Ceux-ci ont d'abord la force de se contenir. Enfin, sur l'ordre qui leur est donné de repousser la force, les gardes tirent sur les toits ; une foule de ces malheureux en sont précipités. Les gardes-françaises entrent dans la maison; mais ils trouvent dans tous les appartemens les mutins barricadés, et se défendant avec une opiniâtreté que pouvait seule leur suggérer l'ivresse. Les soldats, irrités de cet aveugle acharnement, devinrent alors impitoyables. On croit qu'il ne périt pas moins de quatre à cinq cents mutins. Un grand nombre fut trouvé dans les caves, empoisonnés par l'acide nitreux qu'ils avaient pris pour une liqueur. On en fit prisonniers un certain nombre. La plupart avaient six ou douze francs dans leur poche. On reconnut parmi eux deux forçats échappés, qui furent condamnés à être pendus, Les Parisiens, vivement émus du péril de la Capitale, applaudirent d'abord aux mesures rigoureuses qui avaient été prises, et bientôt doutèrent de la nécessité d'un si vaste massacre. La cour vit dans le duc d'Orléans l'auteur de cette émeute, et supposa que c'était par ces scènes d'anarchie qu'il préludait à son

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