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trouvailles et de bien préciser la forme des objets ainsi que toutes les circonstances de leur gisement. La faune qui accompagne quelquefois ces objets est d'une importance capitale et doit être déterminée avec toute la science désirable. La céramique peut aussi apporter d'utiles renseignements. On doit enfin tenir note de tout ce qui peut servir à la manifestation de la vérité. C'est à ces conditions qu'on pourra refaire l'histoire d'un peuple dont l'existence même a échappé à la mémoire des hommes.

Il serait prudent de ne pas trop se hâter de faire une théorie; il vaut beaucoup mieux, dans l'état de nos connaissances, suivre encore la méthode analytique que de procéder à une synthèse qui ne reposerait que sur un nombre trop restreint de documents. Cependant, un fait bien acquis à la science, c'est que l'usage du bronze répond à une époque spéciale et bien définie.

La tradition ne nous a presque rien appris de l'âge de la pierre ni de celui du bronze. En effet, l'étude des auteurs anciens ne nous révèle rien de positif, et les documents écrits sont d'une rareté vraiment remarquable. Cependant le poète Lucrèce s'exprime ainsi :

« Arma antiqua manus, ungues, dentesque fuerunt Et lapides et item sylvarum fragmina rami

Et flammæ atque ignes postquam sunt cognita primum. « Posterius ferri vis ærisque reperta

Et prior æris erat quam ferri cognitus usus.

(Liv. V. De Natura rerum.)

Les premières armes des hommes furent les mains, les ongles et les dents, ainsi que les pierres et les branches enlevés aux forêts. Ensuite furent connus la flamme et le feu. Plus tard on découvrit l'usage et la puissance de l'airain et du fer, mais l'airain avait été connu et employé avant le fer.

Rarement les auteurs grecs ou latins sont-ils aussi

précis et aussi affirmatifs pour les choses antéhistoriques; aussi se demande-t-on comment le poète peut énoncer et même insister sur la succession des trois principales périodes de la civilisation humaine, reconnues par la science moderne; d'où lui venaient ses renseignements? Existait-il à son époque une tradition orale sur les principales phases de la vie des hommes primitifs ?

Des recherches minutieuses dans les livres d'Homère pourraient peut-être apporter quelques éclaircissements pour répondre à ces diverses questions. Nous ne connaissons encore aucun travail exécuté depuis les idées nouvelles relativement aux différentes étapes parcourues par la civilisation progressive de l'humanité.

Cependant M. Schliemann, dans le but de s'éclairer sur la civilisation d'une des époques mythologiques, fit exécuter des fouilles sur un emplacement de la Troade qu'il supposait être le sol de la ville de Troie; une réussite complète vint couronner ses efforts, car il mit au jour des objets dont il a formé une collection extrêmement remarquable et fort précieuse. La forme des objets de bronze, seul métal, ainsi que l'or et l'argent, dont il ait pu constater la présence, n'a d'analogie avec aucun autre objet des stations du bronze connues jusqu'à ce moment. Ces témoins métalliques de la civilisation de Troie restent donc absolument isolés ainsi que tous les produits de la céramique découverte en même temps.

Cette remarquable circonstance n'est cependant pas sans exemple dans l'histoire. En effet, nous savons que les Grecs excellaient dans les arts, leur très-remarquable statuaire en fait foi; en effet, si l'on vient à chercher chez les différentes nations contemporaines, on ne trouve rien qui approche de la beauté de leur sculpture.

La civilisation de la Troade pouvait être dans le

même cas, leurs produits artistiques pouvaient aussi rester isolés au milieu de l'industrie du bronze et de la pierre.

Ce qui pourrait nous confirmer dans cette idée, c'est une circonstance unique remarquée par M. Schliemann. Cet habile observateur a constaté que sur l'emplacement supposé de la ville de Troie les parties superficielles sont de l'époque de la pierre, tandis qu'à mesure que l'on creuse, les objets appartiennent à une civilisation plus avancée, sans cependant qu'il y ait fusion entre les époques qui toujours restent brusquement tranchées. Ce fait à lui seul indiquerait un mouvement de population, car si on considère les formes des objets de bronze et des différents spécimens de l'industrie céramique, on peut penser que longtemps après la chute de Troie les populations les plus rapprochées sont venues s'établir sur le sol primitivement occupée par la malheureuse ville et que par la suite une émigration ayant laissé de nouveau le sol inhabité, d'autres populations plus arriérées se sont aussi établies sur le même endroit. Ce fait semble démontré par l'intermittence des couches de terrain renfermant des objets de l'industrie humaine, puis d'autres absolument stériles pour retrouver plus profondément d'autres objets façonnés de main d'homme.

Malheureusement les épaves métalliques ou céramiques des différentes civilisations ont été seules remarquées, tandis que rien n'a été dit sur la faune existant à chaque époque. La liste des animaux mêlés aux objets de l'industrie nous aurait été d'un grand secours pour déterminer les époques relatives des objets successivement découverts.

Si M. Schliemann a réellement trouvé le véritable emplacement de la ville de Troie, nous avons une démonstration de l'existence de l'âge de bronze résultant des objets eux-mêmes; nous possédons en plus les

vers de Lucrèce et ce sont là les seules preuves tirées de l'antiquité elle-même.

Les recherches des modernes nous apportent des preuves beaucoup plus nombreuses et bien plus concluantes de la spécialité de l'âge de bronze. Les principales sont fournies par une partie des habitations lacustres nommées palafittes; par les terramares, par les tourbières, et enfin par une foule de stations qui n'ont reçu aucun nom particulier.

HABITATIONS LACUSTRES.

On donne le nom d'habitations lacustres aux constructions établies sur pilotis près des rives des lacs ou sur le bord des fleuves.

Pour les établir on commençait par disposer des pieux, puis on les fixait verticalement dans l'eau et à quelque distance du bord soit du fleuve, soit du lac; on plaçait ensuite une plate-forme qui devait supporter les huttes en usage à cette époque. Il existe encore maintenant des tribus sauvages qui se construisent des habitations tout à fait analogues et dans des circonstances de lieux identiques à celles des anciennes demeures lacustres, dont le souvenir s'était perdu, même dans les localités où elles ont été établies et retrouvées.

Les demeures lacustres se rapportent respectivement à deux époques différentes et tout à fait distinctes

les plus anciennes prennent le nom de cranoges, et les plus récentes celles de palafittes.

Dans les cranoges les pieux sont maintenus dans leurs positions respectives par des pierres relativement petites apportées dans des barques et que l'on jetait entre les pieux. Ces matériaux accumulés en quantité

suffisante formaient une éminence sous-marine et fixaient les pieux d'une façon fort solide. Maintenant on ne rencontre plus que les pieux fixés comme il vient d'être dit et entre lesquels on ne trouve jamais que des haches en pierre polie avec quelques autres instruments en silex dont un certain nombre sont des époques précédentes, mais jamais de traces de métaux.

Les poteries ont un caractère qui les ferait reconnaître en l'absence de silex travaillés; la faune est très-distincte de celle de la pierre éclatée ou paléolithique; elle est très-différente aussi de celle de l'époque du bronze en partie connue. Jamais dans les cranoges on ne rencontre d'ossements du renne; cette espèce avait déjà complétement disparu, tandis que dans les temps antérieurs ces animaux étaient fort

communs.

Les palafittes, quoique semblables à la première vue, se distinguent facilement des cranoges par suite d'un examen attentif.

Dans les palafittes les pieux ont été enfoncés dans le sol vif, sans qu'il ait été besoin d'apporter de matériaux pour les maintenir à leur place et les consolider. Ce caractère à lui seul suffirait pour faire reconnaître les palafittes.

Entre les pieux de ces anciens établissements on trouve des pièces assez nombreuses de formes variées et toujours en bronze. Très-exceptionnellement on peut trouver quelques objets des époques précédentes, mais jamais le fer n'y fait apparition.

Ce métal était absolument inconnu à la première époque du bronze, tandis que vers la fin de la même période on voit quelques pièces en fer, mais dont l'aspect rappelle fortement celle des objets en bronze.

Comme on le voit, les formes changent avec le

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