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1821-1825. Discussion

entre la Rus

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Unis et l'An

gleterre.

Vers la fin du siècle dernier, à l'occasion de l'occupation de la passe de Nootka Sound, sur la côte orientale de l'île de Vancouver, l'Espagne, se fondant à la fois sur la priorité de découverte et unc longue possession sanctionnée en 1713 par le traité d'Utrecht, revendiqua la souveraineté exclusive de toute la côte nord-ouest de l'Amérique jusqu'au détroit du Prince Guillaume. L'Angleterre combattit ces prétentions en alléguant que la terre est l'héritage commun de tous les hommes, et que chaque nation a le droit de s'en approprier une partie plus ou moins grande en l'occupant pour la mettre en culture. Après de nombreux débats, les deux puissances convinrent enfin :

1° Que la navigation et la pêche dans les parages contestés seraient permises aux sujets anglais, mais que cette permission ne devait point servir de prétexte pour entretenir un commerce illicite avec les établissements et les colonies espagnols;

2° Que le droit de navigation et de pêche concédé aux Anglais ne pourrait pas s'exercer à une distance moindre de dix lieues marines des côtes occupées par la couronne de Castille;

3° Que dans toutes les colonies fondées, soit par l'Angleterre, soit par l'Espagne sur la côte nord-ouest de l'Amérique septentrionale, il y aurait, à partir du mois d'avril 1780, réciprocité de relations et de commerce;

4° Que dans ces mêmes parages les deux puissances ne pourraient respectivement former aucune colonie nouvelle au milieu de celles déjà existant; que toutefois elles auraient la faculté de pêcher le long des côtes et d'y établir des abris temporaires pour les marins. § 285. Des démêlés du même genre et non moins graves surgirent de 1821 à 1825 entre la Russie et les États-Unis ; ils prirent naissance dans le courant de septembre 1821, à la suite d'un oukase par lequel le gouvernement russe proclamait sa souveraineté exclusive sur toute la côte nord-ouest de l'Amérique, depuis le détroit de Behring jusqu'au 54° degré de latitude, sur tout le groupe des îles Aléoutiennes, sur la côte orientale de la Sibérie, et sur les îles Kouriles depuis le cap Sud jusqu'au 15° degré 51 minutes de latitude nord. Le même oukase, invoquant la priorité de découverte et une possession semi-séculaire, interdisait en même temps à toute autre nation de naviguer et de pêcher dans la zone ainsi délimitée, défendait aux navires étrangers, sous peine de confiscation de leur cargaison, d'approcher des établissements russes à une distance de moins de cent licues, et déclarait que les mers qui baignaient les possessions de la Russie en Asie et en Amé

rique, devaient être considérées comme fermées, sauf les exceptions qu'il pourrait convenir au czar d'établir à cet égard en faveur de telle ou telle nation européenne. On comprend sans peine le grave préjudice qu'un pareil acte et des principes si restrictifs étaient de nature à causer aux intérêts commerciaux des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Le gouvernement de Washington fut le premier à combattre les prétentions exagérées de la Russie dans une note demeurée célèbre il déclara à son tour que, depuis le jour où les États-Unis existaient comme nation indépendante, leurs navires avaient sans cesse navigué librement dans les mers d'où l'on prétendait les exclure; que le droit de navigation leur appartenait par le fait même de leur indépendance souveraine, et que les citoyens de la république avaient le droit incontestable de trafiquer avec les naturels ou indigènes du pays qui n'étaient pas soumis à la juridiction territoriale d'une autre nation. La même note faisait en outre ressortir que la Russie n'avait aucun titre valable à la possession des terres américaines situées au delà du 55° degré, limite des découvertes faites par ses marins jusqu'en 1799, et qu'il était contraire à tous les principes et à la saine raison de proclamer fermées des mers qui, entre les deux continents, avaient une largeur de 4,000 milles.

Cette polémique se termina au mois d'avril 1824 (1) par une convention spéciale, aux termes de laquelle les citoyens des États-Unis. et les sujets de la Russie pouvaient réciproquement et librement naviguer et pêcher dans toute l'étendue de l'Océan Pacifique; les États-Unis s'interdisaient le droit de former aucun établissement au nord du 54° degré 40 minutes de latitude, ainsi que dans la zone comprise au milieu de cette ligne; enfin, pendant dix ans, les navires des deux nations pouvaient naviguer et pêcher librement dans toutes les mers baignant les côtes exclues de la formation de nouveaux établissements fixes.

Entre l'Angleterre et la Russie, le débat fut réglé en février 1825 (2) par un traité de démarcation, qui donna comme limite définitive aux possessions des deux États sur le continent nord-américain une ligne partant de l'île du Prince de Galles au 54° degré 40 minutes et s'arrêtant au détroit de Portland au 56° degré de latitude; de ce dernier point, la frontière suivait la côte jusqu'au

(1) Martens, Nouv. recueil, t. IV, p. 1010; Elliot, I, p. 443.

(2) Herstlet, v. III, p. 362; Elliot, v. II, p. 171; Martens, Nouv. recueil, t. V1, p. 684; Martens, Nouv. suppl., t. II, p. 426.

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mont Saint-Élie, et, s'inclinant ensuite vers le nord, aboutissait à l'Océan Glacial.

§ 286. A propos de cette question du titre d'une nation au domaine souverain d'un territoire, nous devons encore mentionner une discussion fort importante, celle qui eut lieu entre l'Angleterre ct les États-Unis au sujet de l'Orégon. Les États-Unis réclamaient la possession de ce territoire en se basant sur :

1o La priorité de découverte et d'occupation;

2° L'acquisition par le traité de 1819 (1) de tous les titres que la découverte de ce territoire par des sujets espagnols, avant qu'aucun autre peuple en eût eu connaissance, avait conférés à la couronne de Castille;

3o La reconnaissance implicite des titres des États-Unis à la possession de l'Orégon par le gouvernement anglais lors de la restitution du fort Georges situé à l'embouchure du fleuve Columbia.

Le gouvernement britannique faisait valoir de son côté :

1° Que le fleuve Columbia n'avait pas été découvert par un Américain, mais bien par le lieutenant Mease de la marine anglaise;

2o Que les stipulations du traité de 1819 n'accordaient aux ÉtatsUnis que la jouissance pleine et entière des droits qui appartenaient à l'Espagne, c'est-à-dire la faculté de s'établir sur tous les points du territoire, de naviguer et de pêcher dans les mers qui les environnent, et de trafiquer avec les indigènes;

3° Que la restitution du fort Georges avait eu lieu sous la réserve des droits souverains de l'Angleterre sur le territoire.

La discussion de principe entre le gouvernement anglais et le gouvernement américain, après s'être prolongée pendant un grand nombre d'années, aboutit en 1846 (2) à un accord amiable, qui peut se résumer ainsi :

1o La limite entre les territoires possédés par chacun des deux gouvernements sera prolongée vers l'ouest, sous le parallèle du 49° degré de latitude nord, jusqu'à la moitié du canal qui sépare le continent de l'île de Vancouver, et, à partir de cet endroit, se dirigera vers le midi du même canal et du détroit de Fuca, jusqu'à l'Océan Pacifique: il est toutefois entendu que la navigation du canal restera libre aux navires des deux nations;

2o La navigation du fleuve Columbia, depuis le 49° degré de latitude nord jusqu'à son embouchure, sera libre pour la Compagnie

(1) Ch. Calvo, t. VI, p. 142; Elliot, v. 1, p. 414; Martens, Nouv. recueil, t. V, p. 328; State papers, v. VIII, p. 524.

(2) Herslet, v. VIII, p. 930; Martens-Murhard, t. IX, p. 27.

de la baie d'Hudson et pour les sujets anglais qui trafiquent avec la même Compagnie ;

Discussion entre l'Angle

3o Les droits de possession acquis soit par la Compagnie de l'Hudson, soit par tout autre sujet anglais, jusqu'au midi du parallèle du 49° degré de latitude nord sont formellement reconnus *. § 287. L'Amérique du Sud fournit un autre exemple de conflit. territorial, qui soulève les plus délicates questions de domanialité. Nous voulons parler de l'occupation prolongée des îles Malouines ou Falkland par l'Angleterre, malgré les énergiques et incessantes cupation des protestations de la République Argentine.

C'est un fait incontestable que le groupe des Malouines fut découvert par des marins espagnols ou des marins étrangers qui étaient au service de l'Espagne (1), de sorte que, si la simple découverte suffisait pour assurer la propriété d'un territoire, l'Espagne aurait de ce chef à la possession des Malouines un droit antérieur à celui de toute autre puissance; mais son droit est établi sur un titre ayant pour fondement des principes plus larges

Wheaton, Elém., pte. 2, ch. iv, §5; Vattel, Le droit, liv. I, ch. xvII, §§ 81 et seq.; ch. xvIII, §§ 207, 208; Twiss, Peace, §§ 108-117, 120, 122, 125, 126; Martens, Précis, §37; Bowyer, Com., pp. 363 et seq.; Phillimore, Com., vol. I, §§ 226-228, 230, 235. 237, 244, 248, 249; Rutherforth, Int., b. 2, ch. Ix, § 6; Kent, Com., vol. III, pp. 484 et seq.; Klüber, Droit, §§ 47, 126, Ortolan, Domaine, §§ 65-73; Heffter, § 70; Puffendorf, De jure, lib. IV, cap. iv, § 4; Bello, pte. 1, cap. II, §5; Gunther, Völkerr. t. I, ch. vi; t. II, ch. 11, § 10; Moser, Beitrage, t. V, p. 515; Vergé, Précis de Martens, t. I, pp. 130-132; Polson, sect. 5, pp. 28, 29; Dalloz, Répertoire, v. Droit naturel et des gens, no 67; Pradier Fodéré, Vattel, t. I, pp. 490-493; Garnier, Eléments, pp. 341, 342; Dumont, Corps dipl., t. III, pte. 1, p. 200; pte, 2, p. 302; Martens, Recueil, t. I, p. 371; Schoell, Hist., t. III, p. 235; Rousset, Suppl., t. II, pte. 1, p. 28; Schmauss, Corp. jur. gent., t. I, pp. 112, 130; Twiss, On the Oregon, p. 171; Greenhow, Hist., p. 204; Bluntschli, §§ 278 et seq.; Covarrubias, El derecho inter. por Bluntschli, traduccion, notas, §§ 282 et seq.; Dudley-Field, Projet de Code, p. 320.

(1) Bougainville, dans la relation de son second voyage aux Malouines, s'exprime ainsi : « Je crois que la première découverte de ces îles, peut être attribuée seulement au célèbre navigateur Améric Vespuce, qui, dans le troisième voyage qu'il fit pour la découverte de l'Amérique, explora en 1502 la côte nord. Il est certain qu'il ne sut pas si elle faisait partie d'une île ou d'un continent; mais par la route qu'il suivit, par la latitude à laquelle il arriva et même par la description qu'il fait de l'ile, on en vient facilement à reconnaître que c'était celle des Malouincs. »

On lit dans le British naval Chronicle (Chronique navale britannique) de 1809: « Quoique la découverte des Malouines ait été attribuée à Davis, il est fort probable qu'elles avaient été vues avant lui par Magellan et les autres navigateurs qui l'ont suivi. »

Or Améric Vespuce et Magellan étaient au service de l'Espagne.

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et plus généralement admis: le titre de première occupation, ou du moins de substitution aux premiers occupants en vertu d'un acte régulier de cession et de remise.

Les îles dont il s'agit ne furent occupées pour la première fois qu'en 1764, et elles le furent au nom de la France (1); déjà, soixante ans auparavant, des marins français, se croyant les premiers à les découvrir, leur avaient donné le nom de Malouines, qu'elles portent encore aujourd'hui, du port de Saint Malo, où ils s'étaient embarqués. Le 3 février 1764, M. de Bougainville posait au Port Louis ou de la Soledad, dans l'île de l'est, les fondements d'une colonie française; mais dès que l'Espagne cut connaissance de cette occupation, elle revendiqua la possession des Malouines comme dépendance du continent de l'Amérique méridionale, et le roi Louis XVI s'empressa d'en ordonner la restitution aux autorités espagnoles du Rio de la Plata. La remise aux autorités espagnoles s'accomplit en 1767; elle n'eut toutefois pas lieu sans le paiement d'une forte indemnité de la part de l'Espagne (2). Ainsi, en outre

(1) L'inscription française est conçue en ces termes : « Etablissement des îles Malouines, situées au 51o deg. 30 min. de lat. austr. et 60 deg. 50 min. de long. occid. mérid. de Paris, par la frégate l'Aigle, capitaine P. Duclos; Guyot, capitaine de brûlot, et la corvette le Sphinx, cap. F. Chenard de la Girondais, lieut. de frégate, armées par Louis Antoine de Bougainville, colonel d'infanterie, capitaine de vaisseau, chef de l'expédition; G. de Nerville, cap. d'infanterie, et P. d'Arboulin, administrateur général des postes de France. »

Construction d'un obélisque décoré d'un médaillon de Sa Majesté Louis XV, sur les plans d'A. l'Huillier, ing. géogr. des camps et armées, servant dans l'expédition, sous le ministère d'E. de Choiseul, duc de Stainville, en février 1764.

Avec ces mots pour exergue: Conamur tenues grandia.

(2) La somme destinée à indemniser la compagnie de Saint-Malo de ses établissements aux Malouines s'élevait à 618,108 livres 13 sols 11 deniers, ainsi qu'il résulte du reçu signé de M. Bougainville à la date du 4 octobre 1766, et, détail digne de remarque, plus de la moitié de cette somme (65,625 piastres) fut reçue en billets payés par le trésor de Buenos Aires.

Voici le document signé par M. Louis de Bougainville pour la remise des Malouines:

« Je, Louis de Bougainville, colonel des armées du Roi Très Chrétien, ai reçu six cent dix-huit mille cent huit livres treize sols et onze deniers, montant d'un état que j'ai présenté des dépenses occasionnées à la compagnie de Saint-Malo par les expéditions faites pour ses établissements intrus aux îles Malouines, appartenant à sa Majesté Catholique, sous la forme suivante : quarante mille livres, que m'a remises à compte à Paris S. Exc. le comte de Fuentes, ambassadeur de Sa Majesté Catholique près cette cour, et desquelles je lui ai donné le reçu correspondant; deux cent mille livres, qui doivent m'être remises en la même

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