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1789. dédaigne de se plier aux plus simples calculs de la prévoyance humaine. Ils avaient refusé de nommer des députés aux états-généraux, en sorte que l'ordre de la noblesse éprouvait une lacune considérable dans sa représentation *.

Les prélats s'effrayaient du grand nombre de curés qui les suivaient aux états-généraux, et qui, nés plébéiens, exclus des hautes dignités du sacerdoce par un abus

* Le nombre des députés de la noblesse Bretonne aux états-généraux était de vingt-cinq. Quand la réunion des ordres fut opérée, les partisans de l'autorité royale eurent, dans presque toutes les occasions, lieu d'accuser de leurs défaites ces nobles Bretons qui ne s'étaient point rendus à leur poste, et qui leur auraient fourni tant de moyens de balancer et d'obtenir la majorité. Le parti royaliste se vit bientôt après diminué par ceux des nobles qui prirent le parti de l'émigration, et pour ceux à qui l'horreur des attentats du 5 octobre fit donner leur démission. Beaucoup de décrets ne furent rendus qu'à une majorité de cinquante, dix ou cinq voix. Ainsi les nobles, par leur indiscipline de parti, ne concouraient que trop aux plus funestes conséquences d'une révolution dont ils détestaient les principes. Je n'ai pas cru devoir omettre cette observation à une époque où nous voyons se renouveler souvent le même esprit d'indiscipline parmi des bons Français un peu trop accessibles à l'humeur et à la vanité.

assez récent, ouvraient une oreille facile aux 1789. promesses du tiers-état. La plupart de ces prélats avaient manifesté le plus pur esprit de tolérance à l'occasion de l'édit que Louis XVI venait de rendre en faveur des protestans. On citait parmi eux M. de Boisgelin, archevêque d'Aix.; M. de Cicé, archevêque de Bordeaux, l'un et l'autre amis de M. de Malesherbes. Mais plusieurs d'entre eux pensaient qu'il fallait élever des digues puissantes contre le torrent des doctrines irréligieuses. Des prédicateurs semaient l'alarme avec emportement. Le père Beauregard, ex-jésuite, qui avait prêché le carême à la cour, prononça, d'une voix tonnante, ces paroles dont les sacriléges violences d'Hébert et de Chaumette firent depuis une si étonnante prophétie : « Oui, vos temples, Seigneur, seront dépouillés et détruits, vos fêtes abolies, » votre nom blasphémé, votre culte proscrit. » Mais qu'entends-je, grand Dieu! que vois>je? aux saints cantiques qui faisaient reten» tir les voûtes sacrées en votre honneur, > succèdent des chants lubriques et profanes! . Et toi, divinité infâme du paganisme, in>> fâme Vénus! tu viens ici même prendre > audacieusement la place du Dieu vivant, > t'asseoir sur le trône du Saint des Saints...

1789.

Chefs du tiersétat.

> et recevoir l'encens coupable de tes nou» veaux adorateurs. »

Le duc d'Orléans, charmé d'avoir ressaisi la faveur du peuple par l'audace facile de son opposition et par ses libéralités, travaillait à susciter au roi de nouveaux embarras. A toute l'activité haineuse d'un mauvais parent il joignait quelques pensées mal ordonnées d'usurpation. Possesseur d'un revenu qui surpassait celui de plusieurs souverains, s'annonçant en prince par sa taille haute, élégante, par sa démarche aisée, doué d'un esprit agréable et facile, époux de la fille vertueuse du duc de Penthièvre, père de plusieurs enfans qui s'annonçaient avec des qualités dignes de leur sang, que manquait-il pour le bonheur au descendant de Henri IV? Le libertinage, qui avait amolli son bisaïeul le Régent, fit de plus profonds ravages dans cette âme faible et commune. Quoiqu'il fût entouré de quelques amis d'un cœur loyal, il chercha de préférence la société de plusieurs hommes spirituels et dépravés. Dès qu'ils lui virent des sentimens de haine et de vengeance contre le roi, contre la reine, contre les princes, ils lui persuadèrent que c'était là de l'énergie, et le disposèrent au crime. Sa destinée fut d'être le banquier, la

dupe, le complice et la victime des révolu 1789.

tionnaires.

Parmi les nobles qui s'étaient déclarés pour le parti populaire, on distinguait le, marquis de Lafayette, cher au peuple par quelques actes d'opposition contre la cour, et renommé pour des exploits d'une chevalerie républicaine accomplis dans le Nou-, veau-Monde. Sa gloire acquise, et la gloire, plus grande à laquelle il aspirait, surpas saient les forces de son esprit et de son caractère. Les lois des États-Unis, de ces colonies qui, par leur régime municipal étaient déjà presque une république avant la déclaration de leur indépendance, ces. lois qu'il avait étudiées en courant et en combattant, semblaient lui tenir lieu de toute autre instruction politique. Il regardait comme le type de toute bonne constitution les institutions d'un peuple agricul teur, simple, laborieux et disséminé par tribus, par famille sur un espace immense. Républicain par sentiment, il était encore un peu royaliste par devoir; il croyait pouvoir unir des idées d'insurrection avec un reste d'habitudes monarchiques. S'il désirait un vaste pouvoir, c'était pour se ménager la gloire de l'abdiquer, à l'exemple de

1789. Washington. Ses vertus privées lui faisaient des amis. Ni ses regards, ni ses paroles n'avaient rien d'enflammé. Son courage était de tous les momens; mais il ne savait pas toujours à quoi l'appliquer. Il cherchait ses devoirs et se brouillait quelquefois dans un examen qu'un esprit peu juste et peu étendu lui rendait difficile. Son bras aurait éu besoin d'être conduit par une volonté moins irrésolue que la sienne. Excellent élève de Washington en Amérique, il devint parmi nous le copiste embarrassé d'un grand homme.

Le comte de Clermont - Tonnerre et le comte de Lally-Tollendal adhéraient alors à plusieurs vœux du parti populaire. Leur éloquence vive et féconde était soutenue par des études politiques dont la direction était aussi sûre qu'étendue. L'un et l'autre cherchaient ce qu'il leur serait possible d'emprunter de la constitution anglaise. Ils se virent bientôt secondés dans leurs soins malheureusement infructueux par deux députés du tiers-état, Mounier et Malouet, hommes attentifs à observer les limites délicates qui séparent la liberté de l'anarchie. Dans le même parti figuraient, à quelques nuances près le duc de La Rochefoucault et son

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