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Une femme était venue donner aux capi- 1789. taines des gardes un avis effrayant; elle avait entendu deux hommes discourant entre eux, jurer que le roi n'entrerait pas vivant à Paris. Tout ce qu'on savait sur cette femme ne laissait aucun doute sur sa sincérité ni sur son zèle. Cet avis, rapporté au roi, n'ébranla pas sa résolution. J'ai promis d'aller à Paris, dit-il, mon peuple sait que je l'aime, je me confie à lui. Le roi passa une partie de la nuit à brûler les papiers qui pouvaient compromettre ses fidèles serviteurs. Le matin, 17 juillet, il entendit la messe, communia, dit adieu aux siens, et remit à Monsieur un écrit par lequel il lui conférait la régence, si on attentait à ses jours ou à sa liberté. A onze heures il monta en voiture; presque tous les députés de l'assemblée nationale, ornés de leur costume, accompagnaient à pied le carrosse du roi. Le peuple de Versailles se mêlait dans leurs rangs; une foule de paysans, armés de fourches et de bâtons, qui accouraient des campagnes voisines, embarrassaient le cortège et le rendaient hideux. Quatre cents gardes-du-corps marchaient en tête. Lorsqu'ils furent arrivés à la porte de Paris, nommée la Conférence, on ne leur en permit pas l'entrée; ils furent

1789. obligés d'attendre dans la campagne le retour du roi. La marche était aussi lente que confuse, et dura plus de sept heures. Lorsque le roi fut arrivé à la barrière, le nouveau commandant et le nouveau maire vinrent à sa rencontre. Il m'en coûte beaucoup de dire que Bailly ne respecta point assez la situation de l'infortuné monarque. On ne connaît que trop le début du discours qu'il adressa au roi, en lui présentant les clefs de la ville sur un plat d'argent : « Sire, j'apporte » à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville » de Paris; ce sont les mêmes qui avaient été » présentées à Henri IV. Il avait reconquis » son peuple; ici c'est le peuple qui a recon

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quis son roi.» Bailly, qui même dans ses écrits sur les sciences, avait trop sacrifié aux recherches du bel esprit, fut séduit par l'éclat de cette antithèse, et son cœur ne sentit pas qu'elle renfermait un outrage pour le malheur, la vertu et le trône; qu'il traitait son roi comme un captif, méconnaissait le mérite d'un grand acte de confiance, de bonté et de courage, et annonçait à l'Europe quelles violences étaient exercées sur le descendant de Louis XIV et de Henri IV. Il est vrai que le reste de son discours exprimaitdeş sentimens plus respectueux et plus

tendres; mais ces premiers mots en avaient 1789. détruit tout l'effet. Le roi eut à traverser une double haie de cent mille hommes armés. Plusieurs étaient vêtus de l'uniforme de garde national; la cocarde tricolore, substituée depuis deux jours au premier signe de l'insurrection, ornait tous les chapeaux. La voiture du roi était fort simple; les glaces permettaient de le voir. Monsieur était à ses côtés. MM. de Beauveau, de Villeroy, de Nesle, de Villequier et d'Estaing étaient dans la même voiture. Tout ce qui pouvait inspirer la terreur était déployé aux regards du roi; mais il fut impossible de découvrir sur ses traits la moindre impression de crainte. Jamais sa figure ne parut plus auguste; il contemplait cet appareil menaçant avec quelque surprise, quelque tristesse; mais c'était son peuple qu'il semblait plaindre. Son air de dignité confondait l'invective et la menace prêtes à s'échapper. Il circula dans les rang que l'on eût à s'abstenir du eri de vive le rai, jusqu'à ce qu'il se fût expliqué à l'Hôtel-de-Ville. Sur toute la route il n'entendit que le eri de vivela nation, proféré avec l'insolence d'une victoire récente. Les bourgeois, imbus du principe vague et métaphysique de la souveraineté des peuples, croyaient former une armée de sou

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