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dence, que l'organisation des municipes romains avait subsisté même sous le régime féodal, sauf quelques modifications que le temps ne manque jamais de produire dans ces sortes d'institutions. Les mêmes historiens représentent l'établissement des communes comme le résultat d'un plan conçu par l'autorité royale, et sagement combiné pour renverser le pouvoir féodal. Il semble, les entendre, que ces institutions octroyées par le Roi s'établissaient avec la plus grande facilité. Cependant presque partout l'impulsion première vint du peuple, et trop souvent les résistances qu'on lui opposa occasionnèrent des luttes sanglantes.

C'était une chose grave que l'établissement d'une commune : il y avait d'un côté le sentiment de l'oppression, la révélation des droits naturels indignement méconnus; de l'autre, une crainte du pouvoir mêlée d'un certain respect pour des souverains jusqu'alors absolus, et la juste appréhension qu'une populace grossière ne profitât d'une lutte avec les seigneurs pour se livrer à tous les excès. Quelquefois les notables se réunissaient pour arrêter entre eux les bases du contrat politique qu'ils croyaient utile d'établir; puis ils formaient, pour le soutien de leurs droits, une confédération, dans laquelle ils

à

se liaient les uns aux autres par un serment; conjurabant, disent les vieilles chroniques. Ils stipulaient la sûreté de leurs personnes, l'inviolabilité de leurs propriétés, la faculté de voter eux-mêmes les subsides et de les employer aux besoins publics; ils voulaient être jugés et administrés par des magistrats de leur choix, suivant les coutumes locales, et pouvoir repousser la violence par la force des armes. Ces droits, ils ne les proclamaient pas en factieux révoltés ; ils appelaient au contraire les notables, les ecclésiastiques, et le seigneur lui-même, à délibérer avec eux, et à jurer la commune. Ils ne les réclamaient pas comme des choses imprescriptibles, dont la violence n'avait pu les dépouiller; mais ils proposaient de les acheter, et ils offraient au seigneur, pour prix de son adhésion, des sommes considérables, que celui-ci acceptait ordinairement, sauf plus tard à violer ses promesses.

Rien n'est contagieux, pour les peuples, comme l'exemple de la liberté; dès que les premières communes furent établies, on vit de toutes parts les habitants des villes s'assembler tumultueusement, réclamer aussi pour eux des franchises communales, et les conquérir par la force, quand le pouvoir ne se rendait pas à leurs vœux.

Dans quelques villes, les seigneurs cédèrent au mouvement général d'émancipation et acceptèrent de bonne foi la charte communale; il y en eut même qui allèrent au devant du désir de la population. Ainsi Baudry, évêque et comte de Noyon en 1098, convoqua, dans une assemblée générale, les chevaliers, les commerçants et les gens de métier, et leur présenta une charte qui constituait les bourgeois en association perpétuelle, sous des magistrats appelés jurés, et qui contenait les garanties dont on sentait alors le besoin. Toutes les personnes présentes à l'assemblée prêtèrent serment d'observer la charte, qui reçut plus tard l'approbation de Louis le Gros.

La même chose se passa en 1113 à Amiens, où l'évèque Geoffroy concourut gratuitement, avec les bourgeois, à l'érection d'une commune. Il s'éleva, à cette occasion, entre les gens de la commune et le comte d'Amiens, une lutte de deux années, qui ne fut terminée que par l'intervention de Louis le Gros, dont les bourgeois invoquèrent la protection. D'autres seigneurs ne montrèrent pas la même intelligence des besoins de l'époque et le même respect de leur parole. Gaudry, évèque et comte de Laon, prélat simoniaque et chargé de crimes, après avoir juré la charte communale, l'anéantit

par la violence. Ce manque de foi donna lieu à un soulèvement populaire, par suite duquel Gaudry fat assassiné, et une partie de la ville pillée et incendiée (1).

La forme de l'affranchissement, qui participa d'abord à ce qu'il y avait d'irrégulier et de tumultueux dans l'affranchissement lui-même, se régularisa par la suite. Les rois, dont la protection était souvent invoquée par les hommes des communes, comprirent l'avantage qu'ils pourraient retirer de ces institutions nouvelles, en les dirigeant contre la puissance exorbitante des seigneurs féodaux ; ils intervinrent, pour donner aux chartes une sanction qui les mettait à l'abri des envahissements. Aussi voit-on les chartes communales, consenties d'abord par le seigneur immédiat, confirmées ensuite par le roi, qui ordinairement, outre la somme d'argent qu'il recevait pour le fait même de la confirmation, stipulait des redevances annuelles et le service militaire. On a même des exemples de confirmations royales données à des communes établies par de grands vassaux, dans des villes sur lesquelles ils exerçaient des droits de

(1) V. Lettres XV, XVI, XVII et XIX de M. Thierry sur l'Histoire de France.

souveraineté. Ainsi les rois de France surent habilement profiter d'une impulsion dont la cause leur était étrangère, pour étendre leur pouvoir en diminuant celui de leurs rivaux, de telle sorte que, dès le treizième siècle, Beaumanoir établissait en principe, qu'en royaume de France nul ne pouvait faire de commune, sinon le roi ou avec le consentement du roi (1).

Nous avons retracé les faits, occupons-nous maintenant des institutions.

§ II. Résumé des institutions municipales depuis la conquête des Romains jusqu'à nos jours.

Voici, d'après les fragments incomplets qui nous restent, quel était le système du droit municipal romain.

Les villes municipes romaines étaient gouvernées par un corps appelé curie, dont les membres avaient le titre de curiales ou décurions.

La curie était composée de ceux que la naissance y appelait comme fils de décurion, et de ceux que les suffrages de la curie y introduisaient.

(1) Ord. des rois de France, préf. du tom. XI, p. 28 et 29; Coutumes du Beauvoisis, chap. 5, p. 268.

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