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absolu : l'autorité royale fut alors sans limite, mais elle fut sans appui.

Cependant les symptômes d'une révolution prochaine frappaient les regards les moins attentifs. Des hommes, qui se proclamaient les vengeurs de la raison outragée, évoquaient à leur tribunal tous les dogmes religieux et politiques. Ces antiques barrières, devant lesquelles les esprits avaient reculé si longtemps, étaient partout ébranlées. Le besoin d'un nouvel ordre de choses travaillait la nation, et tout annonçait que les éléments sociaux ne tarderaient pas à se déplacer et à se confondre. De toutes parts s'élevaient des notabilités nouvelles, des hommes extraordinaires sortaient des rangs les plus obscurs ; les progrès du commerce et les prodiges des arts répandaient sur les classes industrielles un éclat inconnu jusqu'alors; et le troisième ordre de l'état, que la hiérarchie sociale plaçait au-dessous des deux autres, devenu leur supérieur en richesses, èt au moins leur égal en lumières, s'indignait de sa position.

Ces germes de division éclatèrent enfin. La noblesse disparut, et sa chute fut immédiatement suivie de celle du trône.

Après s'être longtemps débattue dans les convulsions de l'anarchie, la nation se crut encore heu

reuse de pouvoir se reposer sous un gouvernement militaire.

Le beau jour de la restauration se lève enfin sur la France. Le Roi est rendu à nos vœux ; et le premier usage qu'il fait de son autorité, c'est de lui assigner des limites. Le temps avait brisé les anciennes. D'ailleurs empreintes de l'ignorance et de la barbarie du moyen-âge, elles ne se trouvaient plus en harmonie avec l'état actuel de la civilisation. Il fallait donc à la France une constitution nouvelle. L'auguste auteur de la Charte nous a donné celle qui, formée des trois gouvernements simples, le monarchique, l'aristocratique, et le démocratique, réunit les avantages propres à chacun d'eux : constitution admirable, que les publicistes regardent comme la plus sublime des combinaisons, comme le dernier effort de l'esprit humain. Dans ce bel ordre de choses, deux Chambres exercent la puissance législative, concurremment avec le Roi. L'aristocratie se concentre dans la première. Hors de là tout est démocratie, parce que tout est sous le niveau de l'égalité constitutionnelle; et cette démocratie est représentée par la seconde Chambre.

Mais, quelque parfaite que soit cette organisation de la puissance législative, le grand œuvre de la régénération politique n'est pas encore à beaucoup

près accompli ; il reste à environner la Charte d'institutions qui, puisées dans sa nature, et ne faisant avec elle qu'un tout homogène, en assurent l'exécution, et en garantissent la durée.

Quelles doivent être ces institutions?

Ici se présente le problème social peut-être le plus difficile à résoudre; en effet, il ne s'agit de rien moins que de régulariser le mouvement, la direction et l'emploi de la force offensive de la démocratie de cette force dont rien ne peut arrêter l'action ; que les résistances augmentent ; qui peut tout ce qu'elle ose; qui, comprimée sur un point, ne tarde pas à faire explosion sur un autre; et que rien ne peut détruire, parce qu'elle réside dans le tissu même de la société.

Le gouvernement se ferait illusion, s'il se flattait de comprimer cette force avec les seuls moyens qui lui sont propres. Mais où trouvera-t-il ceux qui lui manquent? Il les trouvera dans le sein même de la démocratie, s'il parvient à l'organiser de manière que les supériorités qu'elle renferme deviennent ses auxiliaires.

Ces supériorités sont de deux sortes : les unes, attachées aux personnes, consistent dans des distinctions héréditaires, et forment des classes privilégiées; les autres qui tiennent aux choses, et qui, par cette raison, deviennent successivement le par

tage de tous les individus, représentent les intérêts généraux de la société.

Suivant que la garde de ces intérêts sera confiée à l'une ou à l'autre de ces supériorités, la société sera bien ou mal constituée.

La société serait mal constituée si la première de ces deux sommités s'élevait seule à sa surface; si elle était seule chargée de représenter la nation, soit dans la chambre des députés, soit dans les conseils généraux de département, ou dans les corps municipaux. En effet, des distinctions héréditaires, ne fussent-elles que nominales, constituent, comme je viens de le dire, une classe privilégiée : et toute classe privilégiée, formant en quelque sorte une nation dans la nation, n'est que trop souvent pour les autres un objet d'inquiétude et de jalousie. D'ailleurs, comme elle a des intérêts qui lui sont particuliers, on la soupçonnerait aisément de leur sacrifier les intérêts généraux.

Que l'on substitue les choses aux personnes, et tout change. Chacun se place sur les différents degrés de l'échelle sociale, suivant l'importance de ses propriétés, soit foncières, soit mobilières, ou industrielles toutes les distinctions se confondent dans la qualité de propriétaire. La société, ainsi constituée, présente un tout homogène, dont les sommités forment une sorte d'aristocratie démocra

tique; genre de supériorité qui a sur le privilége l'immense avantage de n'humilier personne, parce que, étant attachée aux propriétés, et par conséquent mobile comme elles, il n'est personne qui ne puisse y atteindre.

Cette classification partage la partie démocratique de la nation en deux grandes masses. La première se compose de toutes les notabilités qui sont hors de la chambre des pairs. La seconde comprend les artisans, les prolétaires, en un mot tous ceux qui, par l'extrême modicité de leurs possessions, doivent au travail de leurs mains la plus grande partie de leur subsistance.

Tous les éléments conservateurs des sociétés se réunissent dans la première de ces deux divisions.

La seconde, qui occupe les degrés inférieurs de cette échelle sociale dont je viens de parler, est, au contraire, dans un état habituel d'hostilité envers le gouvernement. Elle le menace par son ignorance, qui la livre à l'empirisme de tous les charlatans, aux séductions de tous les factieux; par l'audace que lui donnent ses forces matérielles ; par l'irritation que lui cause le dénûment qu'elle éprouve; enfin, par l'opinion où elle est qu'une révolution, quelles qu'en soient la cause et les suites, peut rendre sa condition meilleure, et jamais pire.

Cette fraction de la société est habituellement

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