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parce que son retour était considéré comme le résultat et le témoignage des exploits du 14 juillet. Il parut sur le balcon de l'Hôtelde-Ville; madame Necker et sa fille l'accompagnaient. Pendant près d'une heure ces trois personnes, également enivrées de la gloire, s'abreuvèrent d'un bonheur qui semblait plus qu'humain. M. Necker s'applaudissait d'un enthousiasme qui favorisait ses desseins. Il rendit compte au milieu de l'assemblée de la commune de ce qu'il s'était permis relativement à M. le baron de Besenval, et s'adressant à des municipaux auxquels tous les pouvoirs de l'insurrection restaient confiés, il osa s'élever contre les assassinats populaires, et même contre toutes les rigueurs de l'esprit de vengeance. Il parlait à des magistrats indignés comme lui des dernières violences; il parlait avec un accent pathétique, avec d'habiles ménagemens. Les larmes de la pitié se mêlaient sur son visage avec celles d'une joie qui remplissait encore son âme. C'était un triomphateur auquel il paraissait impossible de rien refuser. Voici la fin de son discours :

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Distingués comme vous êtes, messieurs,

» par le choix de vos concitoyens, vous vou» lez sûrement être, avant tout, les défenseurs

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.

>> des lois et de la justice; vous ne voulez
» pas qu'aucun citoyen soit condamné, soit
>> puni, sans avoir eu le temps de se faire
» entendre, sans avoir eu le temps d'être exa-
»miné par des juges intègres et impartiaux;
» c'est le premier droit de l'homme; c'est le
» plus saint devoir des puissans; c'est l'o-
»bligation la plus constamment respectée
» par les nations. Ah! messieurs, non pas
» devant vous qui, distingués par une édu-
»cation généreuse, n'avez besoin que dé
» suivre les lumières de votre esprit et de
» votre cœur, mais devant le plus inconnu,
»le plus obscur des citoyens de Paris, je
» me prosterne, je me jette à genoux, pour
» demander que l'on n'exerce ni envers M. de
» Besenval, ni envers personne, aucune ri-
» gueur semblable en aucune manière à celles
» qu'on m'a récitées. La justice doit être
» éclairée, et un sentiment de bonté doit
» encore être sans cesse autour d'elle. Ces
»principes, ces mouvemens dominent telle-
» ment mon âme, que, si j'étais témoin d'au-
» cun acte contraire, dans un moment où
»je serai rapproché par ma place des choses
» publiques, j'en mourrais de douleur, ou tou-
»tes mes forces du moins en seraientépuisées.

» J'ose donc m'appuyer auprès de vous,

» messieurs, de la bienveillance dont vous >> m'honorez. Vous avez daigné mettre quel» que intérêt à mes services, et dans un moment où je vais en demander un haut prix, je me permettrai pour la première, » pour la seule fois, de dire qu'en effet mon » zèle n'a pas été inutile à la France, Ce haut prix que je vous demande, ce sont des

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égards pour un général étranger, s'il ne » lui faut que cela; c'est de l'indulgence et de la bonté, s'il a besoin de plus. Je serai » heureux par cette insigne faveur, en ne » fixant mon attention que sur M. de Besen» val, sur un simple particulier; je le serais » bien davantage, si cet exemple devenait >> le signal d'une amnistie qui rendrait le » calme à la France, et qui permettrait à >> tous les citoyens, à tous les habitans de ce » royaume, de fixer uniquement leur at»tention sur l'avenir afin de jouir de tous » les biens que peuvent nous promettre l'u»nion du peuple et du souverain, et l'ac» cord de toutes les forces propres à fonder » le bonheur sur la liberté, et la durée de » cette liberté sur le bonheur général. Ah! » messieurs, que tous les citoyens, que tous » les habitans de la France rentrent pour tou» jours sous la garde des lois. Cédez, je vous

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» en supplie, à mes vives instances, et que, » par votre bienfait, ce jour devienne le plus » heureux de ma vie, et l'un des plus glo>> rieux qui puissent vous être réservés. »

Les cris de grâce, d'amnistie, sortirent de toutes les bouches on s'embrassait; on se disait, en montrant l'heureux ministre : « Nous lui devons notre liberté; montrons» nous dignes de ses vertus. » L'assemblée des représentans de la commune prit ùn arrêté, pour faire cesser les poursuites contre le baron de Besenval et contre d'autres accusés. M. Necker sortit radieux de l'assemblée de la Ville. Il n'en avait point encore franchi les portes, que déjà son pouvoir n'était plus, que déjà ce beau rêve d'humanité, de générosité, de clémence, avait fui sans retour. Outre le corps municipal formé d'électeurs, et qu'on appelait les représentans de la commune, Paris comptait encore soixante autres assemblées municipales ou insurrectionnelles sous le nom de districts. La faction d'Orléans les fit assembler dès le soir même. La mesure proposée par M. Necker, l'arrêté pris par la commune, furent blâmés et cassés dans la plupart de ces districts.

Le lendemain, Mirabeau, dans l'assemblée nationale, tempéra cruellement la joie

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et les honneurs du ministre adoré. « D'où 1789. » vient, disait-il, qu'une municipalité s'ar»roge, presque sous les yeux de l'assemblée »> nationale, le droit de faire grâce et d'arrê» ter la rigueur des lois? La liberté n'a-t-elle » donc plus de périls à courir? Est-il temps » de rendre de la confiance à ses ennemis, » de les appeler à de nouveaux attentats? Par» donnons à M. Necker un mouvement gé»néreux, mais indiscret, et qui serait cri» minel dans toute autre circonstance. Plus » calmes que lui, sans être moins humains, » sachons maintenir l'ordre public par les lois, » par la séparation des pouvoirs et la subor» dination des autorités secondaires. » L'assemblée, toujours fière quand elle n'avait pas à contrarier la multitude, se rendit à l'avis de Mirabeau, et cassa l'arrêté de la municipalité de Paris. On n'avait point voulu voir l'illégalité dans des attentats monstrueux, et on la vit dans la clémence.

On a blâmé M. Necker de ne s'être point adressé directement à l'assemblée, de s'être passé de l'initiative royale pour un acte de clémence, d'être venu chercher à Paris les honneurs du triomphe; enfin, d'avoir reconnu le pouvoir insurrectionnel de la commune. Tous ces reproches me paraissent in

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