Page images
PDF
EPUB

l'Oise, qui souvent lui servent de limites, la cité des Suessions était traversée par d'autres chaînes de col· lines et par plusieurs cours d'eau moins importants, tels que l'Ailette et la Serre, qui tombent dans l'Oise, formée elle-même, vers sa source, de plusieurs ruisseaux; tels encore que la Vesle, la Crise, l'Ardre, qui tombent dans l'Aisne; l'Ourcq qui reçoit la Savière, le Clignon et l'Alland et se perd dans la Marne que viennent aussi rejoindre les deux Morins. Ces collines et ces cours d'eau sont d'un grand secours pour servir à la délimitation des divisions intérieures de la cité.

C'est au milieu de ces vastes bois, sur les bords de ces rivières, qu'étaient venus s'établir la grande peuplade des Suessions et ses diverses tribus. Du temps de la conquête elle possédait déjà ces « très-vastes et très-fertiles campagnes » que les Rémois vantaient à César, et ses divers pagi fortement établis sur sa surface obéissaient à un chef suprême. Ceux-ci peu nombreux d'abord et de peu d'étendue s'augmentèrent et se multiplièrent sous l'action des défrichements. Sur l'emplacement des bois se formèrent même des pagi administratifs ou seulement naturels, tels que la Brie, la Thiérache, le Tardenois, ou au moins des petites contrées qui en prirent le nom : Beaumont en Baine (in bosco de Boyne), Beaulieu en Beine, la Neuville en Beine, dans la forêt de Beine; Vaux en Arroise, Montigny en Arroise, Gouy en Arroise, Estrées en Arroise, Beauvoir en Arroise ou en Cambrésis, dans la orêt d'Arroise (Arroasia, Aridagamantia silva,; Mareuil en Daule, Nesle en Daule (Daula silva), forêt qui d'aileurs tirait son nom du lieu de Daule, comme la forêt de Cuise du lieu de Cuise, celle de Retz de Rhée ou Retz, etc (1).

(1) Nous citerons aussi en ce genre Livry en Launay (Livriacum in Alneto), près de la forêt de Launay ou de Livry, qui a donné son nom au pagus Alnetensis en Parisis; Clichy en Aunay (Clippiacum in Alneto); Savigny en Aunay (Sabinia in Alneto) et aussi Saint-Germain-en-Laye, Rochefort-en-Iveline, etc.

Le système que nous proposons ici sur l'étendue de la cité celtique des Suessions n'est pas nouveau. Il a été indiqué par Sanson, et entrevu par Dormay, qui, recherchant les oppides Soissonnais, avons-nous dit, les place avec leurs pagi à Soissons, Noyon, ChâteauThierry, Senlis, Compiègne et Laon, et attribue par conséquent à la cité celtique des Suessions le Noyonnais, la Brie, le Senlisien et le Laonnois. L'abbé Lebeuf, frappé de la puissance attribuée aux Suessions par César, pense aussi que leur territoire embrassait avant la conquête, une partie de celui des Catalauni, des Laudunenses, des Silvanectenses et des Meldi, auxquels d'autres auteurs ajoutent les Noviomenses. Il est certain, en effet, que ces peuplades n'apparaissant comme cités qu'au moment de leur érection à ce titre par les Romains, on ne peut les considérer jusque-là que comme de simples pagi celtiques ayant appartenu aux cités les plus voisines. D. Grenier se rapproche du sentiment de Lebeuf, lequel est suivi par le P. Wastelain, les historiens de Soissons, Lemoine, H. Martin et plus récemment par l'historien de César. Selon celui-ci, la cité gauloise des Suessions s'étendait des environs de Paris et de Meaux jusque vers les sources de la Sambre, au pays des Nerviens, comprenait les sources de l'Oise et le cours de cette rivière jusqu'à Vadencourt, près de Guise, laquelle ensuite se dirigeant vers Pontoise, faisait jusqu'à Compiègne la séparation des Suessions des Véromandues et des Bellovaques. Ajoutons enfin que la carte du Recueil des historiens des Gaules, dressée sur celles de Sanson, corrigée sur les remarques de D. Bouquet et d'après les dissertations de l'abbé Lebeuf, par Gobert, géographe du roi, renferme dans le pays des Suessions le Laonnois, la Thiérache, avec Vervins, lui donne l'Oise pour limite à l'Ouest, et lui fait dépasser la Marne au midi; et pourtant cette carte ne donne

la circonscription des provinces de la Gaule qu'après la formation des deux Belgiques (1).

Du reste ce système, appuyé de telles autorités, se trouvera encore fortifié de nouvelles preuves non moins décisives lorsque nous donnerons les délimitations de chacun des pagi que nous attribuons à la cité celtique des Suessions; et nous prions ceux qui ne se rangeraient pas encore à notre avis, de ne pas se prononcer tout à fait avant d'avoir soumis à un examen sérieux et impartial l'ensemble de notre travail.

Nous avons dit que la cité primitive des Suessions était composée de plusieurs pagi ou cantons. Ces pagi correspondaient-ils aux douze oppides que leur attribue le récit de César? D. Grenier serait porté à le croire, et nous admettrions d'autant mieux le sentiment du docte bénédictin que nous croyons avoir établi par des textes de l'historien latin, l'autonomie relative de cette division, autonomie qui semble emporter avec elle l'existence d'une capitale ou chef-lieu de second ordre, lequel pouvait être ou n'être pas un oppide ou ville fortifiée. En effet, les oppides celtiques paraissent avoir été peu nombreux ; les Helvètes n'en avaient que douze quoiqu'ils comptassent 400 pagi, et les Suessions un pareil nombre, quoiqu'ils fussent très puissants, Ce que nous pourrons avancer dans le sens de D. Grenier devra donc n'être regardé que comme une simple proposition.

Jusqu'ici la plupart des auteurs, ne s'étant guère occupés que des cités telles qu'elles furent constituées par les Romains, n'ont attribué aux anciens Soissonnais d'autres pagi que ceux que renfermait leur cité gallo-romaine: le Suessionicus, l'Urcisus, le Vadisus,

(1) Voyez le P. Wastelain, Description de la Gaule Belgique; Lebeuf, Dissertation sur l'ancien Soissonnais; Henri Martin, Hist. de Soissons; Lemoine, Antiquités de Soissons; D. Grenier, Introduction à l'Histoire de la Picardie. La carte des Histor. des Gaules, t. 1o.

le Tardinisus et le Briegius. A ceux-ci on peut ajouter sans choquer la vraisemblance et, en attendant des preuves plus directes pour la cité celtique, l'Otmensis et le Bagensonisus, le Multianus formés sur le Saltus Briegius, le Silvanectensis, le Noviomensis, le Lau dunensis et le Teoracensis. Et ainsi nous aurons la composition intérieure et l'arrondissement de toute la cité avec ses antiques divisions. Devant consacrer à chacune d'elles une étude particulière, nous passons à la cité gallo-romaine.

II

LA CITÉ GALLO-ROMAINE DES SUESSIONS.

La cité celtique des Suessions telle que nous venons de la dessiner sur la carte des Gaules, dut subir, après la conquête de grandes modifications, ou plutôt de profondes mutilations. Elle perdit plusieurs de ses pagi et l'on forma du reste une nouvelle cité, la cite gallo-romaine.

C'est une vérité historique reconnue que les Romains, dans les divisions et subdivisions qu'ils opérèrent en Gaule tinrent grand compte des dispositions que ses divers peuples, ses cités, avaient témoignées à leur égard, lors de la conquête par César. Les peuples ralliés et demeurés fidèles aux vainqueurs furent récompensés de leur défection par l'annexion de plusieurs pag ou cités mêmes, leurs voisines, au détriment de ceux qui avaient fait résistance au vainqueur ou qui, après leur réduction, s'étaient mis en insurrection.

Nous avons déjà cité l'exemple des Morins à l'appui

de cette assertion. César ayant éprouvé la fidélité de Commius, chef des Atrébates, voulut que sa cité fut libre, lui conserva ses droits et ses lois et lui attribua les Morins (1). Les Rémois, qui étaient allés au-devant du vainqueur, l'avaient assez lâchement renseigné sur la ligue des Belges et lui étaient toujours restés fidèles, furent récompensés de leur défection par une augmentation de territoire. Leur cité devait se composer primitivement du Remensis, du DulcomenSis, du Stadonensis, du Portianus, du Mosomagensis, de l'Ardennensis, du Vabrensis ou Vaprensis, du Vongensis, du Castrensis, du Montania (la Montagne), de l'Argorna; elle fut agrandie de toute la cité des Suessions qui avaient pris la tête de la défense nationale et ensuite fait des efforts pour recouvrer leur indépendance, Hirtius dit en effet de ceux-ci qu'ils furent attribués aux Rèmes (fuerunt Remis attributi) (2)

Toutefois il ne faut pas se méprendre sur le sens de ces expressions du continuateur de César. Il ne s'agit pas ici d'une annexion ou d'une subordination proprement dite, ainsi qu'on pourrait le croire, mais d'une attribution, d'une union forcée, ou si l'on veut de la suprématie passagère d'une population sur une autre. Ce qui le prouve jusqu'à l'évidence, c'est que la pacification des Gaules étant devenue générale, la cité des Suessions recouvra sa liberté, car Pline écrivant au plus tard cinquante ans après cette attribution, les appelle Suessiones liberi, expressions qui tranchent sans réplique la question de la séparation des deux cités Rémoise et Soissonnaise et l'indépendance de celle-ci à l'égard de la première et même, relativement, à l'égard des

(1)« Civitatem ejus immunum esse jussit (Cæsar), jura leges que reddidit, atque ipsi Morinos attribuit. (Suite des Commentaires, L. 8, n° 5.)

(2) Pline. Hist. des Gaules, t. 1, p. 56.- Desnoyers, Topogr. ecelé. an. 1859, p. 173.

« PreviousContinue »