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commun, dans le douzieme fiecle, que les chansons érotiques. St. Bernard en avoit compofé plufieurs dans fa jeuneffe: celles d'Abélard pour la célebre Héloïfe, furent chantées par toute la France; & ce goût de gaieté frivole étoit même devenu fi général, qu'en Normandie, dans les longues proceffions, tandis que le clergé reprenoit haleine, les femmes en chantoient de badines, nugaces cantilenas. On connoît encore celles de Thibault, comte de Champagne, pour la Reine-Blanche, mere de St. Louis. Tous ces auteurs de chanfons n'étoient point des Troubadours, & nous ne devons donc point ce premier genre à la Pro

vence.

L'auteur explique enfuite l'origine de la romancerie. Il prétend que ce ne fut ni la galanterie ni l'amour qui produifirent les romans, mais qu'on les doit au même motif qui enfanta les croisades; c'eft-à-dire, à un zele de dévotion mal-entendu. Les Sarrafins étoient maîtres de l'Espagne; d'où fans ceffe ils menaçoient la France, dont ils avoient déja poffédé quelques provinces: ils avoient envahi les lieux faints, & l'on regardoit la religion comme intéreffée à cette forte de profanation. On crut donc devoir fonner la trompette contre un peuple infidele & conquérant, que le fanatisme rendoit redoutable; & ainfi nâquirent les trois premieres productions romanefques. Dans toutes les trois on fuppofe pour ennemis aux Sarrafins le héros le plus célebre qu'eûr encore produit la France, Charlemagne l'un de ces poëmes lui fait faire.

une expédition en Palestine, l'autre en Espagne, le troifieme en Languedoc, pour délivrer Carcaffonne & Narbonne, que ces ennemis du nom chrétien tenoient affiégées. Une remarque que fait l'auteur, c'eft que ces trois fables dé-, votes font dûes à trois moines. Les poëtes ne tarderent pas à s'emparer d'un genre de fiction. fi favorable à des imaginations extravagantes & fans frein. Cependant en adoptant le genre & fouvent le héros, ils fe garderent bien d'adopter le fujet. La chevalerie venoit de naître; ils la tranfporterent dans leurs poëmes avec fa bravoure inquiete, fon ardeur pour les exploits merveilleux & fa galanterie exaltée. D'autres. romans (on appelloit ainfi ces poëmes nouveaux, parce qu'ils étoient écrits en Romane). n'eurent pour objet que des aventures d'amour;; d'autres furent fondés fur les preftiges de la féerie.

Il feroit difficile de dire jufqu'à quel point les romans fe multiplierent, le fuccès prodigieux qu'ils obtinrent, non-feulement en France, mais dans tous les royaumes voisins. L'Italie & l'Efpagne les adopterent. Plufieurs furent traduits dans ces langues étrangeres, & conferverent. même une telle célébrité, que, dans la suite, lorfque le tems en eut aboli la mémoire parmi nous, il fe trouva des auteurs, qui de bonne foi les croyant Italiens ou Espagnols, les retraduifirent en françois, comme des productions originairement étrangeres.

Tous ces romans furent écrits en Romane françoife; on ne les devoit point aux poëtes

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Provençaux. L'auteur ne connoît aux Troubadours que quatre romans, & tous quatre dévots: ce font Philumela, Gérard de Rouffillon, Guillaume au court-nez, & Honorat de Lérins. » Qui a pu, dit-il, occafionner chez eux cette » difette, dans un genre fur-tout fi fêté, fi » long-tems à la mode? Voilà encore un de » ces faits auxquels n'ont pas fait attention ceux » qui ont prôné les rimeurs en provençale. » On vante tant l'imagination vive de ces pro» vinces favorifées du ciel; & elles n'ont pas

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produit un feul roman de féerie! quoi! l'hif"toire nous parle fans ceffe de leur galanterie, » & cette galanterie aboutit à des chanfons! » pas un feul roman d'amour; pas un feul de » chevalerie fur-tout, dans des fiecles où toutes » les imaginations exaltées par les conquêtes » d'Angleterre, de Sicile, de Constantinople, » de Jérufalem, &c. par les fpectacles guerriers » des tournois, par les fêtes des cours plénie» res, ne refpiroient que le fanatifme des grandes " actions! « Quelqu'irréguliers, quelqu'extravagans même que fuffent ces romans, ils étoient alors regardés comme des productions de longue haleine; c'étoit l'épopée du tems: ne seroit-on pas tenté de croire que les Provençaux n'avoient point la tête épique?

Un genre plus agréable, plus piquant, plus varié, dans lequel nos poëtes François l'em. porterent encore fur les Provençaux, eft celui des contes, qu'on nomma d'abord Fables, Fabels ou Fabliaux; on débitoit ces petits poëmes dans les feftins; ils animoient les plaisirs de la

table. Des bandes joyeuses de jongleurs & de muficiens alloient les réciter de ville en ville, de châteaux en châteaux, & en amufoient le peuple & la nobleffe. Ce nouveau genre comme celui des romans, eut bientôt une vogue prodigieufe dans toute l'Europe: toutes les nations s'emprefferent de recueillir ou d'imiter nos contes. Il n'y eut pas jufqu'à la langue même, qui, toute barbare qu'elle étoit alors, ne devînt univerfellement à la mode. Transportée à Naples & en Sicile par les Normands; en Angleterre par Guillaume-le-Conquérant; en Syrie, en Palestine, dans la Morée, dans l'lfle de Chypre, à Conftantinople, par les croifades; elle obtint fur toutes les autres langues une prééminence fi décidée, que Brunetto Latini, compofant, vers 1260, un cours d'étude, préféra de l'écrire dans notre idiôme, parce que la parlure, dit-il, en eft plus délitable, & commune à tous langaiges.

Ce triomphe de la langue, quel qu'il foit; étoit celui de la romane françoise: il n'étoit nullement queftion de la provençale. L'invention du genre des contes ou fabliaux appartient donc encore aux feuls poëtes François : l'hiftoire des Troubadours, publiée depuis quelques années, n'offre que deux contes parmi les ouvrages de ces rimeurs Provençaux, & tous deux faits dans un tems où la plupart de ceux de nos fabliers exiftoient déja. Ce furent encore les rimeurs François du XIIIe. qui ouvrirent en France la carriere dramatique; l'auteur le prouve par des pieces originales. De,

là, l'origine de toutes ces Moralités, Myfterès, Farces & Sotties, qui furent données enfuite; ouvrages abfurdes, il eft vrai, mais qui n'en ont pas moins préparé les jours brillans de notre théatre. Or, demande l'auteur, quelles font parmi ces pieces celles qu'on doit aux Troubadours? Qu'ont-ils fait pour les progrès de l'art, & quelles obligations leur a la scene françoise » Leur hiftoire exifte, dit-il, ou»vrez-là, qu'y trouvez-vous? Des firventes, » des tenfons, d'éternelles & ennuyeuses chan»fons d'amour, fans couleur, fans images, » fans aucun intérêt; en un mot, une affou» piffante monotonie, à laquelle tout l'art de » l'éditeur & l'élégance de fon ftyle n'ont pu » remédier.... Il ne faut rien diffimuler, ajou» te-t-il, & avoir le courage de publier une » remarque intéreffante & bien extraordinaire » affurément, qui fe préfente ici, & que per» fonne, je crois, n'a été jufqu'à présent dans » le cas de faire, c'eft que les provinces, qui » aux XIIe. & XIIIe. fiecles produifirent les » romanciers & fabliers François, font celles-là » mêmes, qui, aux XVIIe. & XVIIIe. ont pro» duit auffi Moliere, Boileau, Racine, la Fon»taine, Boffuet, Voltaire, Rouffeau, Cor"neille, Buffon, Condé, Turenne, le Brun, » Descartes, Vauban, &c. c'est-à-dire, le gé» nie, l'éloquence, les belles imaginations, les » talens fublimes, & les grands hommes en» fin qui ont illuftré la France. La nature, en » mettant dans le partage de fes faveurs tant » d'inégalité entre les différens cantons di

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