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systéme incohérent qui, comme tous les édifices qui portent à faux, n'aurait aucune espèce de solidité?

Au contraire, avec des élections périodiques aux fonctions municipales et aux conseils généraux de département, tous les droits ont des garanties, tous les citoyens des défenseurs; et à l'époque des réunions pour le choix des députés, comme les notables de chaque canton auront successivement parcouru tous les degrés de la hiérarchie administrative, les électeurs auront des données sûres, et les élus les connaissances nécessaires. Ils auront tous, ce qui vaut encore mieux que des connaissances, un vif attachement pour la constitution de leur pays. Ils l'aimeront parce qu'ils la connaî

tront.

Mais si le gouvernement, qui ne peut pas tout voir, voulait cependant tout faire; s'il professait hautement que la chose publique ne peut être utilement servie que par des hommes de son choix, les citoyens, déshérités de sa confiance, lui refuseraient la leur; les vanités s'irriteraient, et personne ne s'attacherait à un ordre de choses auquel il serait constamment étranger.

Dans un pareil état de choses, il n'y aurait ja→ mais d'esprit public, parce qu'il n'y aurait jamais d'esprit de famille. Ce qui serait encore plus dé

plorable, il s'établirait une lutte continuelle entre les libertés garanties par le pacte fondamental et le régime administratif. Quelle serait l'issue de cette lutte? Le doute seul fait reculer d'effroi.

CHAPITRE II.

Qu'il ne suffit pas de constituer le gouvernement; qu'il est également nécessaire d'organiser la société. Que de cette organisation dépend la bonne ou mauvaise composition des corps municipaux.

Toutes les fois que les hommes se réunissent en société, à l'instant, et par la seule force des choses, il s'élève au milieu d'eux une puissance régulatrice. On l'appelle monarchique, si elle se concentre dans la main d'un seul ; et les ministres, auxquels le monarque en délégue l'exercice, forment le gouvernement.

En dehors du gouvernement est la nation, qui est aussi une puissance, puisqu'elle renferme toutes les forces matérielles de la société.

Ainsi, dans chaque état, deux puissances distinctes : l'une plus morale que matérielle, mais qui reçoit une grande force de sa concentration, constitue le pouvoir politique; l'autre, qui sc

compose des forces matérielles disséminées dans toutes les parties de la société, constitue le pouvoir social, ou, ce qui est la même chose, la démocratie.

Quoique l'une de ces deux forces soit essentiellement subordonnée à l'autre, cependant tôt ou tard leur choc inévitable courberait la nation sous le joug du despotisme, ou la précipiterait dans les abîmes de l'anarchie, s'il n'y avait pas un moyen d'empêcher leur contact immédiat.

Ce moyen existe, et il est bien connu; il consiste à placer entre le gouvernement et la nation un troisième pouvoir qui, n'étant ni monarchique ni démocratique, les contienne l'un et l'autre, et s'oppose également aux entreprises de la couronne et aux excès de la démocratie.

En France, ce pouvoir intermédiaire, sorti avec la féodalité du berceau de la monarchie, s'était établi de lui-même, sans le concours de l'autorité publique, et par la seule force des institutions féodales.

Sous le régime de ces institutions, les hommes et les terres se partageaient en deux classes. Dans la première se plaçaient les terres décorées des attributs de la féodalité, et les hommes qui les possédaient, auxquels on donnait la qualification de seigneurs de fiefs; la seconde classe se composait

des terres non féodales, que, par cette raison, on appelait roturières.

La loi des fiefs supposait que, dans l'origine, toutes ces terres avaient appartenu aux seigneurs qui avaient eu la générosité d'en faire l'abandon aux auteurs des possesseurs actuels, sous la seule réserve de certaines servitudes plus ou moins onéreuses, en signe de supériorité.

A cette supériorité se joignait celle que donne le droit de justice, droit qui, originairement attaché à tous les fiefs, conférait à leurs possesseurs la partie la plus éminente de la puissance publique; de manière que les hommes de chaque seigneurie étaient tout à la fois les vassaux et les justiciables du seigneur, et même en quelque sorte ses sujets, puisque dans plusieurs circonstances il pouvait leur imposer des tributs, et les obliger à prendre les armes et à marcher sous sa bannière.

Lorsque, d'amovibles qu'ils étaient dans l'origine, les fiefs devinrent héréditaires, les familles qui s'en trouvèrent investies, distinguées par tant et de si hautes prérogatives, formèrent dans l'état une classe privilégiée, que l'on appela la caste nobiliaire ou l'ordre de la noblesse.

La France aurait eu dès lors un gouvernement régulier, si les seigneurs de fiefs avaient compris que, placés entre la couronne et la nation, ils de

vaient être alternativement le frein et l'appui de l'une et de l'autre. Mais cette belle conception n'entra pas dans leurs esprits, et, pendant des siècles entiers, la puissance féodale, hostile envers le prince comme envers le peuple, fut pour tous un instrument d'oppression et un objet d'effroi.

Enfin, l'autorité royale prévalut. Deux hommes qui possédaient éminemment la science du pouvoir, Louis XI et le cardinal de Richelieu, rattachèrent à la couronne presque toutes les prérogatives que l'usurpation lui avait fait perdre, et forcèrent tous les seigneurs de fiefs à courber un front humilié sous le sceptre des rois.

La puissance féodale, ainsi refoulée dans ses anciennes limites, conservait néanmoins assez de forces pour servir efficacement la couronne; mais ces forces causant encore de l'ombrage, une politique étroite et timide ne tarda pas à les annuler entièrement. Cette première faute fut suivie de deux autres également capitales. La monarchie était encore limitée par les états-généraux : on les laissa tomber en désuétude. Restaient les parlements; comme ils n'avaient qu'une force morale, on se joua d'eux.

Ainsi disparurent successivement tous les corps intermédiaires. Sur leurs débris s'éleva le pouvoir

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