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vans de fa connoiffance; il confie à la fervante ce précieux bouclier, avec ordre d'y mettre fon fils, & de l'apporter à la compagnie, 'couvert d'une piece de fatin bleu.

Les favans s'étant raffemblés dans fa maifon » Amis, leur dit-il, je me propose » de vous présenter mon fils; mais comme » ce n'eft pas un enfant vulgaire, je ne » vous le présenterai point non plus d'une » façon triviale; fon berceau eft mon ancien » bouclier, fi fameux dans toutes les univer» fités de l'Europe. Vous favez tous comment »je me fuis procuré ce monument de la plus » haute antiquité aux dépens de la vaiffelle de » toute ma famille...... Il s'arrêta en cet en» droit de fa harangue à la vue de la fervante » qui entroit avec l'enfant. Il le prend d'abord entre fes bras. Voyez donc mon fils, mais » regardez d'abord ce bouclier. Contemplez » cette rouille. Précieux vernis du tems, » & production vénérable de tant de fie" cles. <<<

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» En achevant ces mots, il leve lentement » la couverture de fatin; mais à mesure qu'il » procédoit à l'exhibition de cette précieuse » antique, une pâleur mortelle se répandoit fur »fon vifage, & fa main trembloit. A la fin

fes forces l'abandonnent au point qu'il laiffe » tomber le bouclier & l'enfant à terre, en » s'écriant d'un ton lamentable, mon bouclier! »ô ciel! mon bouclier!

"En effet, la fervante, qui fe piquoit de » propreté, & qui s'intéreffoit à l'honneur de

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»fon jeune maître, avoit fi bien écuré le bou-
»clier qu'on s'y pouvoit mirer. «

Cornelius qui s'étoit évanoui à ce spectacle; étant enfin revenu à lui même, » ô femme, » femme, s'écria-t-il, (& en prononçant ces » mots il arracha le bouclier avec violence » des mains de la fervante) eft-ce donc à ton » ignorance que ce monument devra fa ruine! » où eft cette belle croûte qui l'a couvert fi » long-tems? où font ces traces du tems, &, "pour ainfi dire, ces doigts de l'antiquité. » L'attouchement groffier d'une femme ignare » a détruit tout cela.

>> Les commeres (qui étoient accourues au » bruit, & qui ne fe mettoient guere en peine » de la caufe de fes regrets) demanderent feu»lement fi l'enfant ne s'étoit point fait de mal; » & dirent: là, là, tout eft bien, la fervante » n'a fait que fon devoir elle écure on ne » peut pas mieux; quel tintamarre il fait pour » un baffin qu'un barbier de village n'auroit » pas voulu, il y a deux heures, pendre à » la porte de fa boutique. Un baffin, s'écria » une autre, ce n'eft tout au plus qu'un mau» vais chandelier fans tuyau. Les favans, qui >> jufqu'alors avoient gardé le filence, ayant » confidéré attentivement le bouclier, déclare>> rent qu'ils adoptoient ce dernier fentiment, » & tâcherent de confoler Cornelius, en l'affu» rant qu'au bout du compte ce n'étoit qu'un » chandelier. Mais cette confolation, bien loin » de calmer le docteur, le mit dans une fi fu»rieufe colere, qu'il fallut l'emporter & le

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» coucher dans fon lit, où, fatigué de tant d'agitation, il ne tarda guere à s'endor» mir. «

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Tous les détails de l'éducation que Cornelius donne à fon fils font très-plaifans. Les fubtilités de l'ancienne philofophie y font particuliérement tournées en ridicule. Comme le jeune Martin avoit l'entendement très-épais, » Corne;

lius, obligé d'éclaircir des vérités intellec»tuelles par le fecours des images fenfibles, » appella un jour fon cocher, & lui demanda » ce qu'il avoit vu la veille. Le cocher ré»pondit qu'il avoit vu deux hommes qui fe » battoient pour un prix, que l'un étoit un bel » homme, fergent aux gardes, l'autre noir & » boucher de profeffion; que le fergent avoit » des culottes rouges, au lieu que celles du »boucher étoient bleues; qu'ils s'étoient battus » fur un théatre vers les quatre heures après» midi, & que le fergent avoit bleffé le bou» cher à la jambe. Obfervez s'écria Cornelius, » comment cet animal parcourt tous les pré

dicamens de la logique. Hommes, fubftantia: » deux, quantitas: beau & noir, qualitas : fer»gent & boucher, relatio: l'un blesse l'autre, » actio & paffio: combat, fitus : théatre, ubi: » quatre heures après midi, quando: culottes » bleue & rouge, habitus. «

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L'anti-fublime, ou l'art de ramper en poefie.

Cet ouvrage, publié fous le nom de Martin Scriblerus, eft une critique fanglante de quelques mauvais écrivains ennemis de Pope. Dans ce traité ironique, il expofe les moyens d'é

crire

crire d'un ftyle bas & trivial, avec autant de férieux & de gravité que Longin lorfqu'il découvroit les fources du fublime. Les principes font appuyés d'exemples, choifis dans les ouvrages des auteurs qu'il vouloit immoler à la rifée publique.

Les deux derniers volumes de cette collection renferment les lettres de Pope, où l'on trouve quelques traits qui décelent font carac tere, & quelques anecdotes du tems qui peuvent piquer la curiofité. Il eût été à defirer que l'éditeur eût fait un choix. Tout ce qu'un auteur écrit à fes amis n'eft pas digne des regards de la postérité. Nous n'en extrairons qu'une anecdote touchante, rapportée dans une des lettres du poëte Gay. Dans le tems des travaux de la moiffon, le dernier juillet 1718, deux tendres amans, dont on citoit par-tout la longue fidélité, étoient affis au pied d'une meule, fous l'ombrage d'un hêtre. Jean Howet étoit un garçon quarré, qui pouvoit avoir vingt-cinq ans ; Sara Drew, qui étoit plutôt jolie que belle, avoit à-peu-près le même âge. Ils s'occupoient enfemble aux différens travaux de la campagne : Jean amenoit à fa maîtreffe, matin & foir, les vaches qu'elle devoit traire : à la derniere foire, il lui avoit acheté du taffetas verd pour fon chapeau de paille; & la devife, gravée fur fa bague d'argent, étoit de fon invention. Leur amour étoit la converfation de tout le voifinage. Jean venoit d'obtenir, le matin même, le confentement des parens de fa belle, & ils ne devoient plus at Tome II.

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tendre que jusqu'à la semaine suivante pour être unis & heureux. Peut-être que, dans l'intervalle de leurs travaux, ils s'entretenoient de leurs habits de nôces: ce qu'il y a de certain, c'eft que Jean s'amusoit à affortir un bouquet de fleurs champêtres, les plus analogues au teint de Sara. Au milieu de cette douce occupation, entre deux & trois heures après-midi, le ciel commença à fe couvrir d'un nuage noir, dont il partit bientôt de fi violens coups de tonnerre & de fi terribles éclairs, que tous les laboureurs fe fauverent pour chercher quelqu'abri. Sara s'évanouit de frayeur fur un tas d'orge. Jean, qui ne la quittoit jamais, se tenoit près d'elle, & l'avoit entourée & couverte de gerbes pour la garantir de l'orage. Un inftant après, on entendit un coup affreux : chacun de ceux qui s'étoient fauvés, cria à fon voifin, s'il n'avoit pas été frappé de la foudre: aucune réponse ne venant de l'endroit où les deux amans étoient tapis, on s'avança vers la meule d'orge, qu'on trouva fumante & le tendre couple fans vie. Jean avoit une main autour du cou de Sara, & l'embraffoit de l'autre, comme s'il avoit voulu la garantir du tonnerre. Ce fut dans cette tendre attitude, qu'ils pafferent en un inftant de la vie à la mort. La paupiere de l'oeil gauche de Sara étoit un peu brûlée, & l'on apperçut une tâche noire fur fon fein. Son amant étoit tout noir. Leurs compagnons leur rendirent le trifte devoir de les tranfporter au village, où ils furent enterrés le lendemain, dans le cimetiere de Stanton

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