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connu jusque-là, et s'embellit des productions des beaux-arts. Telle fut la puissance de cette révolution, qu'on en voit encore partout les monuments. Aujourd'hui même, dans une grande partie de la France, on ne peut creuser les fondations d'une maison sans trouver quelque pièce de monnaie aux effigies impériales; les routes nouvelles que réclament les besoins de l'industrie, suivent souvent la direction d'une voie romaine depuis longtemps oubliée, et dont les hommes de l'art admirent encore la solidité et la hardiesse. Il en est de même pour les choses intellectuelles; là cncore, il suffit de creuser quelque peu, pour trouver, au-dessous de la superficie, des débris précieux de cette antique civilisation. Le droit romain est à notre droit actuel ce que la langue latine est à la langue française, l'un des éléments générateurs; et, bien que, dans l'un comme dans l'autre, cet élément soit combiné avec des éléments divers, c'est encore lui qu'il faut étudier d'abord, quand on veut pénétrer le génie des institutions ou celui de la langue.

Après une résistance de quatre siècles, l'empire d'Occident, attaqué de toutes parts, penchait vers sa ruine; au commencement du cinquième siècle (407 à

PRUDENCS

409), les Burgundes et les Visigoths s'établirent dans une partie de la Gaule; ils furent bientôt suivis par d'autres peuplades qui accoururent du fond de leurs forêts pour partager la riche proie qu'on leur abandonnait presque sans défense. Ici au moyen de traités, là par la force des armes, les différentes peuplades germaniques disposèrent du sol, y formèrent des établissements, et bientôt devinrent les véritables maîtres du pays. Ainsi se trouvèrent partout en contact, dans les mœurs, la civilisation avec la barbarie; dans le droit, la loi romaine avec les lois ripuaire, visigothe, bourguignone, salique, etc., etc.; dans les institutions politiques, l'esprit d'unité de l'administration romaine avec l'esprit de morcellement, résultant de l'organisation en petites tribus ou bien en hordes guerrières des peuplades franques. Deux sociétés aussi diverses, violemment rapprochées, se désorganisèrent l'une l'autre, et leurs éléments en fermentation produisirent un véritable chaos: en vain Charlemagne, essayant de ressusciter l'empire, s'efforça-t-il de soumettre à l'unité politique et administrative tout le pays qui s'étend depuis l'Ebre jusqu'à l'Elbe; son œuvre était en opposition directe avec l'état moral et les besoins d'une société redevenue barbare, et composée de peuples

entre lesquels une origine, des langues et des lois différentes avaient placé des barrières alors insurmontables. Sous les successeurs de Charlemagne, l'unité factice s'évanouit; on vit renaître le système de morcellement et d'individualité. Les gouverneurs de province, les comtes et les autres grands fonctionnaires créés par Charlemagne, s'emparèrent du pouvoir dont ils étaient dépositaires, rendirent leurs dignités héréditaires, et augmentèrent ainsi le nombre des petits tyrans, dont la coalition, complétée vers le dixième siècle, constitua l'organisation féodale, forme puissante d'une société nouvelle, premier pas vers la civilisation moderne.

Que la féodalité ait été le résultat d'une conquête ou la conséquence naturelle des besoins du moment (1), il faut l'admettre comme un fait qui a eu, sur nos institutions, une influence dont la révolution de 1789 n'a point fait disparaître toutes les traces. Elle se retrouve encore au fond de bien des usages; elle explique bien des origines, et donne la solution de bien des questions sociales et politiques; c'est elle qui fut la cause indirecte des

(1) V. la Revue de législation, où cette dernière opinion est développée par M. Troplong, t. 1, p. 401.

concessions des chartes de communes, première origine des traités passés entre le peuple et le pouvoir.

La société féodale reposait sur deux principes : le morcellement de la souveraineté entre un nombre considérable de seigneurs suzerains, et la subordination hiérarchique des vassaux envers leurs seigneurs; mais ce dernier principe n'était puissant que dans les rangs inférieurs. L'arrière-vassal était bien plus soumis à son seigneur que le seigneur ne l'était au duc ou au comte dont il relevait, et surtout, que celui-ci ne l'était au Roi. Là où se trouvait plus de force, se trouvait aussi plus d'indépendance et d'insubordination. La conséquence d'une telle organisation devait être l'absence complète de toute garantie pour les faibles, dont les personnes et les biens étaient sans cesse exposés à la violence et à la cupidité de mille petits tyrans, souvent en guerre les uns contre les autres, et toujours disposés à ravager les campagnes qui ne leur appartenaient pas, à rançonner ou à piller les voyageurs. Au milieu d'une telle société, chacun sentait la nécessité de se placer sous la protection d'une force existante, ou mieux encore de se réunir pour résister à l'oppression. Dans les campagnes, l'homme isolé n'avait d'autre ressource que de s'abriter, avec sa famille,

sous les tours du château féodal, et de se donner un maître qui avait intérêt à le protéger comme une partie de son domaine. Mais dans les villes se trouvait une population agglomérée, une civilisation plus avancée, de l'industrie et des richesses, tous les éléments enfin de la puissance. Aussitôt que les opprimés connurent leur force, ils l'employèrent à secouer le joug, et alors commença ce grand mouvement qu'on appelle l'affranchissement des communes.

Les historiens qui ont eu la prétention de faire de l'histoire une sorte de science exacte se réduisant en théorèmes comme un traité de géométrie, ont attribué l'affranchissement des communes à Louis le Gros, donnant ainsi une date précise et une origine toute locale (1) à des institutions qui n'avaient jamais été complétement anéanties, surtout dans les parties de la France où la civilisation romaine avait jeté de profondes racines. Un homme dont le monde savant déplore la perte récente, M. Raynouard, a démontré (2), avec la plus grande évi

(1) On sait que Louis le Gros n'étendait, sa domination que sur une très-petite partie de la France actuelle. V. Lettres sur l'Histoire de France, pag. 244.

(2) Histoire du droit municipal.

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