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quelque sorte à sa personne. Dieu, en donnant ainsi à l'homme des besoins moraux, intellectuels et physiques, lui a donné le droit de les satisfaire dans les limites de la raison, et par cela même il a imposé à chaque homme l'obligation de respecter dans les autres les droits qu'il veut qu'on respecte en lui. Mais à côté du principe d'équité naturelle, se trouve, chez l'homme, un principe de corruption qui le conduit trop souvent à se créer un bien-être égoïste, en sacrifiant ses semblables à la satisfaction de ses passions. Ici encore le besoin d'association se fait sentir, et les hommes s'unissent pour placer sous la protection de tous les intérêts de chacun.

Telles sont les bases naturelles de toute société, depuis la horde sauvage qui parcourt les forêts du NouveauMonde, jusqu'à la nation la plus fière de sa civilisation et du savant mécanisme de son gouvernement. Entre ces deux points extrêmes se trouvent une foule d'applications diverses du même principe. Ces applications ne sont pas toujours l'œuvre d'une raison éclairée, les conséquences d'un système réfléchi. Ici, comme partout, les règles ne sont que le résultat de l'expérience. Les sociétés naissantes suivent instinctivement des lois qu'elles n'ont point eu le temps d'étudier et de reconnaître. Chez

elles, la forme du gouvernement est fort simple, le droit public et privé ne consiste que dans des usages qui sont l'expression naïve des idées, des passions d'un peuple dans l'enfance. Lorsque le progrès des lumières complique les relations sociales, que le territoire s'agrandit, que la population augmente, on commence à écrire quelques-unes de ces vieilles coutumes; mais pendant longtemps la législation est incohérente comme la société elle-même, qui n'a point encore réfléchi sur son organisation, et qui vit au jour le jour, guidée plutôt par des croyances que par des principes.

Enfin il arrive un moment où la législation est tellement confuse, qu'on sent la nécessité d'en coordonner les différentes parties; où les abus frappent tellement les yeux, que le respect aveugle qu'on avait pour les anciennes lois fait place à l'esprit de critique. Alors commence la tâche du législateur, dont l'œuvre consiste à dégager le droit du fait, à poser les principes et à tirer leurs conséquences, de manière à former un tout harmonieux. Pour bien remplir sa mission, le législateur ne doit point se considérer comme étant appelé à créer un système à priori, mais bien à consacrer celui dont les éléments se trouvent épars autour de lui. Le droit

positif, en effet, n'est que l'expression des idées, des mœurs, des besoins de la population. S'il ne doit pas être en arrière de l'état moral de la société, il ne faut pas non plus qu'il soit trop en avant : c'est la colonne lumineuse qui guide le peuple dans les ténèbres; il faut qu'elle marche à sa tête, et non qu'elle le précède de trop loin, car sa lumière serait inaperçue. Le législateur et le jurisconsulte doivent donc, l'un et l'autre, s'attacher à connaître l'état moral de la société; le premier, pour bien faire la loi, le second, pour bien la comprendre. Cette connaissance ne peut être puisée que dans l'étude philosophique de l'histoire : elle seule, en déroulant sous nos yeux la vie d'une nation, peut nous faire connaître l'origine de ses institutions, les événements qui en ont modifié l'esprit, les idées qui ont dominé à chaque époque, les besoins légitimes auxquels la législation positive doit pourvoir.

Le droit municipal, plus que tout autre, a ses racines dans l'histoire. Depuis près de deux mille ans, il n'a cessé d'exister en France. Fondé par les Romains, obscurci par la barbarie du moyen-âge, il s'est transformé, dans les mains de nos pères, en une arme puissante, qui leur a servi à combattre l'oppression; et, dans cette

lutte du droit contre la force, ont été proclamés tous les principes qui sont aujourd'hui la base du régime constitutionnel. Une autre sorte d'intérêt s'attache encore à cette étude notre droit positif actuel n'est pas tellement dégagé du droit positif ancien, qu'on puisse toujours se passer de ce dernier pour la solution des questions qui se présentent dans la pratique. Quelquefois on est obligé de prendre, pour base d'une décision, des lois qui semblent n'avoir plus aujourd'hui qu'un intérêt purement historique. Il convient donc de jeter un regard sur les principes qui ont régi le droit municipal aux différentes époques de notre histoire, pour mieux comprendre ceux qui doivent le régir aujourd'hui.

On ne sait que bien peu de chose de l'organisation politique des peuples qui se succédèrent sur le sol de la France jusqu'à la conquête romaine. Les Gaulois, qui l'occupaient à cette époque, se subdivisaient en un assez grand nombre de peuplades, soumises à des institutions diverses. Il paraît que ces peuplades avaient successivement passé par les différentes formes des gouvernements sacerdotaux, aristocratiques et démocratiques, lorsque les Romains entreprirent de les soumettre à leur

domination (1). Après dix années d'une lutte acharnée, pendant laquelle Jules-César, au rapport de Plutarque, tua un million d'hommes, fit autant de prisonniers, prit plus de huit cents villes, et soumit trois cents peuples, les Gaules furent ajoutées à l'empire romain, cinquante ans avant l'ère moderne, et soumises à l'influence des institutions politiques et civiles, des mœurs et de la littérature du peuple-roi.

La conquête politique et intellectuelle suivit de près la conquête matérielle; le pays, partagé jusque-là en peuplades distinctes, se fondit dans l'unité de l'empire. Sous les juridictions des gouverneurs de province, furent établies des villes municipes, qui s'administraient elles-mêmes, sans cependant cesser d'être soumises au pouvoir central. La loi des douze tables, les plébiscites, les sénatus-consultes, le droit prétorien, les édits des empereurs, réglèrent l'état des personnes, la nature des biens, les manières de les acquérir et de les transmettre. Les mœurs changèrent comme les institutions; la vie privée s'adoucit de toutes les inventions d'un luxe in

(1) V. l'Histoire des Gaulois d'Amédée Thierry, tom. 2, chap. 1.

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