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avouent que ceux-là disparurent, vers le ve siècle, lors de l'apparition du saltus Brigius, pour ne plus repa. raître et qu'ils ne furent remplacés par aucune peuplade dans une situation identique. Interrogé par eux sur cette particularité assez embarrassante, M. Houzé aurait répondu « que le changement des noms de peuple est une chose très-obscure, que l'on peut bien retrouver les anciens noms de ceux qui existent, mais qu'on ne peut fixer l'époque des changements. » Et il aurait seulement ajouté: que Château-Thierry est trèsancien et qu'il a perdu son nom, lors de la fondation. du château, pour prendre celui de Château-Thierry. Cette disparition inexplicable des Gallevesans cédant la place au saltus Brigius, qu'ils auraient précédé, nous parait une raison grave que nous ajouterons, en son lieu, à plusieurs autres, pour prouver qu'il ne faut pas voir dans les Gallevesans les correspondants des Vadicasses, mais qu'il faut chercher ceux-ci dans le pagus Vadisus qui a survécu jusqu'aujourd'hui sous la dénomination de Valois.

On a épuisé la matière étymologique autour du nom de Gallevèse, appelée aussi Brie-Galleuse ou Pouilleuse. M. Barbey et son collègue, le docteur Corlieu, avouent que le nom de Gallevèse, transmis par une tradition dont on ne peut saisir l'origine, ne paraît dans aucun monument connu jusqu'au xvIe siècle, où on le trouve dans les écrits de quelques géographes modernes. Les uns le font venir de Gallia Vetus (Gaule ancienne), les autres de Gallia ou Gallus et de Vadum dont on aurait fait Galli-vassinus, qui aurait fait à son tour la Gallevèse. M. Barbey, dans une note où il s'applique surtout à écarter les étymologies bizarres que l'on a donné à ce nom et qui ne reposent sur aucun fondement sérieux, s'arrête à cette dernière. Vadum étant la traduction du gaulois vez qui signifie un gué, et la Marne qui séparait la Gaule proprement dite ou

Celtique, de la Belgique, selon le texte des commentaires, étant guéable en cet endroit, c'est-à-dire à Chàteau-Thierry, c'est là qu'était le gué des Galls ou conduisant au pays des Galls. Cette dénomination d'un simple lieudit s'étendit à toute la contrée voisine qui devint ainsi la Gallevèse. Mais le nom de gué des Galls ayant été remplacé par celui d'un pont ou brige (brigio, brie, pont en celtique, ce pont étant très-fréquenté et peut-être unique en ces contrées, le nom de Brie aurait fait oublier celui de Gailevèse absorbé par ce dernier. L'honorable archéologue, il faut le dire, n'a pas autrement confiance en cette explication par trop ingénieuse.

Un autre membre de la Société, l'évêque de Basilite, la pousse en s'autorisant de MM. Arthur Bertrand et Lecoq, archivistes de l'Ecole des chartes, lesquels pensent que Gallia s'étant contractée en Gaule, ne peut être la racine de Gall, et prétend que vèse n'est qu'une terminaison, comme vace, vice, venant de la racine wys qui signifie homme, peuple, pays, ce dont il rapporte plusieurs exemples. Ainsi les Gallevesans, les anciens Vadicasses, seraient dans le sens primitif << les hommes du gué, ou de l'eau, ou du fleuve, » radum signifiant gué et wys homme.

Selon M. Corlieu, qui étudia spécialement ce sujet tout local, le nom de Gallevèse aurait une origine beaucoup plus simple. Gal signifiant Brie, cette contrée ne serait qu'une division de la Brie dont on aurait fait la Brie Gallevèze on Gallevoise. De Gallevèse corrompue en Galuèse par le changement du v en u, lettres qui s'emploient indifféremment dans les vieux auteurs, et Gallevèse ayant été écrit Galluèse en plaçant l'u avant l'e, comme il arrivait dans neuf, dans cœur, qui s'écrivaient nuef, cuer, on a pu facilement faire dégénérer Galluèse en Galleuse, ce qui a dù avoir lieu lors de la division de la France en gouvernements, sous François

Ier. Reste l'épithète, « non moins mal sonnante, de Pouilleuse dounée à cette partie de la Brie, mais on l'a expliquée en la rapprochant de la première qui l'aura engendrée. Qui sait toutefois si son origine n'est pas dans pabulum, pabulosus, lieu de pâturages, lieu plantureux? Cela n'a rien qui répugne. Mons-en-Puèle, en Peule, ne se disait-il pas en latin Mons in pascuis ou in pabulis et ne faisait-il pas partie du pagus Pabulensis, le pays de Povèle, Puèle ou Peule? Nous en faisons juges nos doctes confrères de la Société académique de Château-Thierry, dont nous nous sommes efforcé, peut-être sans y avoir pleinement réussi, d'analyser les opinions que nous avons le regret de ne pas partager entièrement et sur lesquelles nous reviendrons encore à propos du pagus Vadisus (1).

VI

PAGUS MELTIANUS

LE MULCIEN.

Les Meldes ne sont pas mentionnés comme cité dans les commentaires de César. Ils y apparaissent néanmoins sous le nom de Meldi, ce qui a fait croire, non saus motif, à l'existence d'un pagus Meldensis celtique. Voici le texte de César sur lequel s'appuie cette opinion. Le général romain s'étant rendu au port Iccius avec ses légions pour passer de là en Bretagne, y apprit que 40 navires qui avaient été faits chez les Meldi, rejetés par la tempête, n'avaient pu

(1) Voyez le Bulletin de la Société archéologique de Château-Thierry : Opinions de MM. Corlieu, Barbey, l'abbé Wilbert et de Vertus, de l'évêque de Basilite, 1873, p. 12. Revue des Sociétés savantes, t. 5, 5 sèrie, mars-avril 1873, compte-rendu de l'histoire de Charly, par le docteur Corlieu.

tenir la mer et étaient retournés au lieu d'où ils étaient partis. Cæsar ad portum Iccium cum legionibus pervenit: ibi que cognoscit XL naves, quo in Meldis facto erant, tempestate rejectas tenere cursum non potuisse, atque eodem, unde erant profecta relatas... »(1)

Au premier abord, dit Danville, la dénomination de Meldi fait songer au pagus Meldensis habité par les Meldi mentionnés par Strabon et Ptolémée. Cette première impression, qui était peut-être la bonne, fut aussi celle de plusieurs savants critiques; néanmoins, il la rejette avec eux et croit qu'il doit être ici question d'un autre pays que du Mulcien et sans doute plus rapproché de la mer, attendu que César ne put faire venir des vaisseaux d'aussi loin et encore construits sur la Marne qui n'est qu'une ivière. « La navigation, ajoute le célèbre géographe, qui avait été favorable au plus grand nombre des bâtiments construits, selon toute vraisemblance, sur la Somme, l'Autie, la Canche, devait être au contraire dans une direction opposée et venant du Nord. » C'est là, on le voit, une pure supposition. Danville n'en indique pas moins, comme devant correspondre aux Meldi de César, « un canton de la Flandre, voisin de Bruges, dont le nom est Melpfeld, qu'il rend par Meldicus campus,vulgairement Mal-deghem vell, » prétendant qu'il nous a transmis le nom de Meldi sans aucune altération. » 11 ajoute que la rivière d'Iper avait autrefois plusieurs e abouchures par des bras différents et formait des ports « à la hauteur de Bruges précisément. Ce sentiment lui paraît d'ailleurs plus recevable que l'idée d'efface. le nom de Meldi et de lui substituer celui de Unelli, comme le fait Nicolas Sanson (2).

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(1) Cesar L. V. C. V.

(2) Danville, p. 452

M. de Saulcy se range à l'opinion de Danville. « On commettrait, dit-il, une lourde erreur si l'on prétendait confondre les Meldes dont il s'agit avec ceux qui étaient voisins des Parisiens et des Senones, et dont le cheflieu était certainement où se trouve actuellement la ville de Meaux. » Il rectifie l'orthographe des noms de la région indiquée par Danville, et qui s'appelle Melde Ghelt, où se trouve le village de Maldi Ghem, et, à 5 kilomètres au Sud-Ouest d'Ostende, sur la côte, une autre localité du nom de Mildekerke, église des Maldes; il y a là une petite baie qui s'ouvre à Ostende ; c'est là très-probablement » celle où furent construits et où retournèrent les quarante navires (1).

Cette théorie fut combattue, au point de vue phylologique, par M. Léon Fallue (2). Il répond à M. de Saulcy: qu'il ne croit pas que cesn oms rappellent celui des Melde, car Malde et Meld dérivent de mulde ou de milde, en germain marécages, ghell couverts de roseaux; que midelkerke veut dire église du milieu, que l'édifice soit placé entre deux localités, ou bien au centre de terrains marécageux. En outre midel se retrouve dans Mildebourg, « où M. de Saulcy ne s'avisera jamais de placer les Meldes » D'ailleurs, continue M. Fallue, comment César aurait-il pu faire construire des navires à quinze lieues au Nord d'Iccius, « si près des Ménapieus toujours insoumis? » Et puis les Morins et les Ménapiens n'étaient-ils pas, selon cet historien, voisius du côté de la mer Menapiis contermini sunt ad mare Morini)? Où donc placer les Meldes entre ces deux peuples? Enfin. si l'on songe que la mer s'avançait vers Térouane et Ypres, jusqu'à Bruges etc., formant ainsi une large baie qui se prolongeait circulairement du promontoire

(1) Campagnes de César dans les Gaules. Expédition de la GrandeBretagne, p. 164.

(2) Conquête des Gaules, par L. Fallue, p. 153.

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