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calme, même quand elle souffre, parce qu'elle se trouve éparse, sans chef, sans point de ralliement; mais, si une main audacieuse lève au milieu d'elle l'étendard de la rébellion, qui peut répondre qu'une foule égarée ne se laissera pas séduire par l'espérance d'un meilleur avenir? et alors, à quels dangers l'ordre social ne sera-t-il pas exposé? L'imagination en est épouvantée. Il faut donc prévenir ces dangers; je ne connais que deux

moyens.

Je vois le premier dans une bonne organisation des municipalités; et cette organisation n'est pas difficile.

Comme un tout n'est régulier qu'autant que les parties qui le composent sont dans une parfaite harmonie entre elles ; de même, un gouvernement n'est bien organisé que quand les pouvoirs qui concourent à son action sont analogues à sa nature, et dérivent de son principe.

Or, dans les gouvernements tout à la fois monarchiques, aristocratiques et démocratiques, le principe est que les intérêts particuliers et les intérêts généraux doivent être également représentés. Dans ces sortes de gouvernements, chaque commune, comme la nation elle-même, a donc le droit d'avoir sa représentation.

Quant à la formation de tous ces corps représen

tatifs, comme ils dérivent tous du même principe, que tous ont le même but, il est évident qu'il faut à tous la même organisation, et que, par conséquent, dans chaque commune le mode d'élection de ces officiers municipaux doit être semblable à celui des députés, qui, dans la chambre démocratique, représentent la nation entière.

Or, que porte à cet égard notre Charte constitutionnelle? On y voit qu'elle subordonne les droits des citoyens à la quotité de leurs impositions directes; qu'en conséquence, elle partage la propriété en trois classes, la grande, la moyenne, et la petite; qu'elle met cette dernière hors du système électoral; que la seconde ne donne que le droit d'élire; enfin, que la première confère la double prérogative d'élire et d'être élu.

Dans toutes les communes, il y a de même de grands, de petits propriétaires, et des individus qui ne le sont pas. Les règles établies par la Charte pour la formation de la chambre des députés s'appliquent donc naturellement à l'élection des officiers municipaux.

Ainsi, la loi pour la composition des municipalités n'est pas à faire. On la trouve dans notre Charte constitutionnelle ; et pour son complément et son application, il ne faut qu'ajouter: 1° les habitants portés sur le rôle des impositions directes concou

rent seuls à l'élection des officiers municipaux ; 2o les contribuables qui font partie de la moitié la plus imposée de la commune sont seuls éligibles (1).

Que l'on applique ce mode d'élection aux conseils généraux de département et d'arrondissement, et tous les pouvoirs émanés de la même source, assis sur la même base, et par conséquent dans le plus parfait accord, formeront un faisceau indestructible (2).

Dans les communes, cette mesure aura pour résultat nécessaire de ne conférer l'exercice du pouvoir municipal qu'aux habitants les plus notables, qu'à des propriétaires ou à des capitalistes qui, livrés à l'agriculture ou au commerce, ont tout à la fois le plus d'intérêt au maintien de l'ordre, et le plus d'influence sur ceux qui le troublent habi

tuellement.

Il est si difficile d'inspirer une véritable horreur pour les désordres qui attaquent les propriétés à

(1) La loi du 21 mars 1831 sur l'organisation municipale n'a point tout-à-fait adopté ce système. V. l'addition au chapitre VI. (F.)

(2) Les conseils généraux de département et les conseils d'arrondissement sont aussi devenus le produit de l'élection. V. L. des 22 et 25 juin 1833. (F.)

des hommes qui, ne possédant rien, n'ont rien à perdre, que pour arrêter ou prévenir les excès auxquels peut se livrer la multitude, la raison est toujours nulle, et l'autorité des lois souvent insuffisante. Mais heureusement ces hommes qui n'ont rien à perdre ont cependant quelque chose à conserver. C'est le travail qui pourvoit à leur subsistance. Tous en éprouvent le besoin, et, quel que soit le sentiment qui les égare, ce besoin parle plus haut, et sa voix se fait encore entendre lorsque celle de la raison et des lois est étouffée.

Ainsi, la meilleure garantie que la paix d'une commune ne sera pas troublée est dans un corps municipal composé des propriétaires, des capitalistes, des chefs d'ateliers les plus notables, puisque ce sont eux qui, par le travail qu'ils sont dans l'usage de distribuer, nourrissent journellement la classe ouvrière.

Toutefois, il faut en convenir, l'ascendant du propriétaire qui procure du travail, sur le prolé taire qui en a besoin, n'est au fond qu'une supériorité précaire, qui perdrait toute son influence, s'il se trouvait des agitateurs assez puissants pour donner à la multitude, avec l'espérance du pillage, un salaire égal à celui qu'elle pourrait obtenir en travaillant.

Mais alors il reste encore un moyen de salut,

c'est le second des deux que nous avons annoncés plus haut; le voici :

Au point où nous supposons le désordre, la violence a brisé tous les liens sociaux; les lois sont sans autorité; les anciens prestiges, les vieilles habitudes de subordination, ont perdu toute leur influence, et la force peut seule triompher de la force.

La multitude a pour elle l'avantage du nombre et une audace aveugle qui lui tient lieu de courage. Il ne lui en faudra pas davantage si les grands et la classe moyenne de la nation sont malheureusement divisés.

Lorsqu'un gouvernement constitutionnel s'élève sur les ruines d'une vieille monarchie, des préjugés, des souvenirs, et surtout le juste orgueil des noms historiques, luttent encore longtemps contre l'égalité politique. Cela est dans la nature, et si c'est un tort, il n'appartient qu'au temps d'en faire justice; mais, quels que soient les souvenirs, les regrets, les espérances, l'ancienne aristocratie doit sentir qu'il y a des crises possibles, auxquelles, réduite à ses propres forces, elle ne pourrait opposer qu'une digue insuffisante.

Mais ces crises populaires, ces grands mouvements, ne menacent pas moins les sommités de la démocratie, ou, si l'on veut, la nouvelle aristo

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