Page images
PDF
EPUB

:

textoit d'être malade pour se dispenser de fouper il ordonnoit au valet d'écurie d'apporter dans fa chambre fes bottes remplies de paille, faifoit baffiner fon lit, demandoit une bouteille d'eau, & alloit fe coucher. Lorfque la fervante s'étoit retirée, il fe relevoit, & avec la paille de fes bottes, & la chandelle qu'on lui avoit laiffée, il faifoit un petit feu, où il grilloit un hareng qu'il tiroit de fa poche, & qu'il mangeoit avec un morceau de pain, dont il étoit toujours muni.

Satyres. De tous les poëtes anglois Pope eft celui qui paroît avoir le plus de conformité avec Boileau, foit pour les fujets qu'il a trai tés, foit pour le caractere de fon ftyle. Ses fatyres, comme celles de Boileau, font d'heureuses imitations d'Horace, dont il s'eft approprié presque toutes les idées; le fatyrique François a mieux rendu dans fa langue la légèreté, la fine plaifanterie & l'élégant badinage du favori de Mécene. Pope eft plus mordant, plus amer, plus emporté ; & fa maniere tient plus de Juvenal que d'Horace. Parmi les fatyres de Pope, on en trouve deux compofées par le docteur Jeanne Donne, doyen de Saint-Paul, écrivain auffi cauftique que Lucilius, & non moins négligé dans fon ftyle. Pope les a retouchées, & confervant le fonds des idées qui eft excellent il leur a donné un nouveau coloris qui en augmente beaucoup la valeur.

[ocr errors]

Le Mentor moderne. On peut mettre au nombre des fatyres de Pope plufieurs articles de fa façon inférés dans le Mentor moderne, ouvrage

périodique. On y trouve plufieurs traits d'imagination, dans le goût de ceux dont le Speczateur eft égayé, qui renferment une critique ingénieufe des mœurs & des ridicules du fiecle. Telle eft, par exemple, une lettre adreffée au Mentor moderne par un homme qui prend le titre de médecin des fous. Son objet n'eft pas de leur rendre la raison; au contraire, par le moyen de fon élixir, il fe propofe de les entretenir dans leur folie. Pour prouver l'efficacité de fon remede, il entre dans le détail des cures merveilleufes qu'il a opérées.

» George Hémiftiche, écuyer, poëte, & mem»bre d'une fameufe fociété de beaux-efprits, » fut attaqué d'un violent accès d'hypocondrie » par la vue d'un parterre vuide à la troisieme » représentation d'une de fes pieces; le bruit "des fifflets l'avoit déja tellement effrayé aux

deux premieres repréfentations, que la feule » prononciation d'une lui paroiffoit infuppor» table. Je démêlai d'abord la caufe de fon in» difpofition, & par une dose de mon remede, »je le rétablis dans fon état naturel de folie. » Il eft à préfent fi radicalement guéri qu'il a » promis de donner une autre piece au théatre » l'hiver prochain.

» Une prude de profeffion, qui m'a demandé en grace de ne la pas nommer, choquée » dans une compagnie par une phrase équivo» que, dont perfonne qu'elle n'avoit compris » le fens peu honnête, eut fur le champ un

friffon de modeftie. Je lui donnai d'abord mon fpécifique, qui, accompagné d'un éloge

» adroit de la rare vertu de la dame, la plongea » auffi tôt dans une agréable rêverie fur le mé»rite de fa pudeur. La fermentation de fon » fang fe calma; & devenue tout-à-coup cha» ritable, elle regarda avec un air de bonté » le cavalier, qui, pár un mot équivoque, avoit » fi fort allarmé fa chafteté.

» Hilaria, maîtreffe coquette, ayant été » févérement réprimandée par une vieille fille, » fe trouvoit réduite à prendre un air grave » en compagnie, & à n'ofer faire aucun usage » de fon éventail; en un mot, elle tomba dans » une fi profonde mélancolie, que deux ou trois

fois étant à l'églife, elle penfa avoir un ac » cès de dévotion. Je lui prefcrivis une dose » honnête de libertés innocentes, & pour rendre » le remede plus efficace par un peu d'exercice, » je lui ordonnai celui des yeux & de l'éven » tail. La recette eut tout le fuccès poffible. » La malade retrouva d'abord fes fouris fins,

& jetta des regards agaçans à la ronde. Pen»dant deux dimanches confécutifs on ne l'a pas » vue une seule fois à l'églife dans une pof>>ture attentive; c'eft ce que les marguilliers » font prêts d'attefter par ferment. «<

Pieces diverfes. Les plus diftinguées font l'ode pour la fête de fainte Cécile, remplie de beautés vraiment lyriques, & cependant inférieure à celle de Dryden. La préface de l'édition dé Shakespeare. Lorfque Pope fait fentir le mérite de cet ancien tragique, & développe ses beautés, c'est un homme de goût qui parle; quand il justifie fes extravagances, c'eft un Anglois

A l'égard de la Dunciade, c'eft un ouvrage tellement anglois, fi rempli d'allufions fatyriques perdues pour nous, & de perfonnages qui nous font abfolument étrangers, qu'il nous feroit difficile d'affeoir un jugement fur le mérite intrinfeque de cette production. Ce qu'on peut affurer, c'eft qu'un poëmé de quatre chants fort longs, dont le fond n'eft autre chose que l'allégorie & la fatyre, eft néceffairement un peu froid. La Dunciade françoife, qui eft écrite avec élégance, & qui offre même des morceaux plaifans & des vers heureux, ferviroit encore à prouver ce principe. Il eft trop dif 'ficile d'attacher & de plaire long-tems, en fai fant revenir fans ceffe les mêmes noms avec le même accompagnement d'injures & de farcafmes. Le plaifir de la malignité s'use très-vîte chez le lecteur, & la fatyre, pour avoir un fuccès conftant, ne doit guere être qu'épifodique. Son effet dépend fur-tout du cadre où elle eft enfermée & des bornes où elle eft circonfcrite; & c'eft pour cela que le pauvre Diable eft peut-être le chef-d'oeuvre de ce genre.

[ocr errors]

Préface de l'Homere Anglois.

La Motte, bel-efprit ignorant, n'avoit vu que les défauts d'Homere, & n'avoit pas fenti fes beautés. Madame Dacier, hériffée d'une doctrine pédantesque, admiroit tout dans le poëte qu'elle avoit traduit & commenté; Pope feul jugea Homere un homme de goût & de génie. Vivement affecté des beautés de l'Iliade, qu'il a fu exprimer plus heureufement qu'aucun tra

ducteur, il reconnoît de bonne-foi les défauts qui défigurent ce poëme, défauts excufables dans un fiecle groffier, où l'art n'étoit point connu. Une connoiffance approfondie des mœurs & des ufages du tems d'Homere eft abfolument néceffaire à ceux qui veulent apprécier équitablement fes ouvrages. La préface de Pope offre fur cette matiere les lumieres les plus fûres & les plus étendues c'eft un morceau de littérature & d'érudition d'autant plus précieux, qu'il eft bien rare de trouver dans un commentateur un homme de génie & un grand poëte. On prétend que cette traduction d'Homere valut à Pope près de cent mille écus.

:

Mémoires de Martin Scriblerus. C'eft une fatyre fine & ingénieufe dans le goût de Cervantes. L'auteur de Don Quichotte attaqua le ridicule de la chevalerie & l'abus du courage; Pope en fociété avec les docteurs Swift & Arbuthnot, entreprit d'attaquer le ridicule de l'érudition & l'abus des fciences. Le caractere de Cornelius Scriblerus, pere de Martin, eft extrêmement comique; c'eft un antiquaire qui regle toutes fes actions d'après l'exemple des anciens, & qui n'attache de prix qu'aux mo numens antiques. Le jour de la naiffance de fon fils, il fe fouvint d'avoir lu dans Theocrite qu'un bouclier fut le berceau d'Hercule; comme il avoit un vieux bouclier couvert de rouille, qu'il regardoit comme une piece très-rare & d'une antiquité merveilleuse, il lui prend fantaifie de faire placer fon fils fur cette antique & de l'expofer ainfi à la vue de quelques fa

[ocr errors]
« PreviousContinue »