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clerc lui raconte fon infortune. Que ne vous êtes vous adreffé à cette maifon, lui dit le payfan.» Hélas! je l'ai fait, mais on m'a renvoyé. » Renvoyé, corbleu! Eh bien, apprenez que » cette maison-là c'eft la mienne : suivez-moi, » vous verrez qu'on peut y loger. « Le pay fan le conduit chez lui. Sa femme, qui ne l'attendoit pas, fut fort furprise de l'entendre frapper à la porte: elle fit promptement cacher le curé dans l'étable, & ouvrit. Son mari parla d'abord de fouper & de régaler fon hôte; mais fa femme lui dit, que ne l'attendant pas, elle n'avoit rien preparé. Le mari jura beaucoup : quant au clerc, qui avoit vu les apprêts d'un bon fouper, il favoit à quoi s'en tenir, & auroit bien voulu trouver l'occafion de fe venger. Enfin, il fut réfolu que Catherine (c'étoit le nom de la fervante) pafferoit un peu de fárine, pour leur faire quelque chofe. Pendant qu'elle étoit occupée à préparer ce maigre repas, le mari pria fon hôte de lui conter quelque hiftoire le clerc répondit qu'il n'en favoir aucune; mais fi vous voulez, ajouta-t-il, je vous dirai une aventure qui m'eft arrivée en route, ce matin, & qui m'a fait une belle peur. Le payfan y confent, & le clerc commence ainfi » Sire, je venois de traverser un bois, " & il étoit environ tierce (la troifieme heure » du jour), quand j'apperçus dans la campagne » un nombreux troupeau de cochons. Il y en » avoit de grands, de petits, des blancs, des » noirs, en un mor de toutes les tailles & de » toutes les couleurs; mais j'admirai fur-tow

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» celui qui menoit la bande : il étoit gras, lui» fant, rebondi; en un mot.... tel qu'a dû être » celui dont Catherine tout-à-l'heure a tiré un » morceau du pot. Quoi! ma femme, tu » as du bacon, interrompit le mari, & tu ne » nous le difois pas ! « La femme rougit; & comme elle n'eût rien gagné à nier le fait, elle en convint. » Notre ami, ajouta le payfan, » nous ne mourrons pas de faim, à ce que je nvois, & vous avez bien fait de voir des co» chons. Allons, achevez votre histoire. » difois donc, fire, qu'il y avoit dans la bande » un beau cochon. Il s'écarta un peu. Un loup » étoit-là aux aguets; il faute deffus, l'emporte » & s'enfuit, à peu près comme le valet » qui vient de venir ici, quand il y a eu dé» pofé fon vin. Comment, par les faints » dieux, nous avons du vin, s'écría le labou>> reur! nous voilà trop heureux. Mon cama» rade, grand merci, ç'a fera paffer le bacon; » mais dites-moi, eft-ce qu'il n'y avoit pas là » quelques chiens pour courir après votre loup? " Non; le porcher étoit apparemment resté » dans le bois; je ne le vis point. Moi, j'euffe » très fort defiré d'arrêter le voleur; mais com»ment m'y prendre? Par bonheur, j'apperçois » à mes pieds une très-grande pierre. Oh! ma » foi, elle étoit bien, fans exagérer.... auffi groffe » que le gâteau qu'a fait Catherine. » A ces mots, la femme refta confondue. » Oui, fire, » dit-elle, en balbutiant, je lui ai fait faire un » gâteau, je voulcis vous furprendre..... il eft

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aux œufs..... vous voyez que j'ai fongé à

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➜ vous. Dieu foit béni, notre femme; il n'y » a pas là de quoi me fâcher. Mais entre nous, » vive notre hôte avec fes peurs, pour faire » faire bonne chere. Si bien donc, fire, que » vous jettâtes une pierre au loup? Je la » lui jette, comme vous dites, & je l'attrape. » Mais voici le terrible de l'aventure, & c'eft » alors que j'ai eu vraiment peur. Il lâche le » bacon, & se retourne vers moi, en grinçant » des dents & en me regardant avec des yeux » furieux.... comme fait en ce moment le curé » qui eft la-bas au fond de l'étable. --- Ün » prêtre dans ma maison, s'écria le paysan? » ah! coquine, tu fais donc venir des amou» reux, quand je fuis dehors! & c'eft pour » cela apparemment que tu avois un fi bon

fouper?« Mon homme auffi-tôt de faifir un bâton, & de tomber à bras raccourci fur fa femme. Le prêtre, qui prévoit que fon tour va venir, veut s'échapper. Il est arrêté, battu à outrance, dépouillé tout nud, & dans cet état mis à la porte. Pour le pauvre clerc, il mangea le fouper du curé, but fon vin; & le lendemain, quand il partit, on lui donna encore toutes fes hardes.

Nous ne pouvons nous refufer au plaifir de faire encore part à nos lecteurs du Siegé prété & rendu, dont l'idée paroîtra plaifante.

Un certain comte Henri, feigneur libéral & magnifique, avoit pour fénéchal un homme dur, avare & brutal, qui lui fervoit en même-temps d'intendant & de maître-d'hôtel. Ce comte Henri fit un jour annoncer qu'il tien◄

droit cour pléniere, & il la fit publier dans tout fon voisinage. Chevaliers, dames, écuyers, il y vint un monde prodigieux. La fête fut fomptueufe; par-tout les portes ouvertes, des tables dreffées, & la plus grande profufion. It ne faut pas demander quel fut dans ce jour l'humeur de l'avare fénéchal. Pendant le repas, il vit entrer un bouvier craffeux & mal-peigné, nommé Raoul. » Que vient faire ici ce »gredin, demande l'ordonnateur en colere? Eh parbieu, répondit le vilain, j'y » viens manger, puifqu'on y regale. « Et en même-temps il prie le fénéchal de lui faire donner une place, car il n'y en avoit pas une feule de vuide. Celui-ci, furieux, lui allonge de toute la force un coup de pied dans le derriere: Tiens, lui dit-il, affeois-toi là-deffus, je te prête ce fiege. Raoul, affectant de rire, mais très-réfolu de fe venger, s'il le pouvoit, fe retira dans un coin où il s'arrangea comme il put; & après avoir bien bu, bien mangé, il paffa dans la falle.

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Le comte venoit d'y faire entrer les Ménétriers & les Jongleurs, & avoit promis fa belle robe neuve d'écarlate à celui d'entr'eux qui feroit le plus rire, & divertiroit le mieux l'affemblée. Tandis qu'ils fe piquoient à l'envi de fe furpaffer, Raoul, fa, ferviette à la main, s'approcha du fénéchal, qui étoit auprès du comte, & lui lançant dans les feffes à fon tour un tel coup de pied qu'il lui fit donner du nez en terre, il ajouta : » Sire, voilà votre ferviette & puis votre fiege que je vous

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» rends rien n'eft tel que les honnêtes gens, » voyez-vous; avec eux rien n'eft perdu. « La chûte du fénéchal fait jetter un cri à l'affemblée; les domeftiques accourent & s'apprêtent déja à châtier le vilain, lorfque le comte lui demande pourquoi il a frappé son officier. » Monfeigneur, répondit Raoul, on m'a dit » que je pouvois faire aujourd'hui bonne chere » au château, j'y fuis venu; mais les autres >> avoient été plus alertes que moi. J'ai donc » prié monfieur votre fénéchal qu'il me pro» curât une petite place, & lui, qui eft fort » poli, m'a fait tout de fuite présent d'un coup » de pied, en difant qu'il me prêtoit ce fiege» là. A préfent que j'ai mangé & que je n'ai

plus befoin de fon fiege, je fuis venu le » lui rendre & je vous prends à temoin, » monfeigneur, que je n'ai plus rien à lui; » car, quoiqu'un pauvre homme, j'ai de la » conscience. » A ces mots, le comte & tous les fpectateurs éclaterent de rire. Le fénéchal, pendant ce temps, fe grattoit le derriere; & fon air décontenancé ajoutoit encore au comique de la fcene. Enfin on rit fi fort & fr long-temps, que le comte adjugea fa robe neuve d'écarlate à Raoul.

Afin qu'on puiffe juger du mérite de la traduction, du choix & de l'intérêt de ces monumens littéraires nous en tranfcrirons encore quelques-uns.

Le Bachelier Normand.

L'autre année, quand Acre fut prife, ar

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